Chapitre 3 – Celle qui écrivait enfin
L’amour. De tout temps, l’amour a fasciné le monde. De nombreux mythes grecs content l’histoire d’amour entre êtres, dieux et autres : Psyché et Cupidon, Orphée et Eurydice, Acis et Galatée, Apollon et Daphné… Je connais ces mythes par cœur. Je me suis toujours demandé si nous pouvions croire à ces mythes d’amour inconditionnel ou s’ils sont simplement des explications parmi tant d’autres que les gens ont trouvé pour définir l’amour ? Pour essayer d’expliquer quelque chose qui est sans doute inexplicable en fin de compte. Je dois avouer ne jamais avoir réussi à répondre à cette question. Peut-être que je ne suis pas assez envoutée par ces belles histoires qu’on raconte parfois aux enfants. Ou peut-être ai-je simplement perdu mon âme d’enfant. Je ne suis pas certaine de croire en l’amour, en toutes ces histoires que j’ai pu lire. Certes, ce sont de belles histoires et certains rêvent de vivre une histoire aussi belle et importante que celles de ces mythes… Mais ce n’était peut-être tout simplement pas pour moi. Je trouve ça tellement irréel. Un jour, j’ai cru que je pourrais changer d’avis. J’ai failli croire à tout cela, me dire que c’était réellement possible, mais très vite cette pensée est elle-même revenue à l’état de mythe.
Elyzabeth soupira longuement en refermant son ordinateur. Elle n’était absolument pas convaincue par ce qu’elle venait d’écrire. Elle savait que ce n’était pas avec ce genre d’écrit qu’elle allait pouvoir postuler dans un journal, même un de quartier. Mais c’était tout ce qui lui était venu.
- Je suppose que ce long soupir signifie que tu n’as toujours pas écrit quelque chose d’assez bien à ton goût pour postuler ?
Elyzabeth sursauta et se tourna vers la porte d’entrée qui venait de se refermer. Elle ne s’était pas vraiment attendu à entendre cette voix-là.
- Vous ne prendrez donc jamais l’habitude de frapper à la porte…
- Non, je pense que c’est une chose impossible que tu demandes là.
James laissa un léger sourire s’immiscer sur ses lèvres. Il déposa sa veste sur le banc de l’entrée et s’avança vers le frigo pour se prendre une boisson. Il faisait comme s’il était chez lui, mais Elyzabeth avait rapidement compris que c’était toujours comme ça dans cet appartement.
- Qu’est-ce que tu fais ici ?
- On a pas pu terminer notre conversation hier soir, et comme Sarah est à son stage, je me suis dit qu’on pourrait la continuer.
- Je ne suis pas certaine que c’est le bon endroit pour faire ça, dit-elle en se redressant. Sarah rentre dans trente minutes et comme vous avez tous tendance à entrer dans cet appartement comme si c’était le vôtre, je pense qu’on sera encore interrompu.
Elle devait surtout avouer qu’elle cherchait une excuse pour ne pas continuer leur conversation. Elle ne savait pas trop comment l’expliquer, mais elle ne voulait pas savoir comment cela allait se terminer. Elyzabeth avait beaucoup repensé à l’été de ses seize ans, et elle s’était rendue compte qu’elle avait souvent reproché des choses à James qui n’était pas réelle, ou du moins, qui n’en valaient pas la peine. Ils ne s’étaient rien promis. Ils étaient conscients de comment cela se terminerait quand elle partirait. Même si, le temps de quelques minutes, avec une seule réponse différente, tout aurait sans doute été différent… Elle avait réussi à passer à autre chose, malgré la peine que cela lui avait faite. Elle n’avait aucune envie de remuer tout cela.
- Alors allons quelque part, boire un verre, se promener. Mais j’ai besoin de finir cette conversation.
