Naturellement, en suivant la Commandante, le Capitaine sauta sur l’occasion pour la reluquer. De haut en bas, de bas en haut.

Inévitablement, son regard, pour finir, revint se fixer sur son fessier.

Évidemment, ainsi déconcentrée par cette vue, il en oublia tout ce qui l’entourait et se mit à penser :

<< – Joliment rebondi, ni trop gros, ni trop petit… quel chaloupé ! Quel beau petit c… >>

Logiquement, sentant ce regard insistant, et sans même avoir à se retourner, la Commandante l’interrompit dans sa contemplation :

– J’ose espérer que vous n’êtes pas en train de me mater les fesses ?

– Bien sûr que non, pour qui me prenez-vous ? s’offensa-t-il en toute mauvaise foi.

Elle s’arrêta net, il faillit la percuter. Elle tourna la tête sur le côté et du coin de l’œil le regarda pour lui signifier un « je ne suis pas dupe ! ». Il fit mine de ne pas comprendre, elle soupira, haussa les sourcils et se remit à avancer.

Mais avant de poser le pied sur la première marche, elle s’interrompit pour lui faire la leçon :

– Regardez-les si cela vous chante, à défaut de pouvoir les toucher un jour. Par contre, faites-en sorte qu’elles ne vous obnubilent pas au point de tomber dans l’escalier. Cela serait grotesque.

– Et comment ! Ça serait en effet très embarrassant. Mais de toute façon, un : un popotin ne m’a jamais rendu impotent, deux : le votre n’a rien d’extraordinaire, il est tout à fait…

Le Capitaine chercha ses mots, tout en moulinant sa main droite pour bien cerner la partie anatomique concernée.

Au bout du troisième, quatrième ou plutôt huitième rond, il termina enfin sa phrase :

– Tout à fait incroya… blement commun, ordinaire plutôt, oui c'est ça, tout à fait quelconque ! Et puis, trois : je vous ai dit que je n’étais pas en train de dévisager ce… euhhh… prodige… euhh ce... spectacle, enfin cette... euhhh... partie du corps, si... euhhh... indifférente ! Mince, voilà qu’à en parler vous me forcez à contempler, alors que j’avais les yeux rivés sur votre dos ! N’essayez pas de me faire passer pour un vieux vicieux qui aurait le regard mal placé, je sais me tenir !

– Certes, et vous êtes tellement convaincant que j’aurais tort de ne pas vous croire.

– Croix de bois, croix de fer, si je mens… si je mens...

– Si vous mentez ? l’enjoint-elle à poursuivre.

– Je ne mens pas ! Je suis quelqu’un de très distingué ! se courrouça-t-il.

– Oui, oui, il ne fait aucun doute que je viens d’en avoir la preuve. Arrêtons-nous là et contentons-nous de descendre, non ?

– Je vous suis.

Il aimait les femmes, le Capitaine. Surtout les plus belles et, même s’il a pu dire le contraire, croyez-moi, il ne se privait pas pour les observer.

Moi ? Non, avec moi c’était différent…

Pourtant je suis belle ? Oh, c’est mignon ça. Tu es gentil tu sais. Je te retournerais bien l’compliment mais, à moins d’un réel miracle à l’adolescence, j’crois qu’il va falloir te faire à l’idée qu’tout l’monde ne peut pas êt’e mannequin.

Donc non, le Capitaine n’a jamais regardé mes fesses. Et il n’aurait pas apprécié que d’autres le fassent. Il n’aimait en fait tout simplement pas qu’les hommes braquent leurs yeux sur moi, et les voir me séduire, j’n’en parle même pas !

Je m’souviens d’un jour où un jeune mat'lot m’avait r’gardée avec insistance. J’allais gentiment lui dire, comme je sais si bien l’faire, qu’c’était impoli de m’fixer ainsi, mais j’n’en ai pas eu l'temps. Le Capitaine lui a bondi d’ssus ! Après une explication envenimée et quelques paroles gratinées, il s’en est bien entendu suivi une bagarre. Trois, quatre coups de poings plus tard, le Capitaine avait gagné par K.O. Il a aussi fallu qu’il rajoute deux à huit coups de pieds au sol, just’ au cas où, pour être sûr de la victoire. D’ailleurs, si un jour vous vous battez, et j’vous souhaite que ça arrive souvent, parce que y’a rien de mieux qu’un bon combat, n’hésitez pas à vous assurer qu’votre adversaire est bien neutralisé. Oui, y’a rien de pire que d’croire en la victoire, commencer à la fêter, et voir son rival refaire surface. En plus, avec mon bon conseil, vous verrez que beaucoup d’films d’horreur auraient pu s’terminer bien plus vite et bien mieux. J’n’ai jamais compris pourquoi les héroïnes s’contentaient toujours de fuir au lieu d’achever leurs agresseurs. Ridicule.

