Chapitre 53 Défilés - Partie 1

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 Tabatha marchait tranquillement en compagnie d'un groupe de jeunes gens, qui avaient tous plus ou moins le même âge qu'elle. Elle écoutait leurs discussions en silence, essayant de mémoriser leurs noms et leurs histoires. Elle voulait connaître un maximum de choses sur les personnes qui l'accompagnaient, et depuis plusieurs jours qu'elle se livrait à cet exercice, elle s'était évidemment trouvée plus d'affinités avec certains groupes qu'avec d'autres.

 La première fois qu'elle était venue les voir, les jeunes l'avaient accaparée pendant plus d'une heure, lui posant une multitude de questions sur la capitale, sa famille, les nobles, et la vie à la cour en général. Ils n'arrivaient pas à croire que quelqu'un d'aussi important et d'aussi puissant leur adresse la parole. Puis, quand leur curiosité fut satisfaite, ils changèrent rapidement de sujet et parlèrent de choses anodines.

 C'était pour cela que Tabatha aimait marcher avec eux. Tandis que les adultes la traitaient avec déférence et ne lui parlaient que d'itinéraires et de plans de batailles, les jeunes l'avaient intégrée à leur groupe - bien qu'ils continuent à la vouvoyer - et ne discutaient presque que de choses futiles. Il était rare qu'ils évoquent des combats ou même simplement les djaevels, comme si leur vie était tout à fait normale. Et pour la princesse, cela représentait une très agréable pause dans des journées trop stressantes.

 Elle remarqua soudain que les gens devant eux s'étaient stoppés. Elle prit congé de ses compagnons et remonta rapidement la colonne de voyageurs. Elle dût plusieurs fois s'excuser et jouer des coudes, car ils traversaient depuis la veille des paysages rocailleux, et la route les avait faits s'engager dans un défilé étroit où la progression était malaisée. Après quelques minutes, elle vit Sin fo en tête de file, qui leva un bras et l'interpella :

- Tabatha, tu tombes bien. J'allais venir te chercher.

- Que se passe-t-il ? Pourquoi vous êtes-vous arrêtés ?

- Parce que nous avons besoin de ton avis. La route se sépare en deux, regarde.

 La princesse regarda par dessus les épaules de son amie pour voir qu'en effet le défilé se scindait en deux directions bien distinctes. Un panneau indicateur planté au milieu du chemin portait le nom de deux villes. Tabatha lut les deux noms et lâcha un petit rire.

- J'ai l'impression que les dieux se jouent de moi.

- Que veux-tu dire, s'enquit Sin fo.

- À gauche Djor Hallendal, à droite Soripolis. Il s'agit précisément de la décision que je n'arrive pas à prendre depuis des jours.

- Je sais, répondit simplement Sin fo. Et jusqu'ici la route te laissait encore les deux options ouvertes. Mais ce n'est plus le cas.

- Je ne sais vraiment pas quoi faire, se lamenta Tabatha. Qu'est-ce que vous en pensez, demanda-t-elle aux quelques personnes présentes autour d'elle.

- Tu connais mon avis, répondit Archibald. Mon fils est là-bas, dit-il en tendant son bras amputé vers la droite, et il nous a déjà attendu trop longtemps.

- Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation, répliqua le jeune Axi'om. Je n'ai jamais vu votre capitale, mais je ne pense pas que nous soyons assez nombreux pour la prendre d'assaut.

- Et qu'est-ce qui vous fait croire que quelques jours de plus y changeront quoi que ce soit ?

- Nous en avons déjà parlé, intervint Ryban. Djor Hallendal est une place forte très importante. Il y aura sûrement des survivants.

- Nous ne pouvons pas en être sûrs.

- Même si ce n'est pas le cas, nous trouverons là-bas du matériel ou des vivres qui nous seront très utiles.

- Nous ne savons pas ce qui nous attend là-bas, insista Archibald. Si nous nous aventurons dans les montagnes, nous risquons de perdre des semaines à en ressortir.

 Cela faisait plusieurs jours qu'ils tournaient ce problème dans tous les sens, et Sin fo préféra mettre un terme à la conversation avant qu'elle ne s'envenime.

- Tabatha, il faut que ce soit toi qui fasses le choix. Quel qu'il soit, nous te suivrons tous.

 Elle lança un regard circulaire, et tous opinèrent en silence. La princesse regarda longuement le chemin menant à la capitale.

- Soripolis, commença-t-elle avec une pointe de nostalgie dans la voix, Soripolis est ma ville natale, et mon plus cher désir est de la reprendre à l'homme qui me l'a volée. Et de libérer Maxou, ajouta-t-elle à l'adresse de Archibald. Mais nous savions en partant que ça prendrait du temps. Nous n'aurons pas de seconde chance. Quand nous attaquerons la ville, il faudra que ce soit en ayant mis toutes les chances de notre côté. Et nos chances seront plus grande si nous bénéficions de l'appui des forces de Djor Hallendal.

