21 - 1 - Le voyage, la loi des pirates.

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Savez-vous comment s’organise un voyage sur un bateau pirate ?

J’suis sûre que vous en avez à peu près une idée, mais allez, on va quand même résumer simplement pour que tout l’monde parte sur les mêmes bases :

Tout d’abord, il y a un homme, plus rarement une femme, qui possède son propre bateau. Sachez petites pirates, qu’il n’y a pas d’histoires de parité chez les pirates. Et oui, c’est encor’ une invention des gens d’aujourd’hui ; vous entendrez, ou avez déjà entendu dire, qu’il faut dans les entreprises le même nomb’e de femmes que d’hommes, qu’il faut qu’les femmes aient l’même salaire qu’les hommes, et patati et patata. Bien entendu, chez les pirates tout ceci n’existe pas, les plus méritants gagnent plus, on n’embauche pas selon l’sexe mais selon les capacités, hommes ou femmes se doivent de gagner le respect. Pas de passe-droit ou d’avantage pour les femmes. Les blagues sexistes existent, la vie est rude pour les hommes et encore plus pour les femmes.

Voilà, c’est tout, des questions ? Un non m’aurait étonnée…

Donc c’est quoi une blague sexiste ? C’est une blague où on s’moque des femmes, mais pas seul’ment, on peut aussi s’moquer des hommes. D’ailleurs j’en ai une bien bonne : Qu’est-ce qu’un homme avec une grosse bi… euh… avec une grosse quéque… Bon, les enfants, sachez qu’les blagues sexistes n’sont pas forcément drôles. On s’moque du sexe de l’autre et c’n’est pas toujours plaisant. Enfin, des fois y’en a des biens bonnes et faut pas toujours voir le mal partout, une blague c’est fait pour rire ! Faut pas non plus êt’e choqué pour tout et par tout ! Faut pas qu’chez vous ça d’vienne une habitude. Par contre, une blague sexiste devient déplaisante quand c’est fait méchamment et dans l’but de blesser.

Un exemp’e ? P’tits pirates, que dit-on à une femme qui a déjà les deux yeux au beurre noir ? On ne lui dit plus rien ! On vient déjà d’le lui expliquer deux fois !

Hilarante, hein ? J’avoue, elle n’est pas d’moi, c’est le capitaine Xet qui l’avait sortie lors d’une beuverie mémorable. Il avait fait sensation. Moi-même j’avais rigolé… jusqu’à ce qu’on m’bassine avec pendant des mois entiers ! Bande de crétins d’pirates, va.

Sinon, j’disais, l’monde des pirates c’est l’monde réel, c’est la réalité vraie, et dans ce monde, quoiqu’on en pense, quoiqu’on en dise, il y a sur les bateaux plus d’hommes que d’femmes, c’est comme ça. En fait, pirate, c’est quand même un métier physique, et la nature a fait qu’les hommes étaient en général plus musclés qu’les femmes, c’est encore comme ça. Mais n’ayez crainte petites filles, je suis l’exemple type que les muscles ne font pas tout, soyez agiles, habiles, et surtout, encor’ une fois, musclez vot’e cerveau ! Une femme peut tout réussir, et pour ça, pas besoin d’féministes pleurnichardes !

Puis entre nous, pomponnez-vous, prenez soin d’vous, la nature a fait qu’toutes les femmes sont plus jolies qu’les hommes, c’est aussi comme ça, et c’n’est pas pour rien, alors faut savoir s’servir de not’e beauté et en tirer des avantages. Enfin, vous comprendrez mieux quand vous s’rez un peu plus vieille.

Bon, rev’nons-en au bateau. Ne m’demandez pas comment chaque capitaine a pu avoir son propre bateau, ça varie et c’est une question que l’on n’pose pas. C’est comme demander son âge – ou son poids, encore pire – à une fille. C’est une règle de la vie, ça n’se demande pas. J’vous entends pourtant déjà m’demander avec votre petite voix perçante : « Et pourquoi ça n’se demande pas comment le Capitaine il a eu son bateau ? Gna gna gna gna gna… » Et bien j’aurais tendance à vous répondre : parce que ! Parce que déjà c’est malpoli et ensuite parce que la réponse n’est pas toujours évidente.