Hein ? Vous n’avez jamais vu d’films d’horreur, vous êtes trop petits... Ahhh, bah vous n’savez pas c’que vous loupez. J’sais pas c’que vos parents vous laissent regarder à la télé, mais c’est quand même bien quand ça gicle. Qu'on soit bien d'accord, j'parle du sang… non, rien, oubliez cette précision.

Le sang qui part dans tous les sens en inondant murs et visages, une veine qui n’s’arrête plus d’couler, vous visualisez ou pas ? Non ? Bon, si j’ai l’temps d’en finir avec cette histoire, après on s’ f'ra le chouette "Massacre à la tronçonneuse". Vous verrez qu’avec ce classique du cinéma vraiment sympa, vous comprendrez où j’veux en v’nir.

En tout cas, le Capitaine, si j’n’étais pas intervenue vite fait pour l’arrêter après l’dixième coup de pied, et bah j’pense qu’il aurait fini par lui écrabouiller la cervelle, à ce jeune mat’lot. Ok, c’est vrai qu’durant l'altercation un œil est sorti d’son orbite. Mais ça s’est bien fini, il est dev’nu memb’e de l’équipage et tout l’monde l’a appelé "l’Jeune Borgne". Rigolo, non ? Bah, en fait pas trop, parce que peu d’temps après, il a perdu l’deuxième. J’vous expliquerai un aut’e jour comment ça s’est passé, une série de coïncidences abracadabrantesques ; quand j’y r’pense, wahou, impensab'e. Enfin, c’qu’il faut ret’nir c’est que : oui, quand ça m’concernait, le Capitaine pouvait dev’nir vraiment féroce.

La morale, mes p’tits pirates, c’est qu’vous pouvez zyeuter les jolies filles, y’a pas d’mal à ça, mais soyez un minimum discret. Puis n’les critiquez pas sur leur physique ! Grands dieux non, jamais ! Mes p’tites pirates, quant à vous, n’laissez pas les hommes être impolis, toutes les femmes méritent galanterie et politesse.

Toujours en tête, la Commandante entama la descente ; derrière elle, le Capitaine se mit donc, moralement, à la reluquer avec discrétion et courtoisie :

Pas très grande, les épaules presque carrées, une taille fine, des hanches plus larges, des cuisses musclées et le fessier donc agréable. Sa silhouette athlétique ne laissait pas de doute, elle s’entretenait et se montrait en forme.

Pour elle, pas d’uniforme ample, informe, comme les autres femmes. Vêtue toute de noir, elle arborait un pantalon moulant et une sorte de veste-pull en cuir, tenue pratique et résistante en toute occasion.

Ses cheveux foncés, bouclés, lui descendaient jusqu’aux épaules et s’organisaient en une jolie coiffure, malgré une implantation étrange, basse dans le cou, comme s’ils s’évertuaient à pousser tout le long de sa nuque.

Une peau sombre, mais pas noire, cuivrée, oui, elle avait la peau étonnamment cuivrée, presque scintillante, jamais il n’avait vu cela, étrange couleur due à un harmonieux métissage.

Il se remémora son visage, un nez fin, féminin, bien que marqué. Des yeux sombres, marrons foncés sans aller jusqu’au noir, grands et ronds. Pas de boucle d’oreille, pas de collier, à son souvenir aucun bijou, mais un tatouage au milieu du front, partiellement caché par deux mèches en forme de cœur. Sans trop le voir, il avait au moins remarqué cet intrigant motif : une sorte de spirale rosâtre… mais peut-être n’était-ce finalement rien d’autre qu’une cicatrice.

Si quelqu’un, sur le champ, avait demandé son avis au Capitaine, sans hésiter, il aurait reconnu avoir là, sous les yeux, une femme portée par la beauté de la jeunesse et sublimée par le charme de la maturité. Quel âge pouvait-elle bien avoir, trente ans ? Certainement pas beaucoup plus…

Le Capitaine prit à son tour appui sur la première marche. Il quitta la Commandante des yeux pour promener une dernière fois son regard de droite à gauche. Autour de lui, femmes et pirates étaient toujours rassemblés d’un côté et de l’autre du bateau. Les hommes, dissipés, avaient repris leurs discussions ; les femmes, concentrées, gardaient le silence. Rien n’avait changé, sur le pont aucun signe d’une potentielle menace. Confiant, il descendit à son tour l’escalier menant au premier des deux paliers du bateau.

