21 - 6 - Le voyage, reprendre.
Oui ? Qu’est-ce-qu’il y a Gigi ? Tes copains copines quémandent tout d’suite la suite ? Attends que j’regarde l’heure, oui, rest’ un peu d’temps, ça aurait été possib’e. Mais j’n’ai pas changé d’avis ! Dommage que ce soit une histoire de mes deux…
Oh, ils regrettent. Tu m’en diras tant… J’n’en suis pas si sûre !
Ok, ok, je n’sais pas trop, qu’ils s’assoient, dans l’calme, on va voir.
Tout l’monde est là ? Bien installés ? Réinstallés, devrais-je dire. Alors ? J’attends. Oh, vous r’grettez. Mais encore ? Mon histoire est bien ; ah, juste bien. Géniale ? Oui, mais peut mieux faire. Accrochante ? Mouais, accrocheuse plutôt, non ? Extraordinaire et merveilleuse ? Ok, ça j’accepte avec plaisir, continuez. Longue ? C’est un compliment ça ?! Superbe ? J’préfère ! Grossière ?! Putain mais merde je rêve, où ça qu’vous avez vu d’la grossièreté ?! Sexuelle ? J’hallucine ! On dit une fois sexe, et v’là qu’vous en voyez partout ! Y’a pas d’sexe dans c’t’histoire, seuls des esprits tordus, dérangés, pervers, ont dû en entendre !
Du sexe… dans une histoire pour mioches, n’importe quoi… demain j’vais dire… dire… tiens, j’vais dire par exemple "chatte", comme ça, par le plus pur des hasards, et ce s’ra perçu comment ? Comme du sexe ? Non mais, où va l’monde, faut arrêter avec c'te manie d'tout déformer !
Une chatte c’est une chatte, et soit dit en passant sa queue c'est sa queue ! N'faut pas toujours en vouloir plus ! Et pareil si elle est velue, agréab'e à caresser ou appréciable en bouche ! Non, pas "appréciab’e en bouche", ça, ça n’marche pas, y’a qu’les chinois qui mangent les chats. Je n'suis pas chinoise… même si j’ai d’jà visité.
Enfin bon, bon, hey, stop, là, j’vous préviens, vous n’y êtes pas, en fait ça ne l’fait plus du tout ! En fait on n’va pas r’prendre.
FIN, ENCORE !
Géniale ? Mon histoire ? Ah, un sursaut. Dommage, y’a qu’trois mots qu’ont été dit et faut qu’vous r’ssortiez l’même !
Vous pouvez r’vaquer à vos occupations, j’n’ai rien à tirer d’vous, je n’reprends pas !
FIN, SI SI TOUJOURS !
Belle, sublime, jolie, enchanteresse, phénoménale, étrange, exceptionnelle, remarquable, bizarre, incroyable, fantastique, invraisemblable… Wahou, là vous avez tout lâché ! Il y aurait bien deux trois trucs à r’voir mais… j’note l’effort, j’sens qu’j’vais pouvoir m’en contenter.
Donc est-ce que j’reprends ? Ça dépend… parlons d’moi, pour voir. J’écoute. Jolie ? Ok. Belle ? Oui, ok. Vieille ? Connasse ! J’crois que j’me suis d’jà expliquée là-d’ssus, non ? Je l’r’dis : je n’suis pas vieille, sauf en âge, mais… bon, en fin d'compte, autant vous dire que d’un coup tous vos efforts sont dev’nus vains !
Donc je n’reprends pas ? T’as tout compris !
FIN, et j’n’y r’viendrais pas quoique vous fassiez !
Belle, sublime, jolie, enchanteresse, phénoménale, étrange, exceptionnelle, remarquable, bizarre, incroyable, fantastique, invraisemblable… Ouais, c’est ça, rattrapez-vous, sans surtout trop vous décarcasser !
Vous m’saoulez, hein, vous l’savez qu’vous m’saoulez ?! Sérieux, hein ! C’est bien parce que j’ai encore quelques minutes à tuer et qu’vous m’faites de la peine, avec vos p’tits visages de pirates tristes aux yeux d’chien battu ! Vous savez y faire, hein… j’dois l’admettre, vous savez y faire. Reprenons…
Oui ! T’as bien entendu, reprenons !
