Chapitre 54 Djor Hallendal - Partie 3

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 Cosimo prit une grande inspiration avant de pénétrer dans la grande salle. Il semblait presque aussi nerveux que les trois amis, sans que ceux-ci puissent se l’expliquer. Tabatha regarda attentivement autour d’elle et vit que la grande salle était à la fois très semblable et très différente de celle de son propre château, à Soripolis.

 Très différente car la salle de bal de son palais était tapissée de parquet au sol et de lambris aux murs, et richement décorée par les tableaux, les lustres en cristal, les meubles réalisés par les plus grands artisans du royaume, et par les vitraux dominant les hautes portes-fenêtres donnant sur le balcon et les jardins.

 Cependant, même si cette salle était creusée dans les mêmes pierres sombres que le reste du château et n’était ouverte sur l’extérieur que par de minces meurtrières au niveau du plafond, elle était semblable dans sa fonction et son aspect impressionnant.

 Cette pièce était bien plus éclairée que ce qu’ils avaient vu du château jusque-là, grâce à d’immenses braseros qui entouraient la travée centrale. Sur leur gauche, un petit escalier menait à un balcon depuis lequel les habitants du château pouvaient assister à ce qui se passait au rez-de-chaussée. Sur leur droite, de longues tables et des bancs de bois étaient alignés le long du mur. Des étendards aux couleurs de la famille Hollen pendaient des colonnes qui soutenaient les étages et au mur du fond.

 Un tapis fait de dizaines de peaux tannées sommairement menait les visiteurs de la porte jusqu’au fond de la salle, où siégeait fièrement le seigneur Hollen dans son trône, énorme pièce de bois sans dossier, garni de peaux lui aussi, et surplombant la salle de quelques marches de pierre. Doté d’une stature imposante, de larges épaules carrées, d’un visage sévère encadré d’une épaisse barbe et de longs cheveux blonds pâles, et prenant nonchalamment appui sur son coude droit, le seigneur Hollen était à l’image de sa grande salle : fruste mais impressionnant. Sa voix puissante s’éleva alors qu’ils étaient à mi-chemin :

- Qu’est-ce que tu fais déjà là Cosimo ? Ta patrouille devait durer encore au moins quatre jours.

- Nous surveillions les bentous depuis près d’une semaine quand nous avons remarqué qu’ils semblaient agités. Nous les avons suivis et les avons tués avant qu’ils ne massacrent un groupe de voyageurs.

- Voila qui explique tous ces gens massés devant ma porte, continua le seigneur en baissant la voix au fur et à mesure qu'ils approchaient. Et tu crois que cela justifie de te présenter devant ton seigneur dans une telle tenue ?

- Veuillez m’excuser monseigneur, répondit le capitaine en s'arrêtant et en inclinant la tête. Mais ce groupe que nous avons escorté jusqu’ici était armé, et pour qu’ils acceptent de déposer les armes avant de rentrer dans le château, j’ai dû promettre à leur chef ici présent de le mener directement à vous.

 Sur l'invitation de Cosimo, Archibald s’avança un peu impressionné et s’inclina maladroitement :

- Archibald Strauss monseigneur. Je vous prie de croire en ma gratitude et mon respect pour l’accueil que vous nous accordez. Comme l’a dit votre capitaine, j’ai mené mon groupe dans les montagnes afin de quérir votre aide. Nous avons décidé d’éliminer les djaevels, et nous espérions pouvoir compter sur l’aide des guerriers de Djor Hallendal dont la réputation…

- Arrêtez vos simagrées, l’interrompit le seigneur Hollen.

 Il n’avait pas changé de position ni haussé la voix mais son ton cassant était sans appel.

- Nous savons vous et moi que vous ne dirigez pas cette compagnie, continua-t-il.

 Totalement pris au dépourvu et ne sachant pas quoi répondre, Archibald se retourna vers Sin fo et Tabatha en quête de soutien.

- Et si tu me présentais plutôt cette jeune fille qui fait tout son possible pour que je ne la voie pas, dit le seigneur Hollen à Cosimo.

- Je ne peux pas monseigneur.

- Tiens donc, s’étonna le vieil homme. Et pourquoi cela ?

- La jeune fille s’est présentée à moi sous un faux nom. Je ne connais donc pas son identité. Néanmoins je suis sûr que son visage m’est familier, répondit le capitaine en se tournant vers Tabatha.

 Cette dernière sentit une vague glacée lui parcourir le dos. Cosimo avait vu clair dans son jeu. Elle qui pensait l’avoir berné, il n’avait en réalité pas été dupe une seule seconde. Sin fo se déplaça légèrement pour cacher un peu plus son amie, et chercha instinctivement une sortie de secours. Elle vit que deux gardes barraient maintenant la porte, et que tous les hommes présents dans la salle avaient affermi leur prise sur leurs armes.

 Le seigneur Hollen se leva de son siège et descendit pesamment les marches qui le séparaient de ses interlocuteurs. Il regarda Tabatha de haut en bas et soupira.

- Cosimo mon fils tu es un idiot, dit-il simplement. Évidemment que son visage t’est familier. Tu l’as déjà rencontrée il y a quelques années. Cette jeune fille est Tabatha Deostalion, la fille unique du roi. Votre majesté, ajouta-t-il en inclinant légèrement la tête vers la princesse. C’est un honneur pour moi de vous accueillir en mon château. Vous avez hérité de la beauté de votre mère. À part…

- Les pommettes de mon père je sais, l’interrompit Tabatha avec un sourire légèrement hésitant.

