15 - Duologue
– Pour que l’on soit tous d’accord, pour que l’on parte sur de bonnes bases et pour que tout soit clair pour tout le monde, êtes-vous toutes les deux magiciennes ? Quels sont vos pouvoirs ? Et pourquoi votre équipage est-il exclusivement composé de femmes ?
– Et c’est reparti, se désespéra la Commandante.
– Dites-le si je vous saoule !
– Vous me soûlez.
– Ça fait toujours plaisir à entendre.
– Cela m’a fait plaisir de vous le dire.
– En attendant, je veux et j’exige des réponses !
– Vous voilà un peu trop autoritaire.
– J’ai l’impression qu’il faut que je prenne les devants.
– Pour faire avancer notre histoire ?
– Ne prenons-nous pas trop notre temps ?
– Nous sommes descendus depuis… voyons voir, dix minutes, vingt tout au plus.
– Ah ? Le temps m’avait paru plus long.
– Non, je vous assure que non.
– J’avais l’impression qu’il s’était passé tellement de choses.
– Non, pas tant que cela.
– Alors, je vous propose de prendre un peu plus de temps pour que l’on apprenne à se connaître.
– Alors, je vous propose de répondre à vos questions.
– Êtes-vous toutes les deux magiciennes ? Quels sont vos pouvoirs ? Et pourquoi votre équipage est-il exclusivement composé de femmes ?
– Je vois que vous voulez continuer cette aventure en ayant bien tout compris.
– Oui, c’est ça, j’aimerais que tout soit précis et que la trame de l’histoire soit bien cadrée.
– Je vous comprends, il n’y a rien de pire qu’une histoire mal fichue.
– N’est-ce pas !
– Installez-vous confortablement, je vais vous répondre.
– Je suis bien installé, je vous écoute.
– Pour être honnête, vous posez trop de questions. Je ne vous en accorde qu’une seule.
– Pas plus ?
– Non. Entre nous, je n’aurais pas choisi cette question.
– Comment ça ? Quelle question ?
– Je n’avais dit qu’une seule. Mais soit, puisque je suis généreuse, je vous accorde ces deux là en plus.
– Non ! Non non non non non non. Ce n’était pas une question ! Ce ne sont pas des questions !
– Alors, permettez-moi de vous demander ce qu’est pour vous une question.
– C’est, c’est… en tout cas ce n’est pas « pas plus ? ».
– Si je ne m’abuse, « pas plus ? », dit avec cette intonation interrogative, insinue bien que vous attendiez une réponse, non ?
– Non. Vous vous êtes fourvoyée, je n’en attendais pas.
– Vous êtes de mauvaise foi.
– Vous me poussez à l’être.
– Sous entendez-vous que je pousse à la perversion, qu’en ma présence les gens deviennent vils et méchants ?
– Je le crains, car en votre présence je n’ai pas l’impression de me bonifier.
– Encore faudrait-il que vous en ayez les capacités.
– Ou l’envie.
– Ah, qu’est-ce qui vous ferait donc envie ? Que vous faut-il pour devenir un homme un peu meilleur que celui que vous êtes ?
– Il me faut des réponses à mes questions ! Auquel cas nous pourrions avancer ; je pourrais ainsi vous montrer l’étendue de mes capacités.
– Oui, où avais-je la tête, bien entendu, vos questions !
– Enfin ! Recentrons le débat.
– Je n’aurais pas choisi la question « pas plus ? », car en fait elle ne vous apportera rien.
– Non ! Ah, non. Vous en êtes restée à « Comment ça ? Quelle question ? ». Bien joué.
– Je ne vois pas ce que vous voulez dire, vous me questionnez, je vous réponds. J’avais précisé une seule, j’en suis déjà à trois.
– Il est évident que votre bêtise n’a donc aucune limite.
– Si l’on se fixe des limites, nous n’arrivons jamais à rien.
– Oui, mais il est bon de savoir en mettre, avant d’atteindre la catastrophe.
– Cela devient presque philosophique, je suis certaine que nous pourrions en débattre des heures durant.
– Je ne suis pas certain que ça soit du goût de tout le monde.
– Sur ce point je vous rejoins, reportons cette discussion lorsque nous serons tous les deux.
– Vous m’intéressez, il y aura un « tous les deux » ?
– Vous n’arrêtez jamais avec vos questions ?
– Soyez charitable, juste une de plus, peu importe les autres, je choisis celle-ci !
– Très bien. Mais je vous préviens, ce sera la dernière !
– Oui, oui, allez-y, répondez à celle-ci.
– Il se peut qu’il y ait un jour un « tous les deux ».
– Et… continuez.
– Et quoi ? Continuer quoi ?
– Développez, vous ne pouvez pas vous contentez de ce simulacre de réponse.
– Tout n’est pas sujet à être expliqué en détail.
– Oui, mais quand même, il y a détail et détail.
– Votre phrase ne veut rien dire.
– Elle veut dire que j’attends une réponse plus détaillée ! Quand, où, comment, aura lieu notre « tous les deux » ? Que ferons-nous… non, pour ça j’ai une idée.
– Si vous avez déjà une conception de ce que sera notre tête-à-tête, pourquoi alors vous en dire plus ?
– Nous n’en sommes même pas au « pourquoi m’en dire plus », vous ne m’avez en fait rien dit !
– Il me semble pourtant que si.
– Il me semble que vous vous êtes contentée d’être évasive.
– Et ? Il y a une loi qui m’interdit de l’être ?
– Ma loi des questions !
– Parce que vous êtes un roi, maintenant ? Voilà que vous vous administrez le pouvoir de décréter les conditions de vie de tout un chacun.
– Le pouvoir d'édicter les règles, c’est ça que vous voulez dire ?
– Oui.
– Alors oui.
– Alors oui quoi ?
– Oui, je proclame que j’édicte les règles à mes questions.
– Dans ce cas, je déclare que je réglemente mes réponses.
– C’est trop facile.
– Personne n’a dit que tout se devait d’être difficile.
– Donc ma mission sera facile ?
– Personne n’a dit que tout se devait d’être facile.
– Si, vous, à l’instant.
– Je n’ai jamais dit cela ; je vais vous paraître insistante, mais vous avez une fâcheuse tendance à la mauvaise foi.
– Ce que vous avez dit sous-entend la facilité.
– La perception des sous-entendus n’est qu’une extrapolation personnelle.
– Donc pour vous, chacun analyse et fait ses propres déductions sur les faits, ou les dires, quand ils ne sont pas nettement précisés.
– Exactement.
– Nous en revenons donc au sujet principal, renseignez-moi précisément et répondez à, TOUTES, mes questions.
– Nous tournons en rond, vous voilà redevenu autoritaire.
– Ma mission sera-t-elle facile ?
– Pour un homme tel que vous, oui ! Je n’en doute pas.
– Qu’entendez-vous par tel que moi ?
– J’entends beaucoup moins de choses que vous ! J’avoue ma faiblesse de ne pas vous connaître mieux que vous-même.
– C’est toujours un plaisir de discuter avec vous.
– Cela me fait plaisir de vous l’entendre dire.
<< – Autant en rester sur cette bonne note. En tant qu’autorité suprême, je mets fin à votre monologue à deux ! >>
– Si je puis me permettre, puisque nous sommes deux, appelons ça "duologue", annonça fier de lui le Capitaine.
– Ou en fait dialogue, puisque le mot existe déjà, annonça la Commandante, coupant ainsi l’élan de fierté du Capitaine.
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