Au passage, vous auriez pu rajouter gentille, très gentille même, parce qu’on va r'prendre pile-poil où on en était, et de surcroît avec une partie qu’vous allez adorer ! Si, si ! Avec du sexe ? Mais non ! P’tain les hormones ça y va ! Ce qui veut dire ? Ce qui veut dire que velue, plaisante à caresser et appréciable en bouche, ça n’va pas tarder à vous tomber d’ssus !
Hein ? T’es pas chinoise ? Ça, ça t’regarde, mais on n’peut pas dire "j’aime pas" tant qu’on n'y a pas goûté ! Quoi ? Jamais tu n’mangeras un chat jusqu’à la queue ? Ah, tu es restée sur l’animal…
Enfin bon, bon, hey, stop, là, j’vous préviens, j’ai r’pris ! Quoiqu’avant, on va faire un p'tit rappel :
Vous vouliez que l’Capitaine jette Second à l’eau ; pour vous faire plaisir, on l’a fait tomber par dessus bord. Puisqu’on en est là, reprenons sur le même délire et répondez à ma question : qu’est-ce qu’il y a dans l’eau ? Mais oui, mes p’tits pirates malades, mais oui ! Des requins !
Tout d’abord, le requin, il s’annonce. Il sort de l’eau son ail’ron. Et là, Second, en l’voyant, a de suite compris la musique. Le requin tournicote, le Capitaine le presse, mais l’requin il sait prend’e son temps. Il sent sa proie, il sent le sang de Second qui s’écoule de son visage et se répand dans l’eau, ça l’excite. Et là, d’un coup, le v’la qui nage à toute vitesse ! Second, normal, il panique, le couard ! Le peureux, quoi. Il bouge dans tous les sens, supplie l’Capitaine de l’remonter. Rien n’y fait, le Capitaine a fini de beugler et savoure. Second, un tout p’tit peu courageux, essaye de faire du bruit pour apeurer l’requin. Mais rien n‘y fait, ça n’a pas peur un requin. Une fois proche, il reprend son temps, il tourne en rond, il contente son public, et le capitaine adore ! Puis hop, un p’tit coup de dents effilées, pointues, tranchantes, entaille la jambe de Second ; cette fois-ci la gauche. Le sang coule, beaucoup, à coup sûr un truc a été arraché.
Bon, la suite est gore, j’vous la fais courte : l’requin d’vient fou ! Dingue ! Un malade, comme vous ! Il se jette sur Second, il y a des hurlements, des éclaboussures, ça saigne, des morceaux sont déchiqu’tés, les membres sont découpés, Second souffre comme pas possible, c’est merveilleux pour un public averti.
Rassurez-vous, rassurez-vous, Second est encore en vie. Du moins c’qu’il en reste. À c’moment là, la jambe gauche n’est plus là, le pied droit a disparu, le bras gauche est sal’ment tranché à hauteur du coude, le ventre a été ouvert et les entrailles en sortent, un tout p’tit peu. Autant vous dire que Second l’poète, Second l’philosophe, Second le c’que vous voulez, on n’l’entend plus, tout ça lui a coupé la chique, la parole quoi ! Mais il s’accroche, il respire encore et, avec son bras droit miraculeus’ment intact, en pratiquant une nage peu académique, il arrive à surflotter.
N’oublions pas le Capitaine, revenons-en à lui, dans toute sa bonté, j’vous l’red’mande, qu’est-ce qu’il fait ? Non, n’répondez pas, j’vais vous l’dire : il applaudit ! Il est reconnaissant du spectacle offert. C’est que c’n’est pas un ingrat, l’Capitaine, il sait remercier et reconnaître le talent. Soit dit en passant, il applaudit aussi Second qui… coule tout douc’ment mais a su t’nir le choc suffisamment longtemps pour que l’requin puisse donner l’meilleur de lui-même. Sans ce joli travail de Second, il n’y aurait pas eu cette merveilleuse scène.
Donc il applaudit, encore et encore, sans s’arrêter, il fait même la holà tout seul, un vrai gamin. Puis il se dit que Second a bien mérité qu’on l’sorte de l’eau. Bon, rassurez-vous, il n’est pas fou l’Capitaine, hors de question qu’il plonge, hein, on est d'accord ? Il y a un requin dans l’eau, et même rassasié, ça reste un requin ! Il regarde autour de lui, réfléchit – toujours réfléchir, j’vous l’rappelle – trouve une corde et s’apprête à la lancer. Dans l'idée, Second la saisit et il le r'monte, simple.
