02 - La chance

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La chance, un sacré beau mot, non ? P’tits pirates, avez-vous d’la chance, vous ? Essayez d’en avoir le plus possible, c’est toujours utile. Moi, hier encore, je m’suis risquée à une p’tite partie d’cartes, et j’vous assure qu’j’en ai eu, d’la chance, j’me suis fait un sacré paquet d'blé ! J’vous révèle direct que j’ai pas gagné des céréales, c’est just’ une expression pour dire qu’j’ai gagné plein d’oseille. D’ailleurs, un conseil, quand vous jouez n’hésitez pas à parier d’l’argent, ça rend l’jeu beaucoup plus passionnant ! Ah, vous n’en avez pas… Pas d’problème, faites un strip pok… euh... pariez des billes.

Deux jours de plus, voilà deux jours de plus où il ne se passait rien, absolument rien. Pas une seule terre à piller, pas un seul bateau croisé, rien à aborder. Puis soudain, au matin du troisième jour, la vigie, qui par chance avait dû rouvrir un œil entre deux siestes saccadées de renvois aux relents de rhum, s’écria :

– Bateau en vue, bateau en vue, BA-TEAU-EN-VUE !

Quoi ? Comment ça qu’est-ce que c’est qu’une vigie ? Et aborder aussi ?

Bon, aborder ça veut dire sauter sur l’bateau enn'mi l’épée à la main et attaquer tous ceux qui n’veulent pas coopérer. Parce que nous, dans l’absolu, on n’demande qu’à êt’e gentils, on aime bien s’batt’e, mais si on peut éviter c’est mieux, c’est moins dang’reux, c’est moins fatigant.

Mais bon, faut pas s’leurrer, lors d’un abordage, il y a quand même un minimum de bagarre : on embroche, on esquive, on blesse, on s’blesse et on gagne ou on fuit.

Lorsqu’on gagne, on récupère toutes les richesses possibles. Et j’vais vous dire un secret, on gagnait quasi à tous les coups car on avait une tactique imparable : toujours attaquer les plus petits que soi ! Souv’nez-vous en, ça vous s’ra utile dans la vie !

En tout cas, moi, j’adorais aborder l’ennemi. J’suis sûre qu’vous aussi vous auriez aimé. Quel dommage qu’on n’puisse plus l’faire.

Pour c’qui est d’la vigie, c’est tout simplement l’pirate qui est puni. C’est ça, oui, comme le coin ! J’vois qu’tu connais bien. La vigie on la fait monter tout en haut du mât, au-d’ssus d'la plus grande voile, pour qu’elle puisse observer tout l'horizon.

En quoi ça c’est une punition ?! Bah vas-y toi ! Déjà, ose monter tout en haut d’un mât qui bouge. Ensuite, j’tassure qu’on s’fait vraiment, mais alors vraiment, royal’ment chier quand on y est ! Et l’pire, c’est qu’s'il n’y a plus d’rhum, bah pas l’droit redescend'e pour en r'chercher.

Pour reprendre le cours de cette histoire, là, la vigie a donc vu un bateau.

À l’annonce de la vigie, le Capitaine sortit sa longue-vue. Il la déplia, la plaça sur son œil, le gauche, et scruta cette victime potentielle.

<< – Un seul bateau. Juste un seul, sans aucun navire de guerre pour le protéger >>, pensa-t-il pour lui-même.

Un peu méfiant, il fit largement pivoter sa longue vue de droite à gauche, puis zyeuta à nouveau celui qu’il aima à appeler « le chanceux venu ».

<< – Il est vraiment tout seul ; petit et il ne m’a pas l’air bien dangereux. Voilà notre objectif. Ça va être facile et rapide. >>

Le Capitaine, heureux que la situation tourne enfin en sa faveur – en leur faveur, se reprit-il –, fit face ses hommes et déclara de sa grosse voix grave :

– Cap à l’ouest, direction ce navire ! Pirates, je vous l’avais annoncé, vous m’avez fait confiance, et vous avez eu raison de ne pas douter ! Notre cible est là, à notre portée, allons la piller ! À nous la cargaison de ce rafiot ! Que dis-je, à nous l’or, le pactole, la fortune... la gloire !

– Hourra ! Hourra ! Au pillaaaggge, à l’abordaaaggge, au pillaaaggge, à l’abordaaaggge, alloonnns trouveeeer notre oor ! Notre ooor ! Notre oooor ! Notre ooooor ! se mirent à chanter en rythme et d'une voix mélodieuse tous les pirates.

