La cathédrale de St Mephraim
Chaque ville à ses secrets et ses légendes. Qu’elles soient bénies ou bien maudites, elles donnent l’identité de chaque cité, de chaque village, mais aussi de tous leurs citoyens. Ces mythes proviennent de différents éléments, un arbre, une vieille bâtisse, un fleuve, une figure, un symbole. La Rocella ne fait pas exception car que ce soit la forêt des Aytriac ou le vieux manoir à l’extérieur de la ville, elle est soumise à ces histoires connues de tous. Et parmi l’une d’elle, la cathédrale de St Mephraim en terrorise plus d’un. Pourtant, ce lieu de culte est très réputé, visité par les touristes et prié par de nombreux croyants à longueur de journée. Mais une fois la nuit tombée et les lourdes portes fermées, plus personne n’ose y pénétrer, ni même s’en approcher. Bien qu'éclairée, l’immense structure se décolore, l’obscurité teintant chacune de ses pierres. Seules quelques créatures n’hésitent pas à côtoyer ces tours et ces murs, surveillant les citoyens de leur moindre faits et gestes autant de jour que de nuit. Bien qu’à l’écoute des histoires, ou même des chuchotements entendus au coin d’une rue, elles semblent condamnées à y errer pour l’éternité. Les gargouilles et ses gardiens, des créatures aussi majestueuses que horrifiques. Même les plus braves et les criminels ne font pas l’affront de les regarder en face lorsqu’elles ne sont pas illuminées.
Les gargouilles, des véritables chiens de gardes de la cathédrale, prêtes à bondir sur n’importe quel individu qui tenterait de porter atteinte à ce lieu. On dit que leur maître se cache au fin fond des catacombes de la ville. Craignant la lumière du soleil, se sont ses bêtes qui entraînent leurs proies dans ces ruines labyrinthiques afin de pouvoir nourrir leur seigneur, ou simplement lui offrir une source de divertissement.
Quant aux gardiens, ils ornent la façade de la cathédrale, réparties sur trois niveaux. Il s’agit d’animaux, entrant en conflit avec leur rival, chacun situé aux extrémités des murs. Contrairement aux gargouilles, on dit qu’ils survolent et arpentent la ville une fois le crépuscule achevé, afin de la protéger de tout les vices du monde. De nombreuses œuvres, récits et ouvrages en font l’éloge, notamment un poème que chaque parent raconte un jour à leur enfant.
Que tu fasses le bien ou le mal, un des gardiens viendra pour toi
Soit sage et la chouette harfang te protégera
Ne le soit pas et dans ses serres le grand duc t’emportera
Enfuies toi d’un crime, ainsi chez le loup noir tu te perdras
Mais n’aies crainte de t’égarer car le renard blanc te guidera
Si tu fais du mal aux autres, la cheffe des musaraignes te croquera
Alors que si tu aimes ton prochain, les frères hérisson et porc-épic seront avec toi
À l’inverse de ce que l’on pourrait croire, il n’y a pas un bon et un mauvais gardien. Chacun d’eux a son rôle. Certains sont là pour récompenser et protéger les plus méritants, les autres s’occupent du sale travail, guettant au fin fond des sombres ruelles de la ville, le moindre larcin que l’humanité pourrait causer. Cependant le poème est souvent raccourci, soit par désintérêt, soit par crainte qu’une potentiel prophétie se réalise. Les visiteurs ne sont que superficiels et ne se concentrent que sur la face avant du bâtiment. Pourtant, là-bas, à l’arrière de la cathédrale se trouvent trois autres créatures. Ce ne sont pas des animaux, ni même des démons, mais des êtres mystiques, gouvernant de loin les gardiens dans leur mission. Dans quel but me direz-vous. Tout simplement parce qu’elles sont elles même dominées par un ange, figuré au sein de l’église par une grande statue de pierre, saint Esdrael. Mais le poème en donne une toute autre origine, des prémices plus sombres qui diffèrent grandement des dires du peuple. En réalité ces trois êtres, que toutes les histoires surnomment les trois juges, auraient engagé ces animaux pour simplement flatter l’égo du maître de ces lieux. Ainsi fait, la créature qui aura le plus protégé cette ville aura le droit d’aller anéantir l’individu qui se tapit au fond des souterrains. Les gargouilles n’auraient alors plus rien à apporter à leur odieux dirigeant, affaibli par le manque de ressources.
