08 – Le Jugement
Quitte à être plongé dans l’obscurité, le Capitaine en remit une couche en fermant les yeux. Concentré, posé, la respiration lente, il laissa alors son esprit s’ouvrir et se mit à penser :
<< – Laisser mon esprit s’ouvrir, laisser mon esprit s’ouvrir. Oui, c’est ça, laisser mon esprit s’ouvrir... Voilà, il s’ouvre, il se déploie, il est ouvert, totalement épanoui, j’attends, je patiente. Ouh-ouh ? Il y a quelqu’un ? PUNAISE ! Mais ça veut dire quoi "laisser mon esprit s’ouvrir" ?! >>
Vous ai-je déjà dit que l’Capitaine n’était pas l’roi d’la patience ? Non ? Bah voyez-vous, le Capitaine a toujours été relativement impatient. Il avait en horreur d’attendre à ne rien faire. On m’a raconté qu’une fois, il s’était rendu chez l’médecin. Il a attendu, attendu, patienté encor’ un peu, puis, bien sûr il a craqué. Il est entré dans l’cabinet du docteur et a exigé qu’on s’occupe de lui ! Le docteur a protesté et lui a dit d’sortir. D’après les rumeurs, il était en train d’couper une jambe et n’pouvait donc pas s’arrêter.
Est-ce-que vous visualisez bien la scène ? Un docteur est en train d’amputer la jambe d’un malade, forcément y’a du sang partout, le patient hurle, beugle, bouge, mais quand j’dis bouger, j’parle bien de tremblements nerveux dus à une douleur intense ! Parce que oui, faut pas s’le cacher, ça doit faire un p’tit peu mal quand même. Donc le patient gesticule, inévitablement la scie dérape, quitte sa trajectoire rectiligne, arrache toute la peau, entaille le muscle, attaque les nerfs, les tendons et, dans un son strident, va jusqu’à racler tout l’long d’l’os ! Le docteur essaye, tant bien qu’mal, de maint’nir fermement la partie à couper, puis se lance à nouveau. Et c’est r’parti : un coup de scie en avant, un coup en arrière, encore un va-et-vient, puis un autre. Au final, faut pas s’leurrer, le patient, un brin sensib’e, s’évanouit. Et alors qu’il en reste encore la moitié à scier, le Capitaine fait irruption pour exiger qu’on s’occupe de lui. L’horreur, hein ?
Le pauvre Capitaine, il n’avait pas d’mandé à voir tout ça, et v’là qu’malgré lui il y assiste ! Le malheureux, il voulait juste que ça aille un peu plus vite, qu’on prenne enfin son problème en compte. Il n’avait pas envie d’être là, là face à cette chirurgie barbare. Vous qui v’nez d’visualiser la scène, mettez-vous à sa place, notr’ infortuné Capitaine en a certainement presqu’ eu un haut-le-cœur. Et forcément, il en a été un peu tourmenté. Et agacé, mécontent et irrité.
Mais malgré sa gêne, bah vous savez quoi ? le Capitaine a été bon. Il a sorti son épée, et d’un coup sec, il a fini l’travail ! Oui, oui, oui, en un seul et unique coup bien précis, il a coupé bien proprement le reste de cette jambe sanguinolente ! Certaines mauvaises langues vous diront qu’il s’est d’abord trompé d’jambe, avant d’recommencer sur la bonne ; enfin, la mauvaise ; du moins j’veux dire pas la valide, l’autre ; au début il se s’rait trompé, après il aurait coupé celle qu’il fallait couper. Ok ? Je n’suis pas incompréhensib’e, ça va ? Ok.
En tout cas, si cette petite erreur est vraie – c’qui n’a jamais été démontré –, bien évidemment c’n’était pas d’sa faute, car faut pas oublier qu’il était malade ! Bah oui, j’vous rappelle qu’il était en train d’aller voir l’docteur, et j’souligne que la maladie ça peut tromper les sens et faire faire des bêtises !
Quoiqu’il en soit, après tout ça, l’médecin a pu s’occuper d’lui. Voilà, tout l’monde a gagné du temps et ça c’est bien fini.
Bon, une autre rumeur dit que l’médecin a exigé qu’il retourne patienter, qu’il l’a repoussé, qu’ils ont échangé quelques paroles gratinées, qu’une bagarre a inévitablement éclaté, que l’Capitaine a sorti son épée, que l’médecin a fini embroché et que l’malade est resté des heures avec une jambe à moitié coupée… avant d’mourir d’une hémorragie. C’est à dire qu’il a agonisé et qu’il s’est vidé, comme une bouteille sans bouchon, de tout son sang. Bon, c’n’est pas non plus impossible. Mais si c’est l’cas, faut pas oublier que l’Capitaine ça f’sait des heures… ou en tout cas un bon moment, qu’il attendait. Et ça, c’n’est pas normal !