- Sauf si la forteresse a été prise par les djaevels…

- Ça suffit, trancha Tabatha. Nous irons vers l'est, vers la montagne. Ryban, fais passer le message, nous nous remettons en route.

 Archibald ne dit rien mais lança un regard lourd de reproches à Tabatha. Il ramassa ses affaires et s'engagea dans le défilé. Sin fo adressa un sourire réconfortant à Tabatha et se mit en route elle aussi. La jeune fille s'approcha du panneau indicateur et effleura du bout des doigts le nom de Soripolis.

- J'espère que je ne fais pas une bêtise, murmura-t-elle la gorge serrée.

 Puis, prenant conscience de la colonne de marcheurs passant à côté d'elle, elle se composa une assurance de façade et se joignit à eux.

 Tabatha ne retourna pas avec le groupe de jeunes. La décision qu'elle avait prise lui causait trop d'inquiétude, et elle était incapable de tenir une conversation anodine pour le moment. Elle ne marcha pas non plus en compagnie de Sin fo, comme elle avait l'habitude de le faire. Depuis le départ de Hank, Sin fo ne pensait à rien d'autre, et elle ne parlait presque plus. Surtout, Tabatha ne croyait pas l'avoir vue véritablement sourire depuis ce jour.

 La princesse comprenait parfaitement cet état d'esprit. Elle aussi s'était beaucoup renfermée après l’enlèvement de Maxou. Ce n'était pas par égoïsme ou par inconfort qu'elle s'éloignait ainsi de Sin fo. Au contraire, c'était par amitié qu'elle s'effaçait pour lui laisser le temps de faire le point, et tant pis si cela impliquait qu'elle-même passe beaucoup de temps toute seule.

 Sans personne à qui parler, la princesse réfléchissait sans cesse et s'inquiétait beaucoup. Elle espérait avoir fait le bon choix. Peut-être aurait-elle dû rejoindre la capitale au plus vite. Cela faisait maintenant plusieurs semaines que Maxou avait été enlevé. Tabatha dût retenir ses larmes en repensant au jour où elle l'avait vu en rêve.

 Le jeune homme avait-il vraiment été torturé ? L'était-il souvent ? L'était-il en ce moment même ? Tabatha se demanda à quoi il pouvait penser, seul au fond de sa cellule. Avait-il encore confiance en ses amis, en elle ? Espérait-il qu'on viendrait rapidement le secourir ? Ou au contraire avait-il été brisé par les violences qu'il avait subies et n'espérait-il plus que la mort qui l'en délivrerait ?

 La jeune fille voulait croire que la force de caractère de son ami serait plus forte que ses geôliers. Mais sachant le mal que le maître des djaevels avait été capable de lui faire à elle seulement par l'intermédiaire de son esprit, elle ne pouvait que frémir en imaginant les violences physiques qu'il pouvait infliger à Maxou.

 Même en essayant de ne pas penser à Maxou, Tabatha craignait de trop tarder à se rendre à la capitale. Teon Garaney était-il au courant de sa venue ? Selon Sin fo, il était relié en esprit à chacune de ses victimes. Il était donc très certainement conscient que de très nombreux djaevels avait été éliminés. Une telle hécatombe ne devait pas être monnaie courante, et le sorcier devait avoir compris qu'il s'agissait d'un seul et même groupe qui s'en prenait à ses créatures.

 La princesse ne savait pas s'il était capable de situer précisément ses djaevels dans le royaume, mais si c'était le cas, il lui suffisait d'étudier une carte quelques minutes pour s'apercevoir que ses ennemis avançaient vers le sud. Il devait donc fatalement s'attendre à une attaque sur la capitale.

 De plus, si ce qu'elle avait vu dans son cauchemar était réel, le sorcier l'avait provoquée. Il s'attendait donc forcément à une réaction de sa part. Il s'était vanté de la connaître, de la comprendre comme un livre ouvert, d'avoir percé ses faiblesses et de pouvoir prédire ses faits et gestes très facilement. Il devait croire qu'elle allait foncer tête baissée pour récupérer Maxou, sa ville, son royaume et l'honneur de ses parents.

 Cela faisait mal à la princesse de l'admettre, mais c'était exactement ce qu'elle voulait faire. Son instinct lui criait de courir vers la capitale pour prendre sa vengeance au plus vite. Il le lui hurlait si fort que cela la prenait aux tripes. Mais justement, c'était avec sa tête et non avec ses tripes qu'elle devait mener cette guerre. Voilà pourquoi elle devait anticiper les attentes de son ennemi et prévoir au moins un coup d'avance.

 Le sorcier ne lui avait montré absolument aucun respect. Il s'était moqué d'elle ouvertement. Il avait déjà tué ses parents, preuve qu'il ne redoutait pas sa lignée. Et pour finir il avait déjà réussi à la kidnapper chez elle. Pour toutes ces raisons, Tabatha savait qu'il allait la sous-estimer. Il ne verrait en elle qu'une enfant gâtée, une gamine irréfléchie et tête brûlée. Et c'est ce qui causerait sa perte. Quand Tabatha se présenterait devant les portes du palais, elle serait prête.

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