Gavroche

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-         Mais… maman j’suis en vacances

-         En vacances ou non tu n’pars pas le ventre vide alors tu viens t’asseoir Kevin

Le gamin s’installa en grommelant :

-         mon blaze c’est Gavroche

-         Avec tes petits camarades peut-être mais pas ici.

-         et tu me parles autrement.

-         qu’est-ce que tu fais aujourd’hui ? finit-elle par demander.

-         J’me balade

-         Tout seul ?

-         Ouais

-         Oui

-         Quoi ?

-         On dit oui pas ouais

-         Ouais c’est du langage parler tu m’as bien dit qu’il y a un langage parler et un langage écrit ?

Comme sa mère ne répondait pas, il continua :

-         Je parle, donc j’emploie le langage parler !

Elle se retourna cachant un petit sourire vainqueur.

Elle se reprit et dit en lui faisant face :

-         J’aimerais que tu n’ailles plus dans les souterrains.

-         Y a rien à craindre, ils sont vides

-         désaffectés

-         Quoi désaffectés

-         On dit dans ce cas désaffectés

-         Ouais bon j’y vais dit-il en s’essuyant la bouche.

-         Fais attention à toi.

-         Oui toi aussi maman.

-         Bisous

-         Bisous

Elle le laissa partir sachant pertinemment qu’elle n’aurait pas le dernier mot. De toute façon, elle ne s’inquiétait pas vraiment.

Elle enleva son uniforme de maman aimante pour se poster dans la pièce de surveillance. Sur les écrans, on voyait tous les souterrains.

-         Mère dit l’une des sentinelles, tu n’aurais pas dû intervenir cette nuit

-         Oui je sais répondit-elle, j’ai cru que c’était un flic.

 

   ***

 

Gavroche se sentait comme chez lui dans ces souterrains. Cela faisait un bon moment maintenant qu’il arpentait les couloirs. C’était son terrain de jeu. Il avait trouvé l’entrée par hasard. C’était un samedi. Il était perché sur un arbre derrière sa maison celle qui obstruait l’impasse.

Au-delà du grillage du jardin il y avait un terrain vague plein de cerisiers, de pommiers et un noyer gigantesque. Il faisait concurrence à un gros chêne que Gavroche aimait escalader. Ses branches confortables et accueillantes jusqu’à la cime lui permettaient de s’installer confortablement. Il avait eu l’idée de fixer deux coffres hermétiques. L’un pour y mettre torche, couteau, jumelles, ficelle et autres objets, l’autre pour y ranger des livres.

De là, il pouvait admirer tout à loisir Paris et ses monuments. Il avait face à lui dans le fond l’Arc de Triomphe suivi de l’Arche. A la gauche de la place de l’Etoile, la Tour Eiffel et le Trocadéro séparé l’une de l’autre par la Seine imposante qui entrait par la Porte de Bercy et sortait par la Porte de Saint-Cloud. A sa droite, le Sacré Cœur et, au centre, trônant en reine, la cathédrale Notre-Dame de Paris. Les reflets du soleil sur les toits en zinc et en ardoises faisaient ressortir toutes les nuances de gris et le scintillement des rayons sur les matériaux concurrençait celui des étoiles.

Gavroche ne se lassait pas du spectacle. Une nuit de demi-lune, alors qu’il ne trouvait plus le sommeil, il assista du haut de son arbre à l’extinction de l’éclairage public. Le gouvernement avait décidé d’éteindre les lumières de la capitale par souci d’économie. La ville et sa banlieue n’étaient plus éclairées que par les reflets lunaires.

La pénombre escortée par un silence inhabituel, impressionna l’enfant.  Un frisson le parcourut. Son corps vibrait au rythme de ses perceptions. Il comprit que les inflexions régulières qu’il percevait provenaient des battements de son cœur et supposa dans ses constructions chimériques que dans cet univers de poussières, de gaz et de roches, il ne restait plus que lui.

Paris n’était plus que l’ombre d’elle-même. La grande capitale connue du monde entier n’offrait que gravats et vapeurs gravitant autour d’un axe invisible. Seul dans la nuit, sur sa branche, Gavroche s’identifia au pierrot lunaire. Comme lui, sur son croissant de lune, il partageait son désarroi, sa tristesse et sa solitude. Comme lui, il se résigna au bercement incessant des rotations. Il s’arrima aux voiles des vaisseaux stellaires, s’abandonna à l’errance et aux chuchotements de la voie lactée. Etoiles et constellations l’accueillirent, scintillantes et bienveillantes comme de futures mères fêtant l’arrivée d’un nouveau-né.