Donc la première morale, mes p’tits pirates, c’est qu’il ne faut pas écouter toutes les rumeurs.
La deuxième morale, mes p’tits pirates, c’est qu’les médecins sont des sadiques qui prennent plaisir à toujours nous faire attendre.
Quoi ? Est-ce-qu’l’Capitaine a été soigné ? Bah oui ! Suivant la première rumeur où tout s’est bien fini. Et peut-êt’e que non, car suivant la deuxième version, faut savoir qu’un méd’cin avec une épée dans l’ventre, ça n’soigne plus grand chose ! Alors, certains prétendent que l’Capitaine l’a traîné longtemps, son rhume ! D’autres déclarent qu’il est resté des s’maines, avec sa gueule de bois ! Les rumeurs les plus folles prétendent même qu’il avait attrapé l’mal de mer !
Ah tiens, j’y pense, troisième morale, mes p’tits pirates, aussi cruel soit-il, évitez d’tuer vot’e méd’cin !
Le Capitaine rouvrit les yeux pour constater que ça ne changeait rien. Fermés ou non, il était plongé dans l’obscurité la plus totale. Il soupira, lassé d’attendre sur place :
– Pffff, montrez-vous. Pas la peine de persévérer à tester ma patience. Je vous préviens de suite que c’est inutile, je n’en ai pas ! Voilà, vous êtes au courant, alors même si on n’est pas pressés, essayons de gagner un peu de temps, non ?
Un bruit de pas se fit entendre face au Capitaine. Puis un autre, mais cette fois-ci sur sa droite. Le bruit paraissait lointain. Voila que maintenant, plus qu’un simple pas, quelqu’un semblait courir derrière lui. Puis sur sa gauche. Puis, plus rien. Le Capitaine ne bougea plus du tout, allant jusqu’à retenir sa respiration. Immobile, au milieu de ce qu’il prenait pour une clairière, il était à l’affût du moindre mouvement. Un nouveau bruit de course face à lui, puis à nouveau sur sa droite, derrière, sur sa gauche. Puis, silence, encore.
– À ce que j’entends, vous aimez courir.
– Ne bougez pas et ne parlez plus, intervint la Commandante.
Le Capitaine, un peu paumé, stressé, n’en fit qu’à sa tête et l’ignora :
– Ça doit expliquer pourquoi vous avez conçu un si large bateau. Montrez-vous. Pas la peine de persévérer à tester ma peur. Je vous préviens de suite que c’est inutile. Maintenant que je suis là, dans le noir le plus complet, que je ne peux donc plus repartir, que je n’ai d’autre choix que de me préparer au pire, pourquoi aurais-je peur ? Comme on le dit si bien, la peur évite le danger, mais maintenant que le danger est là, je n’ai plus de raison d’avoir peur. Je pense que…
– Mais taisez-vous donc ! Est-ce-que cela va devenir une habitude, chez vous, que de parler pour ne rien dire ? s’emporta-t-elle.
Un peu contrarié par cette question qu’il trouva un brin agressive, il prit son temps avant de répondre calmement :
– Non. Bien que peut-être inapproprié, ce que je disais n’était pas complètement insensé…
– Silence ! Laissez la Générale vous juger plus en détail, ordonna-telle sèchement.
Encore un peu plus contrarié, le Capitaine en arriva presque à bouder et décida, à contrecœur, de se taire. Il ne rumina pas longtemps et retrouva tout son sérieux quand les bruits de course reprirent. Mais cette fois-ci, plus proche de lui.
Il se concentra et arriva à la certitude que les pas n’étaient pas humains. Qui courait là ? Plus le bruit se rapprochait, plus le Capitaine crut reconnaître le son de sabots. Vu la cadence, le rythme, la puissance qu’il ressentait dans cette course, il opta effectivement pour un cheval en train de galoper.
