Chapitre 1 Aube nouvelle - Partie 2
Sin fo parla plus tard dans la soirée avec Hank de ses considérations alors qu'ils étaient au lit :
– J'y ai un peu réfléchi, et je crois qu'il est possible que tu aies un pouvoir toi aussi.
– Tu te moques de moi ?
– Pourquoi pas ?
– Je m'en serais rendu compte, tu ne crois pas ?
– Souviens-toi, quand les hembras sont arrivés sur l'île, nous étions attaqués par des nuées d'oiseaux, et ils se sont tous dispersés sur un mot de ta part, dit Sin fo en écartant les bras.
– Ça n'était pas de la magie, réfuta Hank, je leur ai simplement fait peur en criant.
– Et cet oiseau, à Cosrock, qui t'obéissait au doigt et à l'œil, insista Sin fo. Reconnais que cela n'avait rien de naturel.
– C'est vrai, mais tu m'as dit que ton pouvoir s'était manifesté lorsque tu avais trois ans, et la plupart des enfants hembras savent déjà contrôler le feu ou geler l'eau. Non, si j'avais un pouvoir, je le maîtriserais depuis des années.
– Quand tu étais petit, as-tu vu qui que ce soit exercer de la magie ?
– Non, à part des prestidigitateurs et des charlatans.
– Donc, tu n'as eu personne pour t'apprendre, et tu ne pouvais pas y penser tout seul. Lorsque tu t'adresses aux oiseaux, ne se passe-t-il rien d'inhabituel ?
– C'est vrai que... Mais non, c'est impossible, j'ai dû me tromper.
– De quoi parles-tu ?
– Non, non, repoussa Hank en secouant la tête, ça n'a sûrement rien à voir.
– Raconte-moi, ne te fais pas prier ! demanda la jeune femme en se tournant dans le lit et en posant une main sur le torse de son compagnon.
– Quand on était à Cosrock...
– Avec le corbeau, dans ta chambre ?
– Non, le premier jour. Souviens-toi, on avait été séparés par l’effondrement de cette maison…
– Ce n’est pas mon exploit le plus brillant, cela m’avait valu une belle bosse sur le crane.
– Tu nous avais encore sauvé la vie, rappela-t-il en lui déposant un baiser dans les cheveux. Bref j’étais parti seul à la recherche des gens qui criaient et à un moment, je ne savais pas quelle direction prendre. Il y avait un moineau sur une branche et je lui ai posé la question. En fait, je me parlais plutôt à moi-même à haute voix. Toujours est-il qu'il m'a répondu. Je sais que ça semble impossible, mais je l'ai clairement entendu prononcer ton nom. Bien sûr, j'ai mis ça sur le compte de la fatigue, j'ai cru que je divaguais, mais quand il s'est envolé, je l'ai suivi. Je n'ai pas vraiment réfléchi, je sentais au fond de moi que c'était la meilleure chose à faire.
– Tu as suivi ton instinct. C'est grâce à cet oiseau que tu m'avais retrouvée ce jour-là ?
– Non, en fait il m'a mené droit sur Falmina et les djaevels !
Nos deux héros éclatèrent de rire.
– Tu as bien fait de suivre ton instinct !
– Voilà tout ce qu'on gagne à faire confiance à une cervelle d'oiseau.
Ils rirent encore quelques instants, puis Sin fo reprit :
– Plus sérieusement, l'instinct c'est une très bonne chose. Ce n'est pas en réfléchissant sans cesse et en analysant que tu feras une bonne utilisation de ton pouvoir.
– Toi quand tu as une idée... Tu es déjà persuadée que j'ai un pouvoir magique.
– Bien sûr ! Tu as juste besoin de t'exercer un peu. Je me chargerai de toi.
Hank se redressa sur un coude et tout en regardant sa femme droit dans les yeux lui dit avec un sourire :
– En attendant, c'est moi qui vais m'occuper de toi !
Et tandis que Sin fo l'attrapait derrière la nuque pour l'embrasser, il rabattit la couverture au dessus de leurs têtes.
Les jours suivants, Sin fo s'évertua à enseigner à son mari la maîtrise de son pouvoir. Elle tenta de lui faire ressentir un flux de puissance, une variation, quoi que ce soit de différent ou d'inhabituel, mais il ne comprenait pas où elle voulait en venir. Il avait beau faire le vide dans son esprit, il ne décelait aucune parcelle d'énergie magique en lui. C'était quelque chose de totalement nouveau pour lui, et il n'est pas facile de reconnaître quelque chose qu'on n'a jamais vu. Un jour, Hank resta si longtemps sans bouger qu'il s'endormit. Mais la plupart du temps, il perdait très vite patience et se levait en faisant de grands gestes, puis faisait les cent pas dans la pièce pour retrouver son calme.