Chez les pirates, si quelqu’un a un bateau et qu’personne ne conteste le fait qu’il soit à lui, et bien on n’cherche pas à savoir.

Chez les pirates, il n’y a pas de tribunal de commerce, chacun sait s’respecter. On n’est pas des voleurs chez les pirates… Euh, en fait oui bon, bon, si, bien sûr qu’nous sommes des voleurs, mais on est des voleurs respectables et honnêtes, on a pour règle de n’pas s’voler entre nous. Par contre, il peut quand même y avoir quelques remarques. Alors si jamais il y a un litige sur un bien, dans ce cas deux possibilités : pour les cas simples ça s’règle par une bonne bagarre ; pour les cas graves, un conseil de capitaines chevronnés se réunit et rend un verdict ferme et définitif.

Enfin, tout ça c’est la justice et la justice n’a jamais été facile à comprendre pour un pirate, soyez-en sûrs !

Sur ce, ret’nez qu’un pirate qui a un bien, ne se le f’ra pas voler, c’est une règle d’or, une loi établie, malheur au voleur. Si quelqu’un pense que l’bien du pirate est l’sien, un duel règle la question, hormis pour les faits graves. C’est compris ? Oui, bien. Non… tant pis, continuons.

Non, on n’continue pas ? Vous avez encore une question… Ok, comment s’passe un duel chez les pirates ? J’vais vous donner un exemp’e : je m’souviens d’un jour où deux pirates lorgnaient la même bouteille. Une bouteille de rhum - bien entendu - qui traînait, Dieu seul sait comment et pourquoi, sur une tab’e d’la taverne. Les deux pirates mirent simultanément leurs mains dessus. Chacun s’regarda d’abord cordial’ment avec un petit sourire. Puis chacun tira la bouteille vers lui. Puis chacun en vint aux insultes. Je n’vous dirais pas lesquelles vous n’êtes que des enfants, vos parents n’apprécieraient pas. Mais ils ne sont pas là et pour qu’ce soit réaliste, j’vais quand même imager :

Sale con-combre, lâche ça, elle est à moi ! dit le premier pirate.

Espèce de gros tas de déjections, commence pas à me dire ça, c’est la mienne ! répondit le deuxième pirate.

Espèce de salop, tu oses me dire que c’est la tienne ?! continua le premier.

Ah oups, oui, j’ai oublié d’imager, bon tant pis, salop c’est… disons que c’n’est pas comme connard qui est plus agressif, et… ça m’revient ! Il applique la moralité : "salop" est une valeur sûre de l’injure !

Evidemment que c’est la mienne, espèce de fils illégitime ! enchaîna le deuxième.

Fils illégitime à ne pas confondre avec fils de femme facile.

Sale putain d’anus introduit !

Putain, je me permets de vous rapp’ler que c’est permis.

P’tite bite !

Celle-là elle est gratuite.

Sale voleur !

Le premier en arriva à prononcer le mot interdit. Et alors là, d’un mouv’ment simultané, tout l’monde se r’tourna et s’concentra sur les deux assoiffés.

Un voleur parmi nous ! Qu’on l’étripe ! s’écria l’assemblée prête à s’amuser à la moindre occasion.

Mais une hésitation les arrêta, car tel un bon bon roman policier : qui était vraiment l’voleur ? Voilà c’que l’assemblée s’demanda.

Bah non, bah oui, on n’étripe pas non plus pour un rien et n’importe qui, on s’pose un minimum de questions.

C’est lui le voleur ! argumenta encore simplement l’premier.

Non c’est lui l’menteur ! attaqua l’deuxième.

Escroc ! Truand ! s’écrièrent à tour de rôle les deux pirates.

Là encore, on est d’accord, j’image les insultes, escroc et truand c’est trop prout-prout pour un pirate qui dirait plutôt… qui dirait plutôt… gros nul stupide ? espèce de nouille ? Bon, j’vois l’topo, vaut mieux en rester là pour les insultes, déjà qu’vous m’avez obligée à en sortir un paquet…

L’assemblée regarda l’objet d’la discorde : une bouteille. Bien qu’ce soit du rhum, c’n’était pas un cas grave. Il n’y eu donc pas d’conseil de capitaines chevronnés et importants pour trancher.