<< – D’accord, soit, pourquoi pas. Faire monter un cheval dans un bateau, c’est possible. Les chevaux peuvent être utile une fois revenu sur la terre ferme. Mais par contre, là où je ne suis pas d’accord, c’est sur l’idée insensée de le faire galoper dans une cale plongée dans le noir total ! D’autant plus qu’on s’amuse à le faire tourner autour de moi ! Va falloir que ça s’arrête, vite, très vite, très très vite… >>
Rien ne s’arrêta, et au contraire la course s’accéléra. Ce qu’il prenait pour un cheval tourna en cercle autour de lui, se rapprochant petit-à-petit jusqu’à parfois le frôler. La chevauchée dura une minute, peut-être deux ; plus aucune certitude pour le Capitaine ; le temps se calqua sur le rythme imposé.
<< – Tourne, il tourne, à droite, ma droite, à gauche, frôlé, là-bas, il se rapproche, en face, déjà derrière ? À gauche, ma gauche, déjà sur la droite… >>
La course en devint envoûtante, telle une mélodie qui recommencerait sans cesse, si proche, si lointaine, qui accélérerait et aimerait à ralentir.
Alors, les yeux du Capitaine s’alourdissent, le galop le subjugue, plus exactement l’hypnotise, jusqu’à ce qu’il soit tout proche de s’endormir. Il cligne des yeux, une fois, deux fois, puis de plus en plus souvent. Ceux-ci se ferment, tout d’abord quelques secondes, et se rouvrent soudainement. Sa tête se fait lourde, penche sur la gauche, un soubresaut, s’incline sur la droite et glisse vers l’arrière. Ses jambes deviennent de coton, il peine à se tenir debout et ferme définitivement ses paupières.
La course continue autour de lui, incessante, lancinante, obsédante.
Le Capitaine renonce et s’agenouille ; une position bien difficile à garder ; il est tellement fatigué qu’il s’écroule sur le côté. Le bruit de son épaule heurtant le sol résonne dans son crâne ; le choc le réveille… un temps. Un temps infime où, dans un effort surhumain, il essaye de se relever, il arrive à s’asseoir mais au moment de se redresser, il retombe de plus belle en avant.
Le cheval s’approche, s’arrête, le hume et continue sa course, lente, rapide, si proche et si lointaine.
Couché sur le ventre, le Capitaine ne parvint plus à bouger. Il se sait vulnérable, mais malgré toute sa volonté, rien n’y fait, trop, c’est trop dur. Il est tellement fatigué, épuisé par son corps qui abdique, que s’acharner à résister devint une idée vaine.
Alors plus de lutte, il s’endort profondément.
Aussitôt, la chevauchée s’arrête. Ce que le Capitaine a pris pour un cheval arrive et se dresse au-dessus de lui. La Commandante, à son tour, s’approche. Une discussion muette, par télépathie, s’engage :
Ah, y’avait longtemps... C’est pour "télépathie", c’est ça ? Vous n’êtes pas sûrs, vous croyez savoir mais vous n’êtes pas sûrs-sûrs… Moui… bon… comme c’est important on va r’garder dans l’dictionnaire : Télépathie, nom féminin – jusque là rien d’compliqué –, transmission de pensées ou d’impressions quelconques d’une personne à une autre en dehors de toute communication par les voies sensorielles connues.
Voilà voila, avec ça vous avez tout compris. Non ? Ça m’paraissait pourtant être clair, mais bon vous n’étiez pas concentrés, j’lai vu tout d’suite. Regardons donc dans un autre dictionnaire. Oh ! On s’concentre, j’n’en ai pas douze des dicos !
Télépathie : Sensation éprouvée par un sujet, se rapportant à un événement réel survenu au même moment, mais à une distance ou dans des circonstances qui font que sa connaissance, par le sujet, est inexplicable.
Ok comme ça ? Toujours pas… J’avoue qu’là c’est plus compliqué, je n’suis moi-même plus très sûre d’avoir employé l’bon mot. Bon, vous avez d’la chance, j’ai toujours trois dictionnaires avec moi.
Télépathie : Communication à distance par la pensée, transmission de pensée.
Bah voilà ! Enfin un dictionnaire qui sait faire simple.
Quoi ? C’est c’que vous pensiez qu’cétait ? Pfff, mais bien sûr, facile à dire, maint’nant que j’viens d’vous… l’dire.
Moralité, pour moi, la prochaine fois que je n’saurai pas quelque chose – c’qui m’étonn’rait bien – faire comme vous, les mioches, et dire que j’savais pour faire mon intéressante et m’la raconter.
Mais c’est vrai qu’en réalité vous connaissiez la télépathie… oui, oui, bla, bla… à d’autres !
Moralité, toujours pour moi, ne pas s’démonter et insister. L’interlocuteur arrivera peut-être par y croire, sinon ça aura au moins l’avantage de l’énerver.