Pendant huit jours, ils n'obtinrent pas d'autres résultats, puis Sin fo eut l'idée de s'adresser à Tsu'il pour savoir si l'un des hembras avait un pouvoir similaire. Par chance, l'un d'eux possédait ce don, et il accepta de les aider. En fait, celui-ci avait lancé des oiseaux sur Tabatha, Sin fo et Hank lors de l'attaque hembra, et il était curieux de savoir comment Hank avait pu contrecarrer son sort.
La première chose qu'il fit fut de dire à Sin fo que sa méthode n'était pas la bonne, et d'emmener Hank à l'extérieur. Une fois dehors, il siffla une simple note, et aussitôt une cinquantaine d'oiseaux vinrent se poser à ses pieds, sur ses bras et ses épaules. L'hembra, qui se nommait Tek'listar, expliqua à Hank qu'il lui faudrait faire appel à l'énergie magique pour atteindre ce niveau, mais que pour débuter, il devait simplement faire preuve de confiance en lui pour parvenir à se faire obéir par les oiseaux. Il lui conseilla de commencer par un seul oiseau, et d'apprendre toutes les subtilités de son langage avant de passer à un autre. Tek'listar s'occupa de la formation de Hank jusqu'à ce qu'il sache se servir de son pouvoir de manière consciente, puis il passa le flambeau à Sin fo, qui tenta à nouveau de lui enseigner la maîtrise des flux d'énergie.
À la fin de l’année, alors que l'hiver amorçait son déclin, les hembras décidèrent de repartir vers leurs terres plus au nord. Sin fo, Hank, et plusieurs autres humains ne souhaitant pas les voir partir les convainquirent de rester quelques semaines de plus, mais au milieu du printemps, Tsu'il leur annonça qu'ils ne pouvaient plus repousser le départ.
Tous, humains et hembras, s'étaient réunis près du lac en ce jour de la mi-Alouë 2430. Certains hembras avaient hâte de partir, mais d'autres, comme Tsu'il, avaient le cœur lourd. Tous se serrèrent la main, ceux qui étaient devenus amis échangèrent des accolades, et les enfants de Selina et Wayne, du groupe d’humains, pleurèrent car ils ne voulaient pas laisser partir leurs camarades. Indesit et Riordan pleuraient elles aussi à chaudes larmes, ce qui agaça Sin fo, qui échangea un regard amusé avec Tabatha et Ellis en levant les yeux au ciel. Hank serra fermement la main de Tsu'il, qui désigna le corbeau perché sur l'épaule du jeune homme et demanda à Sin fo :
– Vous n'en avez plus peur ?
– Non, je m'y suis habituée. C'est vrai qu'au début, cela me mettait mal à l'aise de voir cet animal partout, à cause d'un rêve étrange que j'avais fait. Mais j'ai vite compris que je n'avais rien à craindre, et que Hank n'aurait pas pu avoir de compagnon plus affectueux.
Hank caressa d'un doigt le cou du corbeau, qui répondit en le mordillant affectueusement. Le jeune homme demanda à Tsu'il :
– On va se revoir très vite, n'est-ce pas ?
– Bien sûr, dès la saison prochaine mon ami. Ne croyez pas que nous vous laisserons profiter seuls de cette île, humains arrogants !
– Je n'en attends pas moins de vous, espèce de boule de poils !
Le jeune homme et l'hembra se toisèrent une seconde, avant d'éclater de rire au même instant. Hank souhaita bon voyage à son ami, puis les hembras prirent la route, Tsu'il en tête. Ils longèrent la rive ouest du lac, marchant en direction du nord, et commencèrent l'ascension de la montagne. Très vite, la colonne des hembras ne fut plus qu'un trait noir à l'horizon, comme un insecte rampant sur le flanc de la montagne. Dans la soirée, alors que les soleils déclinaient à l'ouest, Sin fo annonça à ses amis :
– Je ne sens plus leurs esprits. Tous les hembras ont quitté Incuna.
Pour la première fois depuis six mois, le petit groupe de femmes et d'hommes partis de Cosrock se retrouvait à nouveau seul. Cette nuit-là, leur île leur parut immensément grande.
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