Vis ma vie d'éduc'

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  Je comptais partir sur une présentation classique, âge, caractère, tout le tintouin pour vous permettre d'apprendre à me connaître, sauf que j'en suis vite arrivée à mon métier, et le paragraphe s'est étiré, a laissé place à un autre tout aussi long, et je me suis dit qu'au final, c'est par le biais de mon travail que vous découvrirez la vraie moi.

  Alors, pour la faire courte (je n'arrive jamais à me tenir à cette phrase, vous êtes prévenu(e)s :

  Je suis Xisca (vive l'anonymat !) et j'ai trente ans (aïe ! Je pourrais vous parler de mon passage de dizaine, confinée en tête-à-tête avec ma mère (Et Leonardo DiCaprio quand même !) mais nous verrons cela, peut-être, plus tard).

  Je suis éducatrice spécialisée et bosse en internat auprès d'adolescents et de jeunes adultes porteurs de déficience intellectuelle légère à moyenne, avec ou sans troubles associés (voilà le bla-bla correct). Pour être plus claire, je travaille auprès de jeunes de 15 à 18 ans avec un niveau scolaire de CP-CE1, CE2 grand max pour la plupart. Des jeunes au passé parfois lourd qui impacte leur présent et leur futur. Des jeunes qui sont parfois aussi matures qu'un enfant de 6 ans. Des ados qui, dans ce contexte de manque de maturité, de troubles, de déficience, traversent l'adolescence et tous ses questionnements (orientation sexuelle, influence familiale, besoin de reconnaissance, d'appartenance à un groupe, normalité VS handicap, etc, etc) sans oublier l'approche dangereuse de la majorité, les questionnements sur leur vie d'adulte, leurs envies, leur capacité à travailler, à avoir un logement autonome, à pallier leurs difficultés pour pouvoir s'en sortir.

  Honnêtement, j'adore mon boulot auprès de ces jeunes. J'adore être surprise par leurs questions. Encore hier soir, à table, quand nous en sommes venus à parler politique. Oui oui, politique ! Ou ce soir, quand nous discutions de l'envie d'avoir ou non des enfants pour tout un chacun et où l'un des jeunes m'a demandé innocemment "et toi, tu veux des enfants ?" qui a amené le sujet des aspirations, de la liberté de vouloir ou non, des attendus de la société. J'aime tant cette spontanéité, cette curiosité du monde qui les entoure et dans lequel nous essayons de les inclure au maximum, malgré leur mise en retrait, dans cet internat dédié. Et j'aime, par-dessus tout, pouvoir leur transmettre des valeurs qui me sont chères, les amener à se questionner sur notre société, sur ses dysfonctionnements (parce qu'ils sont nombreux hein, on est d'accord !).

  Avec eux, on peut parler de tout. Aucun sujet n'est tabou (même si certains les mettent mal à l'aise et les font ricanner...). Ainsi, je peux partager un repas avec eux en abordant le thème de la sexualité (et me retrouver à enfiler un préservatif à une banane...), comme on peut échanger sur le racisme, l'homosexualité, la place des femmes dans la société. On peut parler football, tennis, rugby, comme on peut aborder le thème de l'amitié, de l'amour et de la haine. Ils ont beaux être déficients, ils sont avides de compréhension ; ce monde qui les entoure est tellement fou, impressionnant et déstabilisant, qu'ils cherchent à savoir ce qui les attend.

  Bon ok, je vous mens, il y a tout de même un sujet tabou : le handicap. Parce que pour eux le handicap est physique, négatif et il leur est inconcevable d'être eux-mêmes handicapés. Ils marchent après tout !

Si je devais résumer mon métier en une phrase : Je reçois autant que je donne, si ce n'est plus.

  Mais, sachez-le, je ne suis pas du genre à résumer mon job en une petite phrase. Lorsqu'on me lance sur le sujet, je suis tout simplement intarissable.

  J'aime chaque moment du quotidien avec eux. J'aime plaisanter, prendre le temps de discuter avec eux, de tout et de rien, de leur histoire, de leurs doutes, de leurs peurs, de leurs envies. J'aime leur apprendre de nouvelles choses, les pousser à s'intéresser à des sujets nouveaux. J'adore répondre à leurs questions même si parfois elles me mettent mal à l'aise. J'aime parfois les choquer, les titiller, les agacer. J'aime souvent les chambrer, retourner leur lit, les battre aux jeux de société (toujours avec modestie, ou presque), leur faire découvrir de la bonne musique (Les Red Hot, Pink Floyd, Muse, et dans le genre un peu plus actuel Ed Sheeran, Rag'n'Bone Man, Grand Corps Malade... Liste évidemment non exhaustive mais ne comprenant pas Jul et autres 'chanteurs' vulgaires).

Je mets un point d'honneur à les faire sourire et rire le plus fréquemment possible.

  Je travaille quotidiennement à leur bien être, parce qu'il est essentiel. Je me réjouis chaque jour de leurs avancées, de leurs réussites, de leur acharnement. Je leur tends la main et les accompagne dans tout cela, en les poussant à trouver leur voix et leur voie.

Je mets un point d'honneur à les faire sourire et rire le plus fréquemment possible.

  Je chante, je fais des blagues (pas toujours drôles mais chut !), je joue, je fais l'andouille. Je me tire les cheveux et m'en fais des blancs, cherche des solutions, propose des idées, apporte des outils. Je me bats pour eux, parfois contre eux, contre mes collègues, contre ma direction s'il le faut. Je galère, j'échoue, je me remets en question, je me prends des gamelles. Je me soigne, me relève et j'essaie encore, plus fort, parfois mieux mais pas toujours.

Je mets un point d'honneur à les faire sourire et rire le plus fréquemment possible.

  Ce métier je l'ai dans la peau. Et j'ai la chance d'avoir un job qui me permet, en arrivant devant la barrière, de laisser mes soucis personnels à l'extérieur et de m'impliquer à cent pour cent. A contrario, je vis cela à cent pour cent et c'est parfois chargée du travail que je retrouve mon chez moi. Parce qu'évidemment, cela se saurait si tout était parfait. Ce boulot peut te ronger, te bouffer, t'épuiser et te mettre à terre.

  Ah et, au fait : Je suis éduc, ce qui signifie que je râle, bois du café, ne suis jamais satisfaite, bois du café, me plains, bois du café, gueule, bois du café.

Voici ma petite vie d'éduc, ma petite vie de femme, ma petite vie de rebelle. Bienvenue dans ma tête, et désolée d'avance mais il n'y a pas de plan pour en sortir, c'est à vos risques et périls.

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