Le Cygne lui révéla le chemin. Le Pierrot lunaire l’encouragea et l’enfant confiant se laissa porter à la rencontre de Cassiopée au bras de Céphée admirant la beauté d’Andromède. Il fila vers Persée chevauchant Pégase. Mais Cétus avait disparu depuis bien longtemps, avalé sans doute par un trou noir. Quand on parle du loup ! Gavroche se sentit irrémédiablement attiré. Il savait ! Il savait que s’il ne réagissait pas, il finirait dans le ventre du monstre, dissous, vidé de sa substance, enrôlé malgré lui dans le tourbillon continu d’une force résolument destructrice. Son corps se tendit d’un coup luttant avec toute l’énergie du désespoir pour s’opposer à l’intensité de l’invisible, de l’anéantissement. Il connut la peur, la frayeur puis l’angoisse. Sentiments inconnus jusqu’ici. Puis vint l’abandon. Je ne suis plus rien pensa-t-il puis, fermant les yeux, il se laissa porter.

-         Quel moucheron vient troubler mon repas ?

-         c’est moi

-         qui ça moi ?

-         euh rien

-         rien ? comment ça rien ?

-         eh ben, rien

-         mais si tu n’es rien, tu ne m’intéresses pas ! tonitrua le monstre.

-         Hors de ma vue ! rugit-il

Gavroche fut immédiatement refoulé du périmètre et fut expédié aux confins de l’univers. Là, il retrouva Pierrot sur son croissant de lune qui le raccompagna jusqu’aux branches de son chêne.

Gavroche le vit se balancer au rythme régulier du temps qui passe et lui faire un petit signe de la main. Lentement, un nuage vint cacher la lune et quand elle réapparut, Pierrot avait disparu.

Il mit un certain temps à se réincorporer. Il n’arrivait plus très bien à différencier le rêve de la réalité. Il pressentait une catastrophe mais ignorait sa nature. Il avait ressenti profondément des choses dont il ne soupçonnait pas l’existence. Ces émotions successives continuaient à le poursuivre jusqu’à ce qu’il fût sous la protection de ses draps, blottis dans ses couvertures. Tout en repensant à cette aventure inestimable, il finit par se détendre et tomba dans un sommeil réparateur entrecoupé de rêves mêlés d’histoires de galaxies et de constellations. Il savait que ce répit ne durerait pas longtemps, vu qu’il ne dormait que quatre heures par vingt quatre heures.

Une nuit, dans les couloirs de la maison, il sursauta. Une forme humaine décharnée à la démarche claudicante surgit sur sa droite. Il eut juste le temps de se cacher dans un coin sombre. Si la forme n’était pas si vieille, on aurait dit sa mère.

 

Ce samedi-là, Gavroche, sur son arbre, s’inventait des histoires d’hommes volants, de batailles aériennes contre les puissances du Mal, de loups garous et de vampires. Les super héros se mêlaient à la danse de son imaginaire. Et tout ce petit monde évoluait au gré de sa volonté. Parfois, la fin ne lui convenait pas alors il en changeait. Ses personnages, bonnes pommes, repartaient au combat sans se plaindre toujours disposer à distraire l’enfant.

Alors qu’il envoyait Maître Yoda vaincre Palpatine, Gavroche entraperçut, sous les herbes entrelacées de ronces, un truc blanc de forme carrée. Sans attendre, avec la précipitation de l’enfance impatiente, il dégringola de l’arbre à la vitesse de l’éclair. En fait de forme carrée, c’était un vieil escalier construit en pierre de taille qui s’insinuait dans les profondeurs de la terre. Armé d’une lampe torche qu’il prit le temps d’aller chercher, il commença à descendre. Le noir se fit rapidement et l’obscurité le recueillit dans ses manches brumeuses et ténébreuses. Des frissons mêlés de crainte et de respect s’implantaient dans tous les pores de sa peau. Prenant son courage à deux mains, il suivit le parcours sinueux de l’escalier. Il déboucha sur une vieille porte rouillée à moitié fermée et se glissa dans l’ouverture.

Depuis, il n’y avait pas un jour où il se rendit dans l’entrelacement des galeries. Au début, s’appuyant sur les bonnes idées des personnages de ses lectures, il fit des marques sur les murs pour ne pas se perdre. Ainsi, il retrouvait facilement la sortie.