Oui, bon, ok, j’admets ne pas être sûre que tous se soient vraiment mis à chanter. Ça aurait pourtant été grandiose... Imaginez donc tous ces pirates chantant à tue-tête avant de partir à l’abordage ! J’aurais aimé voir ça, mais en général les pirates n’aimaient pas trop chanter, ou seulement dans les tavernes… ou dans les Disney. Et à dire vrai, ils chantaient toujours de façon cacophonique ! Ah ça, oui !

Ce qui veut dire ? Cacophonique ? Ça signifie qu’les pirates ne sont pas connus pour savoir bien chanter ! Ils le font sans accord, sans aucune musicalité, et émettent des sons que je qualifierais – pour être polie – de ridicules et de désagréables !

La moralité, mes p’tits pirates, c’est que si on n’sait pas chanter, on pense aux autres et on évite de brailler. Et pas la peine de prend’e des l’çons, si c’n’est pas inné, si vous n’avez pas déjà une belle voix, vous n’l’aurez jamais.

Et moi ? Bah tu m’entends non ?! Tu l’vois bien qu’j’ai une belle voix ! Non mais, quelle question bête.

Le Capitaine, lui, n’a jamais aimé l’chant, ça l’agaçait, et jamais il ne se serait ainsi exposé en public. Moi, j’aime ça, et j’aime aussi danser. J’trouve d’ailleurs qu’la vie devrait être une comédie musicale. J’adore les comédies musicales ! Ça parle et d’un coup tout s’agite, ça danse, ça chante, ça s’trémousse, ça s’égosille, c’est magnifique ! Qui fait ça dans la vraie vie ? Personne. À mon grand regret, car tout s’rait beaucoup plus amusant.

Tenez, j’vous lance le défi d’passer une journée à n’faire que chanter ; aussi bien à l’école qu’à la maison. J’l’ai d’jà fait, vous allez voir c’est marrant, les gens rigolent, sourient, puis... en fait au final ils s’énervent. Mais c’est si bon d’pousser les gens à bout. Et pour ça, j’vous fais confiance, vous saurez faire.

Les pirates sortirent lentement de leur torpeur, regardèrent la forme encore lointaine, indistincte, et à leur rythme commencèrent à se préparer.

Les moins éveillés s’aspergèrent d’eau pour s’éclaircir les idées, les plus vivaces beuglèrent des ordres - non écoutés - en tout sens ; les plus dénudés s’habillèrent pour être présentables, les plus habillés se dénudèrent pour se mettre à l’aise ; les joueurs mal engagés jetèrent cartes et dés, les joueurs chanceux râlèrent de devoir arrêter la partie ; les plus courageux se mirent rapidement à manipuler les voiles restantes, les plus fainéants attendirent que tout soit fait. En tout cas, tous récupérèrent épées, couteaux, haches, et même quelques mousquets.

Alors, qui sait ce qu’est un mousquet ? Personne ? C’est un vieux pistolet qui n’tire qu’un coup. Et des fois qui n’veut pas tirer. En fait, c'est un pistolet qui fait un peu c’qu'il veut.

Comme vous, p'tits pirates, des fois vous êtes gentils et vous obéissez, et des fois vous êtes méchants - comme les vrais pirates - et vous faites c'que bon vous semble.

Le bateau, désigné comme « cible à éteindre », comportait une seule et unique grande voile, soutenue par un seul et unique grand mât, placé pile au centre du pont. À une époque où tous les bateaux étaient fardés de voilures, de mâts, de cordes, de nœuds complexes en tout genre, ce petit bateau était finalement sobre et étrangement simple.

Bon, va vraiment falloir que j’m’adapte à vot’e façon d’parler. Fardé, ça veut dire qu’les bateaux étaient équipés, comme déguisés, de nombreuses voiles, mâts, cordes et autres. Là, just' une voile, just' un mât. Peu de cordes, peu de nœuds. Ok ? Cool.

Sa coque était par contre anormalement gigantesque : trop haute, trop grande, trop large. Une coque qui, à coup sûr, le ralentissait ; d’autant plus que le vent n’avait que cette unique grande voile sur laquelle souffler. À une époque où tous les bateaux se devaient d’être rapides, soit pour le combat, soit dans la fuite, soit tout simplement pour réduire les temps de trajet, et bien celui-ci devait être bien lent. Une bonne chose pour les pirates. Mieux : une chance inconcevable pour des pirates naviguant sur un bateau en partie détruit.