Non ! Pas trancher une main ou une tête ! Trancher sur une décision ! Pfff, on n’est pas des sauvages, merde !

Personne ne sut décider à qui appartenait la bouteille et s’il y’avait vraiment un voleur. Donc j’vous pose la question, que s’est il passé ? Et bah oui, c’est ça, une bonne bagarre fut décidée. C’est à ça qu’on d’vait arriver, non ?

Duel, bagarre, s’exclama l’assemblée.

Comme chez les pirates on est civilisés, je répète : nous sommes ci-vi-li-sés, ce n’fut bien sûr pas un duel à mort. Bah non, on n’va pas non plus s’tuer pour une bouteille de rhum ! Sinon ça aurait été un véritab’e génocide.

Allez, allez-y : c’est quoi un génocide ? C’est l’extinction pure et dure de toute une espèce ; vous aurez l’temps d’apprendre ça en cours d’histoire. Vous verrez qu’il y a des peuples qui ont vraiment morflé. Non, morflé ça n’a rien à voir avec la morve ! M’enfin, vous imaginez quoi ? Qu’on roule les gens dans la morve ? Qu’on leur met des tuyaux dans l’nez pour la récolter ? Ça n’va pas, vous êtes dérangés ! Ca n’sert à rien la morve, c’est juste dégueulasse, on n’envoie pas d’morve sur quiconque, c’est interdit ! Bark, quelle idée. Et d’abord, j’n’ai pas dit morvlé, j’ai dit morflé ! Des peup’es qu’ont morflé ça veut dire qu’ils ont souffert. Voilà !

Rev’nons sur le duel : Les tables furent poussées, un cercle se forma autour des deux pirates concernés et la bagarre commença. Tous deux étaient relativement semblables, moyenn’ment forts, moyenn’ment grands, moyenn’ment gros, moyenn’ment moches et moyenn’ment ivres ; le duel allait être équilibré. Mais faut savoir qu’de toute façon, même si il y’avait eu un pirate de deux mètres et un autre d’un mètre douze, ça n’aurait pas fait une grosse différence ; chez les pirates pas d’catégories d’poids, pas de handicap, chacun s’débrouille avec ses atouts. Le plus fort s’impose, un point c’est tout !

Les deux pirates commencèrent par se jauger, par s’invectiver ; se regarder et s’provoquer, si vous préférez. Puis d’un coup, le pirate numéro un, qu’on appellera Un, s’élança vers le pirate numéro deux, qu’on nommera Trois. J’rigole, oh… bien sûr qu’on dira Deux !

En y mettant toute sa force, Un lança à Deux un coup d'poing à hauteur du visage. Deux esquiva d’un retrait du buste en arrière et porta un direct du gauche. Tac ! Un, qui n’avait pas de garde, qui n’avait pas pensé à s’protéger, reçu l’coup en plein dans l’nez. Et ? Et donc d’après vous ? Rien ? Veine du nez, tuyau, cassé… allez, un effort ! Ouais, bien ! Le sang s’mit aussitôt à gicler en fontaine ! Non, j’déconne, le sang mélangé à la morve – ce coup-ci – se mit à couler jusqu’à son menton.

Légèr’ment groggy, Un tituba d’un pas en arrière. Deux ne laissa pas passer cette chance ; de toutes ses forces, il lança son poing droit dans la mâchoire de Un. Crac ! Un bruit d’os cassé se fit entendre.

Là, attention, j’n’ai jamais trop su si c’était la mâchoire de Un ou les phalanges de Deux. Car oui, p’tits pirates, si un jour vous vous battez, ou plutôt devrais-je dire le jour où vous vous battrez, faites très attention à vos mains. La tête de l’adversaire peut être dure, vous pouvez vous faire mal aux doigts. Un conseil, essayez toujours de prend’e un bâton ou un objet contondant.

Non, Gigi ! Combien d’fois va falloir que je te l’dise ? Un objet contondant c’n’est pas un objet qui coupe, contondant c’est comme une masse, un marteau, un bâton, un truc dur, un truc qui fracasse !

Quoiqu’il en soit, Un s’étala K.O. à terre. Bagarre finie, Deux vainqueur, à lui la bouteille. Parfois les duels sont plus longs, ça s’finit au sol, ça s’empoigne, ça peut s’mordre, mais là j’lai faite courte car y’a qu’en même une histoire à raconter !