Bah oui, on a fini par l'adorer ce mignon Second, hein ?
Mais j’vais vous décevoir, parce qu’au final, bah l’Capitaine, il ne la lance pas, la corde. Et non ! Bah non, mais j’vais vous faire plaisir, parce que qu’est-ce-qu’il y a dans l’eau ? Un deuxième requin ! Et oui ! Et donc qu’est-ce-qu’on fait devant un deuxième requin ? Cherchez pas, j’vais vous l’dire, y’a d’toute façon qu’une seule chose à faire : attend’e de voir si S’cond peut rel’ver ce deuxième challenge !
Bon, là j’vous la fais courte, et tout simplement parce que c’est vraiment très court : le deuxième requin, lui, s’est pas fait chier à tourner, il a direct foncé sur Second et d’un coup d’dents il lui a arraché la tête. Voilà, top, fini. FIN, pour Second.
Dis comme ça, on pourrait croire que l’spectacle était un peu nul, mais que nenni ! Le requin, en bon professionnel, a su attraper Second par la tête, le lever – c’qu’il en restait, on est d’accord – et l’agiter dans tous les sens jusqu’à ce que le tronc s'détache – de la tête, ou l’contraire, comme vous voulez. Autant vous dire que ça a r’peint toute la coque du bateau en rouge. Pourquoi ? À cause du sang, pardi ! Y’en a partout ! Mais n’t’inquiète pas, si ça peut t’rassurer sache que l’eau d’mer ça nettoie tout, mieux qu'Vanish, il n’en est pas resté une seule trace.
Aahh, ils sont forts ces requins, ils savent y faire, n’est-ce pas ? Vraiment, c’était bien. Ils étaient un peu la télé d’notr’ époque.
Mais bon, ça, tout ça, c’est c’que vous auriez voulu entend’e, c’est c’que vous auriez aimé qu’j’vous raconte ! Hein, les malades ?! J’crois qu’au final, vous commencez à dev’nir de vrais pirates, mes p’tits pirates.
Mais, l’Capitaine, vous commencez à l’connaît’e, non ? Vous l’savez qu’il n’est pas comme ça, l’Capitaine. Il a un cœur, des émotions, et Second c’est presqu’encore un enfant ! On n’tue pas les enfants, nous, les pirates.
Quoi ? J’ai dit qu’des fois des enfants pouvaient tomber à l’eau… euh ? Euh… euh ! On n’reprendrait pas un passage déjà dit, là ?
On tourne en rond et on s’égare ! On s’calme et on reprend, pour de vrai, la vraie histoire :
Avant de reprendre, j’vous rappelle que S’cond avait posé cette question : « – Alors ! Vous me le dites, oui ou non, le nom de cette voile ?! », et à cause de ça le Capitaine était enragé et à bout de nerfs. Donc moi, j’vous d’mandais innocemment, gentiment, pour vous faire participer, qu’est-ce-qu’il allait faire, le Capitaine ? Toute bêta que je suis, j’attendais un simple « il beugle » ou « il crie » voire « il hurle »… Pas toutc’qui s’en est suivi ! Non, pas tout ça ! Certain’ment pas tout ça ! Parce que c’n’est pas du tout, mais pas du tout c’qui s’est passé ! Bien sûr que non ! Le Capitaine, comme à son habitude, il a juste braillé :
– On s’en fout des voiles espèce de crétin insouciant, épris de philosophie poétique saupoudrée de bêtise à outrance !
Sans attendre la moindre contestation et ne laissant plus la parole à Second, le Capitaine prit les devants et ordonna :
– PIRATES, à l’avant pour vous occuper des voiles, à l’arrière vers l’autre mat pour la même chose, au milieu pour assurer ce qui reste du mat central et de la grand-voile ! Vous êtes habitués, ce n’est pas la première tempête qu’on va affronter, et sachez qu’on y va tout droit, vous savez quoi faire, alors : EN PLACE !
Ébahi, Second reprit la parole :
– Ah oui, ok, sans être trop technique.