Car moralité, mes p’tits pirates, n’oubliez jamais que c’est toujours, toujours, rigolo d’pousser les gens à bout.
Mais moralité, mes p’tits pirates, méfiez-vous d’qui vous énervez, tâchez d’n’énerver qu’les plus faibles.
Un indice, mes p’tits pirates, j’suis plus forte, plus rusée, plus cruelle et bien plus dangereuse que vous. N’m’énervez pas !
<< – Alors, qu’en pensez-vous ? demanda la Commandante.
– Je ne sais pas quoi conclure de mon analyse, lui répondit la Générale.
– Il me semble que celui-ci a bien résisté, non ? Je ne crois pas me tromper en disant que, d’habitude, ils tombent bien plus vite.
– Oui, c’est exact. Il est endurant et a une grande volonté, on ne peut pas lui retirer ça.
– C’est une bonne chose pour nous.
– Ce sont évidemment des qualités qu’il ne faut pas négliger.
– Qu’est-ce-qui vous chagrine ? Je sens que vous n’êtes pas pleinement satisfaite.
– Quelque chose cloche, il a vraiment l’air de rassembler tous les critères mais… il a une partie, enfouie en lui, que je n’arrive pas à sonder. Étrange.
– Résumons, si vous me le permettez, Générale : Nous cherchons un homme courageux, fort et suffisamment avide de trésors pour ne pas refuser notre offre. Le concernant, je suis certaine que pour une simple promesse d’or, il est capable de se transcender.
– Oui, oui. N’oublions pas non plus qu’il faut, et avant tout, qu’il ait un côté sombre très prononcé. Il doit être suffisamment cruel. Avec un homme bon, nous risquerions d’avoir de très mauvaises surprises.
– Les hommes bons ne se risqueraient pas à notre mission, et n’accepteraient jamais d’œuvrer pour notre cause. Que les Ivoires se les gardent !
– Je ne doute pas qu’elles sauront en trouver. Il y aura toujours de bons idiots pour croire à une harmonie possible entre les peuples, qui s’exciteront pour un illusoire bien commun, qui privilégieront un altruisme grotesque plutôt que de se consacrer à leur petite personne, qui lutteront pour un monde égalitaire – pauvres sots –, qui se battront pour des symboles prônant la liberté ou toutes autres sornettes toujours plus risibles et saugrenues, déplora la Générale.
– Des hommes simples d’esprits, ricana la Commandante.
– Des hommes prétendus et appelés "bons". Il leur suffirait d’un soupçon de lucidité pour se rendre compte que le monde est ce qu’il est et ne changera jamais. Les plus forts s’imposeront toujours, régneront, établiront des bases hiérarchiques, promulgueront leurs lois, contraindront, astreindront, taxeront, récompenseront et reconnaîtront la loyauté, tandis qu’ils tortureront les infidèles et chasseront les révolutionnaires.
– Créant ainsi un monde où les idées nuisibles, et tant chéries, d’indépendance et de libre-arbitre seront abolies, continua, en bonne élève, la Commandante.
– Un monde juste où, une fois les limites établies et respectées, les peuples vivront en sécurité, épilogua la Générale.
La Commandante, pensive, conquise, hocha la tête.
– Bref, nous nous égarons, Commandante. Les Ivoires et leurs concepts puérils se dressent encore face à nous et retardent notre monde parfait. Revenons-en donc au Capitaine.
– Oui, oui. Les choses s’arrangeront d’elles-mêmes, en temps et en heure… Avec lui, je pense que nous ne pouvons pas nous tromper. Après tout, c’est le capitaine d’un bateau de pirates, et les pirates ne sont pas connus pour être bons. Pour exemple, il n’a pas hésité à nous aborder pour piller notre or, cela sans état d’âme, sans se poser de questions sur qui nous pouvions être. Si il avait dû nous tuer, il n’aurait pas hésité. Une femme a d’ailleurs péri lors du tir d’un boulet de canon, et il ne s’en est pas ému le moins du monde. D’ailleurs, pourquoi n’avez-vous pas usé de vos pouvoirs pour la protéger ?
– Elle était faible, vieillissante. Puis sache qu’une victime de temps à autre ne peut que renforcer la vigilance de l’équipage. La vie n’est pas acquise, nos femmes doivent apprendre à se méfier, à rester sur le qui-vive, elles retiendront la leçon.
– Dans ce cas-là, pourquoi avez-vous ralenti la balle du mousquet ?
