16 - 3 - La mission, le choix
Le Capitaine sentit une douleur fulgurante dans son crâne, telle une migraine brutale et foudroyante. Son instinct lui fit aussitôt tourner le regard vers la Générale ; il vit qu’elle le fixait.
<< – Refuser serait embarrassant pour tout le monde. Je n’imaginerais pas qu’un pirate au cœur sombre puisse refuser notre proposition. Mais soit, comme vous le voulez, >> transmit la Générale en guise de défi.
– Alors tout bien réfléchi, je vais dire non ! brava tout haut le Capitaine.
La Commandante lui lança un regard noir, furieux, limite haineux. La Générale continua à le dévisager, plus intensément encore ; cause à effet ou non, la douleur dans sa tête s’accentua. Le Capitaine s’affala sur sa chaise, ferma les yeux, se massa les tempes. Le silence dura, toutes deux attendaient un geste, une parole, mieux : un changement d’avis. Il rouvrit les yeux et lentement, car luttant contre ce mal devenu lancinant, il se décida à reprendre la parole :
– Vous me semblez tendues, d’un seul coup. J’ai l’impression que c’est bien ce que je disais, j’ai le choix sans vraiment l’avoir.
Elles ne répondirent pas, attentives et passablement irritées. Les naseaux de la Générale frémirent, ses yeux ne cillèrent plus, nerveusement un de ses sabots frappa le sol de petits coups réguliers. La Commandante, presque à bout de nerfs, se mordilla les lèvres, contracta ses narines, crispa ses mains, au bout desquelles de toutes petites lueurs bleutées firent leurs apparitions.
Sans s’agiter, serein, le Capitaine referma les yeux et pencha sa tête en arrière, soulageant ainsi sa peine. Il n’avait aucun doute quant au fait qu’un autre pouvoir, non mentionné, lui vrillait le crâne. Calmement, il souffla, inspira, expira, respira, prenant le temps de réfléchir à la situation. Il rouvrit les yeux, contempla ses deux interlocutrices, mit la douleur de côté et gronda d’une voix autoritaire :
– Je n’aime pas beaucoup que l’on me force la main. Si vous me proposez une mission, JE, choisis de l’accepter, ou, JE, choisis de partir. Bien entendu que j’accepte votre mission, cueillir une fleur est à la portée de n’importe quel imbécile. Si ça peut me rapporter de l’or et un bateau neuf, alors soit !
Changeant de ton, il simula un sourire, ressemblant plus à une grimace, et essaya, sans trop de réussite, de s’exprimer d’une voix calme et enjouée :
– Nous voilà donc amis, je suis prêt à commencer par votre hospitalité.
La souffrance dans sa tête disparut aussi soudainement qu’elle était apparue. Après un court silence, la tension toujours présente, la Commandante répondit avec un sourire en coin :
– Ne nous testez tout de même pas trop, Capitaine. Arrêtez, vraiment, vos petites provocations.
– Ne me prenez pas pour votre larbin, Commandante, Générale. Puis arrêtez, maintenant, votre petit jeu, je ne suis pas dupe. Rire et nous amuser ensemble ne feront pas de nous des amis. Pas tant que vous ne serez pas franches et honnêtes.
<< – Ne vous surestimez pas, Capitaine. Nous ne sommes pas là pour jouer. Je ne m’attends pas à ce que vous vous comportiez comme un pantin ; j’attends de vous que vous soyez coopératif. Notre proposition est honnête, la mission est simple. Alors maintenant, au point où nous en sommes, nous pouvons soit œuvrer dans le même sens et en sortir tous gagnant, soit nous diviser… >>
– Soyez plus explicite, Générale, qu’entendez-vous par diviser ? demanda-t-il bien fort.
<< – Ne prenez pas la peine d’articuler, en ce moment vous entendre m’agace. Par diviser, je veux vous faire comprendre qu’un refus de votre part n’augurerait rien de bon. Je serais très irritée de toute cette perte de temps, et l’irritation ne me convient pas. Pas du tout. >>
Sans chercher plus que nécessaire la provocation, le Capitaine s’essaya à communiquer s’en parler :
<< – Vous irriter signifie-t-il un combat ? Voire ma mise à mort ?
– Cela justifiera que je compresse votre cerveau, et que cela puisse, oui, aller jusqu’à votre mort. Néanmoins, je reconnais que vous avez du courage, vous êtes le premier à tester un refus. Cela m’énerve mais j’admire votre audace. Rien que pour ça, je vous laisserai partir si tel est votre souhait. >>
La Générale s’interrompit pour laisser au Capitaine le temps de tout bien interpréter. Après ce petit temps de pause, elle clarifia une ultime fois la situation :
<< – Réfléchissez, vite, et dites-moi votre réponse. Si vous déclinez notre offre, je vous garantis que vous pourrez repartir et reprendre le cours de votre misérable et insignifiante existence. Par contre, si vous acceptez les richesses promises pour cette mission, je ne veux plus aucune hésitation ; j’exigerai de vous que vous obéissiez, respectiez nos rites et fassiez les choses comme nous vous le demanderons. >>
Le Capitaine hocha la tête, montrant ainsi qu’il avait tout bien compris.
– Commandante, Générale, au revoir, c’était un plaisir de faire votre connaissance.