Toujours par l’intermédiaire de sa longue-vue, le Capitaine s’inquiéta de savoir quelles armoiries flottaient : le drapeau hissé tout en haut du mât laissait entrevoir un cheval sombre sur un fond jaune. Étrange motif, le Capitaine ne l’avait jamais vu et n’en avait jamais entendu parler.

Quoi encore ?! Mais vous parlez quelle langue à la fin ? Bon, armoiries c’est… euhh… c’est un dessin qui nous r’présente. Par exemp'e, la tête de mort représente les pirates. Là, le Capitaine ne sait pas qui a choisi un cheval sur fond jaune comme symbole.

Et vous, quel dessin choisiriez-vous pour vous caractériser ? La tête de mort aussi ? Vous commencez déjà à dev’nir de vrais p'tits pirates !

Maintenant on évite d’interromp’e l’histoire, je n’répondrai aux questions qu’à la fin !

Le Capitaine avait invoqué la chance et à première vue elle semblait être au rendez vous. Un bateau, sorti de nulle part, idéal à aborder, se présentait enfin à eux. Pourtant quelque chose le tracassait et il ne put s'empêcher de se questionner :

<< – Pourquoi est-il tout seul au milieu de l’océan ? Quel est donc cet étrange rafiot bizarrement construit ? Ça ne semble pas être un bateau de pêcheurs, aucune mouette ne tourne autour. Ce n’est pas qu’un simple bateau marchand, il serait taillé pour la vitesse et ce n’est pas le cas. Ça ne peut pas être un bateau de voyageurs, il serait plus grand. Ce n’est pas un bateau de pirates, ahh ça non ! Des rois ou des reines, des personnes importantes ? Non, pas là à naviguer seuls sans escorte. Peut-être de simples promeneurs ? Dans ce cas dommage pour eux ! Je ne sais pas qui est à bord mais nous allons vite le savoir ; qui que ce soit, ils ont eu la bêtise et l’imprudence de venir dans mon océan et ils vont bientôt le regretter ! La chance m’a guidé, je ne vais pas la décevoir, ni la laisser passer ! Ah ça, non ! >>

Le Capitaine mit son plus beau chapeau, celui avec les armoiries des pirates. Au même moment, le drapeau noir fut hissé à son tour tout près de la vigie. Les pirates venaient ainsi de se présenter et se dirigeaient maintenant vers leur proie.

Et qu’est-ce qu’il y a sur leur drapeau noir ? Une tête de mort, c’est bien. Mais j’n’avais pas précisé, ça n’est pas n’importe laquelle, derrière elle deux long os se croisent ! À l’époque, j’vous assure qu’c’était terrifiant d’voir ça !

Tous prirent des forces en buvant un coup de rhum ; mais pas trop. Ils allaient bientôt se battre, place maintenant à la sobriété, fini l’ivresse.

J’précise quand même que pas trop d’rhum pour un pirate, ça reste toujours trop d’rhum pour quelqu’un d’normal !

La grande voile étant déchirée, le Capitaine ordonna de sortir les rames ; les plus forts s’attelèrent à la tâche.

Tous étaient prêts et n’avaient dorénavant qu’à attendre que les deux bateaux se rapprochent. Concentrés sur l’attaque à venir, ils pensaient déjà tous à l’or qu’ils allaient récupérer.

C’est bien, tu as l’vé l’doigt. Dommage que tu sois patiente et que tu n’te sois pas décidée à l’rabaisser.

Bon, j't'écoute : qu’est-ce qu’il y a ? Tu n'as pas compris l’rapport entre l’bateau d’pêcheurs et les mouettes. Qui peut lui dire ? Bien ! C’est qu’elle est intelligente cette petite, c’est tout à fait ça ! Bravo, bonne déduction, pourtant à t’voir j’n’aurais pas pensé qu’tu étais si vive d’esprit. Donc oui, les mouettes tournent autour des bateaux d’pêche car elles aiment le poisson, et sur les bateaux d’pêche, y’a toujours des poissons. Voilà, tu t’coucheras toujours bête ce soir, mais au moins t’auras appris un truc.

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