Il arriva à un croisement de deux chemins dont l’un menait à Porte de Vincennes et l’autre à la Porte Dorée. Il décida de suivre celui-ci. Les deux voies étaient bordées de parois de structures différentes. L’une en pierres, l’autre en béton. Celle-ci était entrecoupée régulièrement d’impasses. On pouvait donc imaginer que, de l’autre côté des murs, on avait construit une succession de pièces. Le problème était qu’il n’y avait aucune ouverture.

Ce mur allait jusqu’à la Porte de Vincennes et Gavroche voulait savoir d’une part si la paroi se poursuivait depuis l’intersection jusqu’à la Porte Dorée. Et d’autre part, s’il existait sur cet autre versant un accès.

Si bâtiment, il y avait il fallait nécessairement une entrée.

Sur sa droite, le mur continuait, sans aucune porte visible, toujours entaché à distances régulières de ces petites impasses. Il pressentit que le mur en béton devait aller au moins jusqu’à Michel Bizot voire jusqu’à la place Daumesnil. Si c’était le cas, le bâtiment supposé était gigantesque.

Sur sa gauche, il y avait une ouverture qui accédait directement à la station de métro. Il décida de quitter les souterrains pour rejoindre les quais de la Porte Dorée.

A la périphérie de Paris, il y a quantité de portes. Elles sont invisibles. Ni clenches ni loquets. Elles ont en majorité leurs stations de métro. La Porte Dorée est l’une d’entre elles avec ses escaliers, ses souterrains et sa ligne. Il n’était pas encore huit heures et ses quais fourmillaient déjà de voyageurs se rendant au travail. Le son des talons se répercutait sur la faïence des murs. Toutes les cinq minutes, un métro se présentait en gare avec son bruit caractéristique fait de résonances de crissements et de sifflements. Les gens descendaient et montaient à chaque arrivée. Certains rentraient chez eux pour se coucher. Les uns exténués par le rythme des 3/8, les autres assommés par une nuit blanche et festive.

Il aperçut une jeune femme assise sur une chaise emmitouflée de ses frusques. Elle avait gardé ses lunettes et son chapeau sur la tête. Elle serrait comme un trésor, sur son ventre, un sac à main. C’est peut-être cela qui la différenciait des autres voyageurs. Et c’est peut-être cela qui décida Gavroche à lui parler.

 

***

 

-         Où est Kevin demanda Mère ?

-        Sur le quai de la Porte Dorée, il parle avec une femme.

Mère s’approcha de l’écran.

-         C’est la pétasse d’hier soir ?!

-         Ouais elle en a bien l’air

Elle vérifia son identité sur un autre écran. Sa généalogie apparut.

Merde pensa-t-elle et s’adressant aux sentinelles

-         Ne la quittez pas des yeux

Elle prit le téléphone, on décrocha.

-         Elle est à Paris.

 

***

 

-         Bonjour, je m’appelle Gavroche.

La jeune femme jeta un oeil vers son interlocuteur.

-         C’est pas ton vrai nom ?

-         Bien sûr que non ! c’est les types des rames qui m’appellent comme ça.

-        Conducteurs

-        Quoi conducteurs ?

-        Ce sont des conducteurs de rames.

-        Ah ! tu vas pas t’y mettre toi aussi, on dirait ma mère.

-        Bon excuse-moi. Mais elle a bien raison ta mère de te reprendre. Je m’appelle Marie

Marie aimait déjà ce gamin à l’allure titi parisien croqué au début du 20e siècle par un certain Francisque Poulbot. Son surnom lui allait bien. Elle constata qu’il s’habillait comme ces enfants montmartrois. Son visage était mangé par les mêmes grands yeux intelligents, ses joues rondes et rosies par le temps passé dehors, les cheveux ébouriffés et ses lacets toujours défaits.

Il était pour aujourd’hui son rayon de soleil.

Gavroche était dans ses pensées. Ce mur sans porte l’intriguait. Faudra-t-il faire le tour du bâtiment pour trouver c’te fichue lourde ?

Il regarda la jeune femme et la jaugea rapidement.

-         j’ai quelque chose à te montrer dit-il

Elle le suivit jusqu’aux souterrains.

Gavroche entreprit de lui expliquer son problème.

Il était juste 8h00.

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