– Je n’aime pas ces armes là, je trouve que c’est un peu de la triche. La vigilance est essentielle, mais il ne faut pas non plus miner le moral par trop de pertes. Je me dois de trouver un juste milieu.
– Oui, je vous comprends, une morte de plus aurait… fait tâche.
– Et je dois reconnaître que nos femmes se sont bien débrouillées, elles sont presque apparues comme invulnérables. En parlant de cela, le gros pirate m’a impressionnée avec son coup de tête. Il a réussi par ce geste simple à toucher l’une des nôtres. Peut-être est-ce lui qui devrait être là, à la place de ce capitaine ?
– Non, non, celui-ci est un idiot. Le Capitaine est certes moins fort physiquement, mais sa ruse et son intelligence en font un homme bien plus intéressant, aux multiples possibilités.
– Attention, il serait gênant qu’il réfléchisse trop.
– N’exagérons rien, se gaussa la Commandante.
– Et toi, dis-moi, que penses-tu de lui ? la questionna la Générale.
– Il est roublard, rapide et imprévisible. Il sait rester sur ses gardes et analyse bien plus qu’il ne le laisse croire. Pour moi, sa cruauté ne fait pas de doute. Sa fourberie en fait un homme à part, il a beaucoup de volonté, son goût pour l’or est indéniable. Si je devais choisir, mon choix s’arrêterait sur lui. Mais je n’ai pas votre pouvoir, c’est une simple analyse basée sur des qualités entraperçues. Lors de la cérémonie du galop, vous seule avez pu le cerner plus précisément que quiconque, vous seule donc devez avoir le dernier mot.
– C’est vrai qu’en lui tournant autour, qu’en l’endormant, j’ai fragilisé son esprit et l’ai rendu vulnérable. Grâce à ma magie j’ai pu voir en lui, voir en son for-intérieur. Et c’est ce qui me fait douter un peu. Il possède tous les attributs que tu lui donnes, mais cette partie cachée, je t’en parlais, m’intrigue autant qu’elle me perturbe. C’est la première fois que cela m’arrive. Que peut-il me dissimuler ? Je ne voudrais pas laisser passer une quelconque faiblesse. Notre clan n’a le droit qu’à un seul candidat.
– Pour notre gloire nous nous devons en effet de choisir le bon. S’il s’avère que son secret est une faiblesse, les autres prétendants risquent de le surpasser.
– Il n’y aura aucune pitié.
– Et comme seul le meilleur sera l’élu, nous n’aurions donc plus qu’à regretter notre choix.
– Et les regrets répétés me mécontentent de plus en plus, grinça la Générale.
– Par contre, s’il s’avère que ce mystère qui l’entoure soit, plus qu’une faiblesse, un formidable atout, il pourrait alors très bien surclasser ses rivaux.
– Cela se pourrait. Mais doit-on tout miser sur des suppositions ?
– Générale, je comprends votre méfiance et vos craintes, mieux, je les partage. Notre clan est tout ce qui compte et…
– Notre peuple, est tout ce qui compte ! la corrigea-t-elle aussitôt.
– Oui, pardon Générale, je voulais juste dire que…
– Assez, je sais très bien ce que tu voulais dire. Je ne t’en tiens pas rigueur, notre clan doit, certes, briller, s’élever et régner; mais au final seule notre engeance est primordiale, elle se doit de grandir, de s’épanouir et de perdurer ! Pour un monde parfait. Nous ne serons jamais divisées, quoiqu’il advienne, ne l’oublie pas.
– Oui, Générale, l’essentiel est qu’il ne reste que le meilleur des meilleurs pour vaincre le représentant des Ivoires.
– Penses-tu qu’il soit le meilleur ?
– Si je devais comparer tout cela à une simple partie de cartes, je dirais qu’il semble être un très bon tirage mais qu’il y a toujours un facteur chance et une partie hasardeuse.
– Je n’ai aucune influence sur la chance ou la malchance… regretta presque la Générale. Mais peu importe, je suis curieuse, ce capitaine apparaissant différent et fort captivant, je le juge apte à nous représenter, confions-lui une partie de notre destin ! trancha-t-elle soudainement blasée de tergiverser.
– Je prends acte de votre décision, Générale. Sachez que j’en suis heureuse.
– J’ai l’impression que tu l’apprécies beaucoup, n’est-il pas déjà pour toi plus qu’un simple postulant ?
– Comme vous, je suis désireuse d’en savoir plus… se contenta de dire la Commandante pour rester évasive quant à ses sentiments.
– Réveillons-le, et soumettons-lui notre marché. >>
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