Elyzabeth se rendit compte que James la suppliait d’accepter. Elle le regarda longuement pour tenter d’analyser l’expression de son visage. Le temps d’un instant, elle crut revoir le James de seize ans, à la différence qu’il semblait plus grand, que sa carrure était plus imposante, et que ses boucles brunes étaient coupées plus courtes. Un long soupir s’immisça à nouveau entre les lèvres de la jeune femme, mais elle finit par acquiescer lentement, signe qu’elle était prête à continuer leur conversation. Enfin, prête, tout est relatif.
James avait attendu que la jeune femme se change et avait choisi d’aller se balader dans Central Park. C’était loin de l’appartement et il était convaincu qu’ils ne croiseraient personnes qu’ils connaissaient. Du moins, ils ne croiseraient aucun membre de la bande.
Cela faisait environ dix minutes qu’ils marchaient côte à côte dans un long silence. C’était comme si aucun d’eux ne savait par où commencer. Puis, la voix de James brisa le silence qui s’était installé.
- Tu m’as dit que tu étais revenue ce soir-là… Tu parles du soir où on s’est dit au revoir ?
- Quel autre soir, James ? dit-elle, sur la défensive.
- Elya, n’emploie pas ce ton, j’essaie de comprendre.
- De comprendre ? C’est simple pourtant.
Elyzabeth prenait ce ton sans vraiment le vouloir. Elle se rendait simplement compte que leur histoire avait été plus importante qu’elle ne voulait le croire. Et en reparlé faisait remonter les sentiments qu’elle avait éprouvé ce soir-là en le retrouvant avec une autre. James s’arrêta et la regarda. Elyzabeth ne s’arrêta pas de marcher, ce qui obligea le jeune homme la rattraper. Cela fut fait en seulement quelques enjambées.
- La veille de mon départ, quand nous étions dans la maison de vacances de tes parents, tu m’as demandé de rester, en me disant que tes parents s’arrangeraient avec mon père pour que je puisse continuer le lycée à New-York, avec toi, avec Sarah. Je t’ai dit non. Pas parce que je n’en avait pas envie, pas parce que j’avais peur que notre histoire se termine… Non, ça, je m’en fichais, parce que j’avais déjà accepté que notre relation se terminerait le lendemain. Mais parce que je savais que mon père avait besoin de moi. Je le pensais en tout cas. Puis, le lendemain, tu m’as dit au revoir, comme si tu n’allais jamais me revoir. Je suis resté un temps interminable dans l’aéroport et j’ai appelé mon père, en lui expliquant que je voulais rester, que ça me ferait du bien…
- Et il a accepté que tu restes parce qu’il voulait que tu sois heureuse, la coupa-t-il pour résumer la réponse du père Marshall.
- Alors, je suis revenue à ta maison de vacances, mais quand j’ai voulu frapper à ta porte, je t’ai vu avec cette autre fille. Vous sembliez tellement proches, puis elle était si jolie, semblait si entreprenante, que j’ai laissé tomber. J’ai repris un taxi et j’ai pris un autre vol pour l’Europe.
James sentit son cœur se serrer. Il n’avait pas conscience qu’Elyzabeth l’avait vu avec cette fille. Il devait l’avouer, à l’époque, il était jeune et bête. Il pensait qu’au plus de filles, il avait, au plus il paraissait fort et important. Il avait changé le temps de l’été pour Elyzabeth, parce qu’elle était différente. Tellement plus importante à ses yeux, et ce qu’il ressentait à son égard était si fort et si nouveau, qu’il n’avait plus eu envie de voir d’autres filles.
- Je suis désolé. Je ne vais pas me chercher d’excuses, je n’en ai pas.
- Je ne t’en veux pas. Plus maintenant. On avait rompu, je savais que tu enchainais les filles… J’ai juste été, elle chercha le bon mot, déçue de voir que tu m’oubliais aussi rapidement.
- Je ne t’ai pas oublié aussi rapidement. Je sais ce que tu as vu. Ce que tu penses qu’il s’est passé ce soir-là. Mais il ne s’est rien passé.
Cette fois-ci, ce fut Elyzabeth qui arrêta sa marche pour regarder le jeune homme. Contrairement à elle, il s’arrêta. Il faisait une bonne tête en plus qu’elle, ce qui obligea le garçon à baisser son regard sur elle. Elle n’eut pas besoin de demander plus d’explication, son regard en disait assez long.