Sur ses paroles, le Capitaine se leva d’un bond de son siège. La Commandante le regarda en fulminant mais ne bougea pas. La Générale inclina la tête. Avant même qu’il n’ait eu le temps de se retourner vers la sortie, la porte s’ouvrit à la volée, dans un claquement sonore.
<< – Partez. Vous connaissez le chemin. >>
Le Capitaine ne se fit pas prier et fila vers la porte, d’un pas décidé, sans demander son reste.
<< – Capitaine, j’espère ne jamais vous recroisez. Cela vaudrait mieux pour vous. >>
Il ne répondit pas mais, après quelques pas, arrivé sur le seuil, il s’arrêta net.
– Hum, tout bien réfléchi.
Il saisit les anneaux servant de poignées et referma la double-porte sur lui. Pas sans mal, là où il aurait voulu le faire facilement avec panache, il dut serrer les dents et tirer de toutes ses forces. Il se retourna, presque satisfait de son petit effet, regarda d’abord la Générale puis la Commandante. Feignant d’être complètement relâché et d’une assurance à toute épreuve, il mit les deux mains dans ses poches. Il fit mine de bailler, d’un de ces bâillements sonore et très explicite quant à un état de lassitude extrême. Il avança vers la table, fit semblant de s’intéresser quelques secondes aux cartes présentes sur celle-ci, et se dirigea vers la fontaine. Il laissa couler l’eau dans le creux de sa main et s’en arrosa le visage. Il n’alla pas jusqu’à prendre le risque d’en boire. Toujours observé par les deux dirigeantes, il retourna vers le siège où il s’était assis. Il appuya les mains sur le dossier et prit le temps de tousser bruyamment pour s’éclaircir la voix, envoyant au passage quelques postillons bien humides.
– Hum, tout bien réfléchi, je reste, et bien sûr que j’accepte cette mission. Je voulais simplement m’assurer que je pouvais vous faire confiance.
– Satisfait de tout votre cirque ? dédaigna la Commandante.
– Oui, entièrement. Mettez-vous donc à ma place, il me fallait quelques garanties sur nos bonnes relations.
<< – Vos certitudes étant comblées, il n’y aura plus de retour en arrière possible. N’oubliez donc jamais : obéissez, respectez, et faites les choses comme il se doit. >>
– Et tout se passera bien ? s’assura-t-il.
<< – Et tout se passera bien, >> confirma la Générale.
D’une voix peu amicale, la Commandante termina la conversation :
– Maintenant que nous nous sommes mis d’accord, œuvrons dans le même sens. Faisons en sorte que vous soyez dans les meilleures conditions possible pour réussir votre mission.
– Très bien, ça me va.
Rancunière, toujours contrariée par ce refus factice du Capitaine, la Commandante le toisa froidement. Toute la relation, les rires, les compliments, les boutades, les conversations insensées, la drague, tout ce qui avait été établi auparavant, le temps d’une descente, le temps d’en arriver jusque-là et de s’assurer de faire le bon choix, tout semblait avoir été détruit, anéanti et à refaire.
– Commandante, là où la Générale voit de l’audace, je vois, moi, que je vous ai déplu.
– Nous n’avions pas à nous plaire, répondit-elle d’une voix sèche et tranchante.
– Je tiens tout de même à m’excuser pour mon attitude. Enfin, pas nécessairement m’excuser, mais j’aimerais vraiment que vous compreniez pourquoi j’ai fait tout ça. Et, j’aimerais aussi que vous reconnaissiez votre part de responsabilité, ajouta-t-il en passant.
– Je me contrefiche de ce que vous aimeriez. Qu’espériez-vous ? Que nous implorions votre aide ?
– Sans aller jusqu’à m’implorer, j’aurais souhaité que votre mission ne me soit pas imposée. Je n’allais tout de même pas vous suivre sans avoir le choix, je ne suis pas votre esclave ! s’emporta-t-il sur ce dernier mot.
– Vous aviez le choix ! riposta-t-elle
– Vous mentez ! La Générale m’a fait la grâce de me le donner, ce choix. Mais j’ai vu toute votre intolérance, vous ne supportez pas que tout n’aille pas dans votre sens. En prenant le risque de refuser, ou si je n’avais pas été jugé apte, je comprends que j’aurais pu, même mieux, je comprends que j’aurais dû… MOURIR ! cria-t-il pour finir.
Faute de réponse de la Commandante, le Capitaine enchaîna plus posément :
– Vous ne tolérez pas non plus de ne pas avoir le dernier mot.
– Vous aimez trop l’avoir ! le rudoya-t-elle.
<< – Peu importe ! Cessez ! Nous ne sommes de toute façon pas ici pour copiner. Ce qui importe, puisque vous vouliez choisir, c’est que le choix vous l’ayez pris. Ne revenons plus là dessus et scellons notre accord… d’associés ? Ce terme vous convient-il ? >>
– Oui, vous avez raison, Générale, oublions toutes les menaces, tous les maux de têtes, évitons les gestuels ridicules et scellons donc, notre accord d’associés. C’est parfait ainsi. Enfin, si c’est bon pour la Commandante.
– C’est bon pour moi. Associé… grinça-t-elle des dents.
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