Mais que tu fasses le bien ou le mal, les gardiens te présenteront
À chacun leur tour, les trois créatures te jugeront
Le maître, ainsi que les juges de la cathédrale, te féliciteront ou te puniront
Mais prends garde aux gargouilles qui sont à l’affût
Ces démons qui n’arpentent pas les rues
Mais qui pourtant peuvent t’enlever à ton insu
Et t’entraîner pour peu que tu sois goutu
Au fin fond des catacombes et que l’on ne te revoit plus
L’histoire pourrait simplement s’arrêter à un simple conte pour enfant. Malheureusement celle-ci peut révéler des secrets bien plus sombres si nous remontons ensemble au temps de sa création. Mephraim, un étranger venu d’on ne sait où, est arrivé il y a plus de quatre cents ans dans cette ville. On raconte qu’il était dans un piteux état, assoiffé et affamé, couvert de crasse et de vieilles blessures, avec une simple toge pour habit. Le regard vide, il marmonnait un dialecte incompréhensible, sans même faire attention où il déambulait. Épuisé, l’homme s’écroula au sol, devant tous les habitants de la ville. Mephraim ne se réveillera que plusieurs jours plus tard, et remerciera les habitants de leur extrême bonté. Il devint alors un homme serviable, aidant la population dans les moindre tâches quotidienne. Un jour, il se mit en tête de construire une immense cathédrale, en l’honneur des forces de la nature afin qu’elles protègent la ville et ses habitants. Dès lors, ce rôle est assuré par les animaux qui, encore maintenant, gardent fièrement les portes de la cathédrale.
Pendant la construction, Mephraim prit sous son aile deux apprentis, Esdrael et Assarim. Tous deux orphelins, ils devinrent des hommes comme l’était leur tuteur. Mais les années passèrent, et celui-ci vieillit, s’échappant peu à peu de la société pour se renfermer au fin fond de sa demeure. Les deux élèves ne tardèrent pas à le suivre, devenant des ermites à leur manière et ne sortant que pour prêcher la parole du vieil homme. Esdrael restait bon et juste, mais Assarim était plus froid, préférant laisser son frère adoptif sur le devant de la scène. Même si rien n’était prononcé, quelque chose se tramait dans cette église. Et la nouvelle se répandit rapidement dans le village. Lors d’une nuit sombre et brumeuse, un cri déchirant résonna à l’intérieur du lieu saint. Assarim venait d’assassiner son maître, prétextant qu’il détenait la vérité du monde mais qu’il ne la révélerait à aucun d’entre eux. Le jeune assassin convoitait ce savoir. Esdrael, furieux, vengea son maître en affrontant la seule famille qui lui restait.
Tout ceci aurait pu se finir ainsi, mais c’est ici que les ténèbres entachent notre histoire. On dit qu’Esdrael ne put se résoudre à le tuer, laissant son frère dans une mare de sang, mais vivant. C’est après ce jour qu’il reprit la construction, la décorant avec de nouvelles têtes. Les trois juges pour faire régner l’équité ainsi que les gargouilles pour effrayer et pourfendre les criminels sévissant sur ces terres. Mais dans l’ombre, l’élève redevenu orphelin aurait creusé des galeries sous la ville, un dédale que lui seul avait la connaissance et surtout le plan pour en sortir vivant. Ainsi, il y dissimula son frère et son crime. À jamais prisonnier de ces murs et de ces nombreux pièges, il erra inlassablement à la recherche d’une sortie vers le monde. Le son de la cité capturant son esprit, il passera des siècles torturé par les bruits de sa ville natale qui vit et grandit sans lui. Quant à Esdrael, il finira ses jours seul, enfermé dans cet immense bâtiment vide. Ironiquement, c’est ce qui lui avait donné une nouvelle vie qui lui donnera finalement la mort.
Encore à notre époque, cette histoire est restée dans les mémoires, devenant une légende que certains pensent véridique. Les catacombes sont à ce jour en grande partie inexplorées, de part leur complexité mais surtout leur dangeurosité. Quant aux gardiens et aux juges, quelques personnes affirment les avoir vu quitter leur nid pour explorer cette ville et veiller sur elle. Depuis des centaines d’années nous leur attribuons la responsabilité de la disparition d’un objet ou d’une personne. Bien qu’aujourd’hui cela passerait pour une plaisanterie, il fut un temps où les affaires de disparition d’enfants étaient souvent réglées de cette manière, prétextant qu’Esdrael chercherait à remplacé son frère disparu.
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