- Je vous prie de m’excuser pour l’accueil un peu discourtois qui vous a été réservé.

 Tout en disant ces mots, il fit un petit geste de la main, et tous les gardes se détendirent.

- Cosimo va vous mener à des appartements où vous pourrez vous débarrasser de la saleté du voyage et passer des vêtements plus adaptés à votre rang.

- Je vous remercie, mais je ne suis pas là pour ça. Comme l’a dit mon ami, dit Tabatha en désignant Archibald, nous sommes venus demander votre aide pour combattre les djaevels.

- Je comprends mais nous ne pouvons pas traiter dans ces conditions. Je me dois de vous recevoir avec les honneurs que vous méritez. Nous discuterons ce soir durant le banquet que je vais faire donner pour vous. Veuillez m’excuser, j’ai des ordres à donner.

 Il inclina à nouveau la tête, une main sur la poitrine, et tourna le dos à Tabatha sans attendre de réponse. Tandis que Archibald semblait agacé par cette attitude, Sin fo adressa un regard à Tabatha et lui conseilla du bout des lèvres de rester calme. La princesse savait qu’elle avait raison, même si elle bouillait intérieurement de perdre ainsi du temps en bienséance ridicule. Elle se tourna vers Cosimo, qui affichait un air contrit depuis la remarque blessante de son père, et lui dit :

- Vous aviez raison, il y aura bien un banquet. Tous mes compagnons seront-ils conviés ?

- Bien sûr, nous n’allons pas les laisser dans la cour, répondit Cosimo en tentant de plaisanter, même si le cœur n’y était plus. Archibald, continua-t-il en faisant signe à un garde de s’approcher, voulez-vous s’il vous plaît retourner dehors et informer vos hommes que le seigneur Hollen les hébergera comme convenu ? Je vous y rejoindrais très vite, dès que j’aurais montré à la princesse et son amie où elles logeront.

- Les filles, demanda simplement Archibald pour s’assurer qu’il pouvait les laisser seules.

- Cela ira Archie, assura Sin fo. Nous veillons l’une sur l’autre.

 Archibald acquiesça en pinçant les lèvres et suivit le garde à l’extérieur. Cosimo fit monter les jeunes femmes à l’étage, où elles longèrent le balcon jusqu’à une porte menant aux quartiers réservés aux membres les plus importants de la cour de Djor Hallendal. Tandis qu’ils avançaient, Cosimo s’excusa auprès d’elles :

- Je suis confus de vous avoir parlé de manière si familière. Jamais je n’aurais pensé que vous étiez la princesse.

- Vous n’avez pas à vous en vouloir, le rassura Tabatha. Quand à moi je n’avais pas du tout compris que vous étiez le fils du seigneur Hollen.

- J’essaie de le cacher quand je suis à l’extérieur, se justifia Cosimo, et particulièrement avec des gens que je ne connais pas. Mais vous comprenez ça j’imagine. Et vous Sin fo, appartenez-vous aussi à la famille royale ? Me suis-je aussi couvert de ridicule auprès de vous ?

 Sin fo hésita une seconde à s’amuser un petit peu aux dépends de Cosimo, mais elle avait vu qu’il avait été véritablement touché par la pique de son père, et elle décida de ne pas l’accabler encore plus.

- Non, je ne suis qu’une simple femme du nord, comme je vous l’ai dit.

- Et que faites-vous ici ? Vous êtes au service de la princesse ?

 Sin fo partit dans un fou rire.

- Elle aurait bien voulu ! Mais je ne me suis jamais laissée faire.

- Sin fo est mon amie, clarifia Tabatha. Nous nous sommes rencontrées il y a quelques années. Elle n’a jamais vu la capitale. Mais vous, vous êtes déjà allé au palais si j’ai bien compris ? J’avoue que je ne me souvenais pas non plus de vous.

- C’est plus compréhensible de votre part, vous n’aviez que six ans quand nous nous sommes rencontrés. J’étais venu avec mon père pour la cérémonie des vœux suite au couronnement.

- C’est amusant j’ai repensé à cette cérémonie il y a à peine quelques jours, répliqua la princesse avec un sourire. Mais il y a une chose que je ne comprends pas. Si vous ne m’aviez pas reconnue, comment avez-vous pu savoir que je ne vous avais pas donné mon vrai nom ? Est-ce que je me serais trahie à un moment ?

 Cosimo s’arrêta au milieu du couloir et regarda la jeune fille avec un éclair de malice dans les yeux. Il sembla hésiter sur la manière de lui répondre, comme s’il ne savait pas s’il pouvait se permettre de se moquer d’elle ou pas.

- Vous vous êtes présentée à moi comme étant Lizzie Brooks. C’est un très joli nom d’emprunt, très crédible, et je n’avais aucune raison de douter que c’était bien votre nom. Vous avez joué à la perfection. A un détail près cependant.

 Cosimo faisait visiblement durer son plaisir. Finalement, il lui dit :

- Lizzie Brooks, la vraie Lizzie, vit ici, dans ce château depuis près de cinq ans. Elle est ma cousine.

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