– C’est tout à fait ça, on se concentre sur l’essentiel. Dans la vie il faut aller droit au but ! Pas de temps à perdre !
– Je comprends, mon Capitaine. Vous êtes un homme d’action, pour vous il n’y a pas de place pour l’oisiveté, pas de temps pour palabrer, avec vous on ne tourne pas autour du pot !
– Voilà, je donne les ordres, ça file droit, on ne tergiverse pas !
– J’entends bien. D’ailleurs, avec l’ordre, brillant de simplicité et d’efficacité, que vous venez de donner, vos hommes savent quoi faire ?
– Nos hommes ! Nos hommes ! Tu es mon second, et tant que tu le resteras, ils seront aussi TES hommes !
– Ce qui veut donc dire, par définition, qu’ils sont aussi sous mes ordres ?! s’enthousiasma Second.
– Mais n’en abuse pas !
– Je ne vous suis pas trop, puis-je leur donner des ordres, oui ou non ? demanda, tout perdu, Second.
– Je reprends depuis le début. Moi, le capitaine, je sais tout, je pense à tout, je décide pour tout.
– Jusque là j’avais saisi, assura Second.
– Je continue. Toi, le second, tu répercutes tout ça à nos hommes et tu t’assures que ce soit bien fait !
– D’accord, mais si je ne sais pas trop faire ? C’est que je suis un peu novice, confessa Second.
– Sache une chose et prends-en bien conscience : parmi eux, même si on pourrait, en les regardant, croire le contraire, il y a de bons vieux pirates expérimentés qui savent y faire. Ils pourront t’épauler et en temps voulu donner les bonnes directives.
– Comme si j’avais des seconds, en fait ? en déduisit Second.
Le Capitaine resta pensif à cette idée, puis trouva une sorte de réponse :
– N’oublie jamais que tout aussi fainéants et bourrus qu’ils soient, tant qu’il s’agit de leurs vies et du bateau, tant qu’il y a de l’or en jeu, ils sauront s’en sortir !
– Donc ils n’ont pas besoin de nous ?
Le Capitaine soupira mais, ne voulant pas que son rôle soit minimisé, il s’empressa d’expliquer :
– Ils ont besoin, et c’est là que l'on doit exceller, de nous entendre dire ce qu’il faut et quand il faut le faire ! Même s’ils le savent, à peu près… Bon, ne cherche pas, ils ont besoin de moi ! Je suis le Capitaine, j’en impose, je suis leur guide, leur référence, leur phare ! Il faut qu’ils m’entendent, ils ont besoin d’ordres pour ne pas s’entre-tuer à force de théories différentes !
Second resta pensif à cette idée, puis trouva son rôle :
– Mais moi, à vous écouter, j’ai l’impression de n’être qu’un simple intermédiaire. Ne suis-je bon qu’à leur répéter ce que vous me dites ?!
– Crétin confirmé ! Tu es plus qu’un intermédiaire, tu es ma voix ! Parce que j’ai confiance en toi ! Tu veilleras à ce que nos hommes fassent ce que je veux, et ça même si tu ne sais pas le faire ! Pour toi pas besoin de technique, tu as juste à comprendre l’idée générale et la faire appliquer.
– Oh, me voilà le cerveau de l’équipage.
– Dans ce cas-là, atrophié !
– Oh… en même temps j’ai manqué d’oxygène, rappela Second.
– Tu as de la chance d’en avoir encore ! Je reprends : les pirates les plus chevronnés, feront le travail. Toi, écoute-moi, gagne leur confiance, fais-toi respecter et joue des apparences !
Lucide et appliqué, Second se mit à crier :
– On s’applique les gars et on s’active ! On va affronter une tempête et je vous fais confiance pour faire ce que le Capitaine a dit ! PIRATES EN PLACE !
Se voulant encourageant le Capitaine le félicita :
– Tu as tout compris, bravo !
– C’est vrai, j’étais bien ? se ravit Second.
– Oui, mais avec un temps de retard. Ils étaient déjà en place, crétin fini !
– Oh… mais si je n’ai plus d’ordres à donner, que dois-je faire ?
– Regarde, apprends, et accroche-toi, dit le Capitaine, maintenant parfaitement concentré et prêt à en découdre avec l’océan.
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