Le bas de soi

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Samara tenait mon bras en étreinte, comme si nos vies en dépendait. Nous avons léché les vitrines du bourg. Dans la plus tortueuse ruelle, elle fit une halte pour admirer un mannequin qui portait une irrésistible robe rouge. Elle se lança discrètement à siffler un air connu. Moi, n’étant pas du matin question chant, j’optais pour la ligne de basse. Il ne manquait plus qu’un rythme pour une danse. Dans un méandre de cité, une ruelle ignorée, Samara s’était emparée de moi, sur trois temps en chanson. Et nous avons valsé jusqu’à l’ivresse, jusqu’aux rires.

Enfin… Jusqu’à ce qu’un riverain pousse une beuglante. Il était tellement bourré qu’on a préféré détaler dare-dare. J’adorais sa manière de prendre les virages. Elle croyait pouvoir freiner avec ses bras, qu’elle gesticulait comme une adorable guenon.

C’est elle qui précipita la fin de la cavalcade. Nous étions arrivés chez elle et il commençait à être tard. Elle s’approcha pour me tendre un très léger baiser.

  • Je ne sais pas encore ce que nous aurons au goûter, Monsieur.
  • J’accepte volontiers.

Elle entra chez elle comme un courant d’air. Je refermais la porte d’une petite entrée qui conduisait vers trois pièces et un recoin. Elle voleta un petit tour dans le salon qu’elle alluma en ouvrant les rideaux.

  • J’ai mal aux pieds. Choisissez un fauteuil.
  • Samara, je ne comprends pas.
  • Voulez-vous ôter vos chaussures ? Dit-elle en quittant les siennes.
  • Notre rencontre n’est-elle pas fortuite ? Où dois-je les déposer ?
  • Dans ce coin. Allons nous laver les mains, me pria-t-elle.
  • Vous ne pouviez pas m’attendre.
  • Il faisait très beau ce matin.

Ses mains se mêlèrent aux miennes, dans le savon d’une eau très tiède. J’étais à une seule idée de l’embrasser. D’autant que son regard impossible me croisait dans le miroir.

  • Voulez-vous du thé ?
  • Non.
  • Comme vous êtes tranchant.
  • Je ne suis pas… un parfait enfant, Samara.
  • Je devine le fond de votre pensée.
  • Peut-être, mais en ce qui me concerne, c’est un désir.
  • Ainsi, vous témoignez l’amour que vous me portez ?
  • Justement ce que vous avez enflammé, Madame.
  • Vous faites parfois… un parfait animal.

C’était le premier jour d’un chaleureux soleil de printemps. Notre humeur variait de la lumière à l’obscurité au rythme des rideaux qui s’ouvraient et se fermaient. Le matin, elle revenait d’un petit tour en faisant le plus de bruit possible. Elle me sortait de la torpeur en ouvrant la fenêtre sur le vert frais qui patientait dehors, et puis les tons roses, et puis ce furent les lilas.

Elle chauffait un peu d’eau pour la toilette. Je prenais un plaisir infini à la regarder se laver dans le grand tub. Le plus souvent, n’y tenant plus, elle m’invitait à lui passer l’éponge dans le dos, d’un seul regard. Elle m’interrompait parfois d’un semi-sourire pour me faire comprendre qu’elle aurait bien aimé aller pisser en urgence. Elle revenait alors soulagée et rieuse non sans avoir étalé de la mousse partout.

Ce matin, une silencieuse odeur de soupe se répandit pendant mon éveil. Les rideaux avaient préféré garder la grande pièce dans l’ombre. Samara entra avec deux bols fumants.

  • Buvez mon ami, tant que c’est chaud.

J’y goûtais.

  • Votre soupe n’est pas assez salée, Samara.
  • Il n’y a plus de sel dans cette maison.
  • Vous paraissez si sombre, Madame. Avancez, que je vois votre visage.

Elle avait une nouvelle fois pris l’air d’avoir vaincu des vents échevelés. Son teint transparent me portait à l’effroi. Ses yeux impossibles passaient déjà outre-fenêtre.

  • Vous m’inquiétez, tendre mousse.
  • Finissez votre bol, nous partons.
  • Je… oui, vous me surprenez. Où allons-nous ?
  • Nous passerons d’abord par la maison de Belice et Gweb.
  • D’accord, mais est-ce loin ? Sommes-nous en bonne condition ?
  • Je vous en conjure, finissez votre bol.

La direction de la montagne était hautement désignée. Je rechignais à l’idée de manquer d’air en arpentant ses crêtes abruptes, aiguisées de surcroît par le froid. Samara me fit un signe de tête en direction opposée, à mon grand soulagement. Nous passâmes la porte principale du village et la laissâmes disparaître après un lent virage vers le sud.

Nous descendîmes rapidement la pente d’une forêt d’altitude. Une pente épineuse et rocheuse. Après avoir marqué une pause assise, Samara choisit une sente qui se précipitait vers le son d’une cascade. À mesure que nous approchâmes, l’air s’emplit de fines gouttelettes irisées et d’un vacarme assourdissant. Elle ramassa une perche qu’elle m’offrit solennellement. J’y aurai recours pour sauver ma verticalité, sujet glissant. Elle changea aussitôt de direction pour nous conduire vers l’aval. Et pour toujours, en toute légèreté, elle aura agité ses bras dans les virages.

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