- Elle m’a embrassé, mais je l’ai arrêté. Elle était certes très belle, mais ce n’était pas toi. Tu m’as changé, juste le temps d’un été a suffit pour que je comprenne enfin que j’étais plus qu’un bourreau des cœurs.
Elyzabeth laissa échapper un petit rire en l’entendant se qualifier comme tel.
- Qui me dit que c’est réellement ce qu’il s’est passé ?
- Moi
Il plongea ses yeux dans les siens et répéta la même phrase sans sourciller. Elyzabeth ne put s’empêcher de le croire. Elle le voulait de tout son cœur. Parce que même s’il avait contacté cette fille, qu’ils s’étaient embrassés, c’était moins pénible à accepter que l’idée qu’il avait enchainé les filles après son départ.
- Je vais essayer de te croire. Parce qu’on est ami depuis longtemps.
- Je suis désolé que tu ne sois pas arrivé plus tard, ce soir-là.
- C’est qu’on était simplement pas fait pour être ensemble.
- Tu crois au destin maintenant ?
- Non.
Elyzabeth regarda le sourire de James s’étirer sur ses lèvres, avant de plonger son regard dans les prunelles bleutées. Elle ne savait pas si cette conversation allait changer quelque chose, mais au moins, ils pouvaient espérer repartir sur de bonnes bases. Aucun d’eux ne sut combien de temps, ils se regardèrent ainsi, au beau milieu de Central Park, mais il sembla que cela faisait une éternité, quand enfin leurs yeux acceptèrent de se détacher les uns des autres. Tous deux sentaient leur cœur battre dans leur poitrine, si bien qu’ils s’éloignèrent à contrecœur.
- On devrait rentrer, hésita-t-elle.
James se contenta de hocher la tête en passant sa main dans sa nuque. Ils ne l’admettraient sans doute pas dans les minutes qui suivaient, mais il ne pouvait pas mentir sur l’attirance qui les liait.
Le retour à l’appartement se fit sereinement, comme si un poids s’était ôteé de leurs épaules. Une fois devant l’appartement, Elyzabeth s’arrêta, pensant sans doute qu’il rentrerait dans son appartement et que la soirée se terminerait chacun de leur côté.
- Tu sais… Moi, je crois au destin, annonça James en regardant la jeune femme.
- Quoi ?
- Tu as répondu que tu ne croyais pas au destin, tout à l’heure au parc. Moi, j’y crois.
James avait toujours été un garçon rêveur, malgré les allures de gros dur qu’il essayait de se donner. C’était comme cela cinq années auparavant et cela ne semblait pas changer.
- Je crois au fait que si on s’est quitté lorsqu’on avait seize ans, c’est parce que la vie pensait que nous n’étions pas prêts, continua-t-il, avant qu’Elyzabeth ne puisse dire quoi que ce soit. Et que, si, aujourd’hui, elle nous a réuni, c’est que, peut-être, on est prêts.
- Je ne suis pas certaine de comprendre où tu veux en venir…
- Est-ce que tu accepterais de sortir avec moi, un vrai rendez-vous ?
- James…
- Juste un, la coupa-t-il. Et si on se rend compte qu’on est mieux en tant qu’amis, alors on restera amis.
- D’accord.
Un sourire, presque enfantin, illumina le visage du garçon.
- Mais à une condition, ajouta Elyzabeth, qui vit le sourire de James s’évanouir. On ne dit rien aux autres, tant qu’on est pas sûre de ce qu’on est.
James hocha la tête et accepta. Ils savaient que leurs amis étaient quelque peu intrusifs lorsqu’il s’agissait de la vie privée des autres membres de la bande. Ils aiment tous se mêler de tout.
- Vendredi soir. A vingt heures.
Dit-il en ouvrant la porte de l’appartement d’Elyzabeth pour la laisser entrer.
- Qu’est-ce qu’il y a à vingt heures, vendredi ? demanda un voix qu’ils auraient tous les deux préféré ignorer.