Là, p’tits pirates, vous vous dites que ça va aller vite, que la descente va se faire, et doit se faire, le plus aisément du monde, un pas après l’autre, qu'il n'y a rien d’bien sorcier, que c’est just’ un escalier.

Mais, p’tits pirates, pensez à ce fameux imprévu qui arrive chaque fois sans que l’on s’y attende, imaginez les marches légèrement glissantes et quelques peu abruptes, et surtout, surtout, pensez au Capitaine final'ment toujours distrait par le déhanchement de la Commandante.

Tout ça à la fois fait que :

Dès la quatrième marche, le Capitaine trébucha. Il se rattrapa à ce qu’il put : la Commandante. Il lui agrippa vigoureusement la taille des deux mains et, malheureusement, sous l’effet de la poussée, la fit vaciller à son tour. Elle chuta en avant, le Capitaine accroché à elle. Dans un fracas assourdissant, tous deux descendirent, dévalèrent, dégringolèrent les huit marches restantes plus rapidement que prévu. Le calme revenu, la Commandante se retrouva allongée sur le ventre au pied de l’escalier, le Capitaine sur elle dans une position surprenante : les mains sur ses fesses.

– Et si je vous disais que finalement, contre toute attente, la situation apparaît un peu loufoque, burlesque... voire ridicule. Vous-en diriez quoi ? tenta le Capitaine pour dédramatiser et faire abstraction du côté embarrassant, gênant, voire honteux de la scène.

– Un peu ? Un peu ?! En fait, je ne sais pas, je dirais que c’est si surprenant, tellement cocasse… Puis ce n’est pas comme si je vous avais dit de faire attention à ne pas tomber dans l’escalier. Grotesque ? Grotesque, oui, je crois que c’est le terme que j’avais employé, dans l’hypothèse que cela se produise… et dire que cela vient de se produire. Grotesque ! Mais pardon, hein. Oui, excusez-moi, j’aurais également dû vous préciser, au cas où lamentablement vous chutiez quand même, d’éviter de vous affaler sur moi ! Est-ce si difficile pour vous de descendre un escalier, une marche après l’autre ? Oh, j’y pense, peut-être est-ce pour cela que vous vouliez que la Générale vienne à vous, non ? Non ?!

– À vrai dire, en parlant de général, et bien en général je gère assez bien l’escalier. Mais là, patatrac. Une de vos marches doit être mal fichue. Sachez que les marches bancales ne réussissent à personne. Est-ce fait exprès ? Enfin, voyons le bon côté des choses, j’aurais pu tomber plus mal. Merci.

– Une marche de travers… Cela va de soit, nous les femmes, nous avons pour habitude de construire à la va-vite, nous n’aimons pas et nous sommes pas douées pour le bricolage, tout le monde sait cela ! N’est-ce pas ?!

– Je n’osais en effet pas l’évoquer de peur de vous froisser.

– Il est triste que ce ne soit pas plutôt mon derrière qui soit mal bâti, vous seriez sinon certainement resté attentif. Mais bon, je m’emporte et vous allez croire que je vous en veux, alors qu'il est vrai que vous ne le scrutiez pas… mon cul ! Quoiqu’il en soit, je suis heureuse d’être votre "moins mal", car oui, je vous confirme que, là, vous êtes étendu sur moi ! Puis par pitié, pitié, ne me dites pas que ce sont vos mains que je sens posées sur mon postérieur ?

– Puisque vous me suppliez, je ne vous le dis pas. Ferme mais moelleux. Vous n’aviez qu’à pas me lancer un défi.

– Un défi ? Quel défi ?! Mais quel défi ?! hurla-t-elle à bout de nerfs.

– J’avais cru que… le "à défaut de pouvoir les toucher un jour", non ? Zut, j’avais perçu vos paroles comme une sorte de challenge, expliqua-t-il pour l’agacer un poil plus encore.

– Ôtez vos grosses mains et poussez-vous de là que je puisse me relever ! s’agaça-t-elle un poil plus encore.

– Oh, oui, oui, bien sûr, bien entendu, loin de moi l’idée de rester coucher de suite avec vous.

– Non, en effet, ce ne sera pas pour tout de suite, grommela-t-elle furieuse.

– Je me trompe où est-ce un autre…

– BOUGEZ-VOUS !