Ah si, tout d’même, une précision marrante : Deux a gagné la bouteille mais l’assemblée, bienveillante, considéra qu’avoir servi d’arbitres méritait un coup à boire. Cela coûta à Deux six bouteilles de rhum !

Morale de l’histoire, essayez toujours de vous arranger entre vous. Évitez la police, les conciliateurs, les juges, les arbitres ; quand c’est possible, réglez vos problèmes sans y mêler qui qu’ce soit. Une bonne discussion et un peu d’compromis de part et d’autre peuvent souvent arranger une situation.

Sinon, où en étais-je déjà ? Les bateaux, j’disais quoi là-d’ssus ? Ah oui, les bateaux, certains en ont hérité à la mort du précédent capitaine. D’autres en ont hérité après l’meurtre du précédent capitaine. Quelques-uns l’ont gagné à un jeu d’cartes ou de dés lors de paris. Paris où tout l’monde s’abreuve d’alcool à outrance et où tous en viennent à parier à peu près tout et n’importe quoi. Des fois d’ailleurs il y a des mauvais joueurs, ils perdent aux paris et refusent de donner la mise ou accusent de triche. Dans ces cas là, autant dire que ça s’finit toujours en bain d’sang. N’vous y trompez pas, chez les pirates, on n’aime pas les tricheurs. En fait on pourrait croire que les pirates trichent, aiment à gagner sans gloire et que l’plus important c’est la gagne. Et bah pas du tout ! Dans un jeu, il y a des règles, les mêmes pour tous. Il n’y a aucune gloire à gagner en trichant à un jeu, quel qu’il soit, c’n’est même pas une question d’conscience personnelle, on n’triche pas ! Un point c’est tout ! Malheur au voleur, mort au tricheur !

J’arrête d’vous faire la morale et j’poursuis. Mais servez-vous quand même de c’que j’vous dis, ça vous s’ra utile dans la vie ; je n’dis pas toujours que des bêtises.

Pour rev’nir sur les capitaines, certains ont même construit leur propre bateau. J’en ai vu des tordus qui ont vogué quelques centaines de mètres avant d’couler à pic. J’en ai vu d’toutes les formes, j’en ai même vu un carré qui physiquement n’aurait jamais dû flotter, et pourtant j’vous assure que ce bateau carré a flotté ! Bon, il est vrai qu’il était peu maniable, il a juste filé tout droit au milieu d’l’océan. Ça d’vait êt’e une sortie d’essai, mais il n’a jamais fait d’mi-tour, on n’l’a jamais r’vu. C’est dev’nu une légende : le mystère du bateau carré.

Certains prétendent qu’il s’est peut-êt’e même envolé, d’autres pensent qu’il a forcément dû percuter les côtes américaines - j’espère qu’il ne s’est pas fracassé au Mexique, sont pas fins là bas ! Je m’souviens d’une escale à Acapulco - oui, c’est au Mexique ! - où nous avions… non, c’est une trop longue histoire, et pas d’votr’ âge ! Oh non, pas d’votr’ âge, j’vous l’redis, sont un peu fous là-bas, voulez-vous à nouveau êt’e choqués ?! Alors n’insistez pas ! Vous r’viendrez dans six ou sept ans quand vous s’rez tous majeurs !

Et pour finir, d’autres capitaines, après avoir été simp’es pirates pendant plusieurs voyages, se sont enrichis ; pour ceux qui ont su économiser, ils ont pu s’ach’ter un bateau et ainsi en dev’nir le capitaine ; car comme vous l’avez compris, quand on a son prop’e bateau, on en d’vient l’capitaine. Si vous êtes bon, vous s’rez respecté et vous aurez de nombreux volontaires pour équipage, sinon vous navigu’rez seul.


Comment l‘Capitaine a eu son bateau ? Vous voulez vraiment l’savoir ? Vous pensiez qu’c’était d’ça qu’on allait parler ? Ah, bah... peut-être plus tard alors... On s’était arrêté au moment où l’Capitaine arrivait de façon improbab’e sur une île. Avant de savoir comment il a eu son bateau, il lui est arrivé pleins d’aut’es choses ! Ne brusquons pas les histoires ! Car tout ceci... est une autre histoire.

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