Les deux entrèrent dans l’appartement, ce qui leur permettait de réfléchir quelques secondes à un petit mensonge.
- James à un rencard, annonça Elyzabeth.
Ce n’était pas vraiment un mensonge. Il avait effectivement un rencard, ils ne précisaient simplement pas avec qui.
- Vous étiez où tous les deux ? questionna Achille qui s’était vautré dans le canapé.
- Je viens de rentrer de travail, j’ai croisé Elyzabeth dans l’escalier.
- Oui, je suis allée m’aérer les neurones pour essayer de finir mon essai pour le journal.
- Ah, tu m’écoutes enfin ! Se réjouit Sarah qui déposait sur la table du salon des boissons et des encas.
Elyzabeth hocha la tête en souriant. Ce n’était pas un trop gros mensonge. C’était davantage de l’omission.
- On fait une soirée jeu ce soir, vous restez ?
Les deux arrivant acceptèrent sans trop réfléchir et choisirent de s’installer à l’opposé l’un de l’autre. Un peu comme ce qu’ils faisaient depuis l’arrivée d’Elyzabeth. Cela aurait été trop étrange s’ils s’étaient installé l’un à côté de l’autre et qu’ils ne s’ignoraient pas constamment.
Durant la soirée, Elyzabeth et James se lancèrent des petits regards discrets, et acceptèrent de se charrier un peu. C’était plus agréable que de se faire comme s’ils ne se connaissaient pas. James lança un dernier regard discret à Elyzabeth avant de regagner son appartement en même temps qu’Achille, son colocataire.
- Dis donc, James et toi, c’est grand amour maintenant, dit Sarah, à peine une seconde après que James ait refermé la porte.
- Je n’irais pas jusque-là. Mais c’est mieux qu’on apprenne à s’entendre si on veut fréquenter le même groupe d’ami. Ce sera plus sympa pour tout le monde.
- C’est vrai.
Sarah sembla réfléchir tout en rangeant les restes de la soirée. Elyzabeth l’aida sans rien ajouter, avant de se tourner vers son amie, lorsque celle-ci reprit la parole.
- Je n’ai jamais trop compris ce qu’il s’est passé entre vous pour que ça devienne aussi tendu. La dernière fois que je vous avais vu ensemble, tout allait bien et quand je suis rentrée à New-York, tu étais repartie en Europe et lui s’envoyait tout ce qui bougeait.
Elyzabeth déglutit difficilement en entendant la dernière partie de sa phrase.
- Tout ce qui bouge ? demanda-t-elle.
- Enfin, j’exagère… Mais disons qu’il avait souvent une fille à son bras. Même si, Lydia, je sais pas si tu te rappelles d’elle ? Grande, longs cheveux blonds, grand yeux, tout le monde la draguait pendant l’été…
Elyzabeth hocha la tête. Oui, elle se souvenait d’elle. C’était elle qui était dans les bras de James lorsqu’elle était venue le retrouver pour lui dire qu’elle avait changé d’avis et qu’elle voulait rester à New-York, avec elle.
- Il parait qu’il l’a invité un soir, qu’ils se sont embrassé, qu’il semblait très entreprenant… Bref, je te fais pas un dessin, mais au dernier moment, il a déraillé et foutu dehors.
Sans le savoir, Sarah venait de confirmer la version de James. Ce soir-là, il n’était pas allé plus loin que des baisers avec Lydia, puisqu’elle s’appelait ainsi. Sarah continua de déblatérer sur les conquêtes de James et sur celles avec qui elle avait pu discuter, mais Elyzabeth n’écoutait plus vraiment.
Elyzabeth finit par s’installer dans sa chambre et terminer son papier pour postuler à son job. Elle y reprit les premiers mots qu’elle avait écrit, tout en les corrigeant et en tentant de leur donner plus de sens, y ajoutant la notion de mensonge, de doute, d’amitié… Et sans s’en rendre compte, elle avait écrit un papier complet sur son amitié naissante avec cette bande d’amis.
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