23 - 1 - La tempête, musicale
Tous les pirates, utiles, étaient à leur place ; actifs, ils œuvraient à replier les voiles.
Et ouais, p’tits pirates, en pleine tempête plus besoin d’vitesse, alors on r’plie tout, inutile de prend’e le risque de perdre d’autres voiles qui, inévitablement, se déchireraient sous l’effet réuni du vent, de la pluie et des vagues.
Le Capitaine, seul maître à bord, attentif, appliqué, absorbé par la navigation, tel un duelliste, étudiait, analysait, tentait de comprendre la houle à venir pour mieux anticiper les mouvements, furieux, des vagues toujours plus puissantes. Avec grâce, il gérait calmement l’équilibre de son bateau. Avec agilité, conscient des capacités de son navire, il surfait pour ne pas avoir à subir, de front, les lames d’eau qui, inévitablement, se fracasseraient avec l’envie de détruire et d’emporter cet étranger, imprudent, venu s’aventurer sur leur dos.
Mais, mes p’tits pirates, ne vous faites pas d’illusion, on n’ressort jamais indemne d’une grosse tempête, il y a toujours un peu d’casse, ou des étourdis qui tombent à l’eau. Et là, pas b’soin d’requins, l’océan se charge de les assommer, de les noyer et de les engloutir… à jamais.
Et à coup sûr, soyez-en sûr, quiconque tomb’ à l’eau pendant une tempête, n’en r’vient pas vivant ; hormis peut-être le Capitaine, qui je l’rappelle est excellent nageur. Enfin, en même temps, il ne fait pas partie d’ces débiles dégénérés qui… tombent à l’eau en pleine tempête ! Faut vraiment êt’e timbré pour faire ça !
Alors donc, p’tits pirates, que fair’ en pleine tempête ? Bah j'vous l'dis, car on n'fait pas n'importe quoi, une seule chose est de mise : gérer au mieux, si on est aux commandes, s’abriter, si on est dans la cale, et où qu’on soit, espérer, des fois prier, parfois attendre, surtout s’accrocher. En fait, le tout est d’la passer sans trop d’dommage, le tout est de s’en sortir vivant.
Ça fait plus d’une chose à faire ? Et bah choisis en qu’une seule, puisque t’es si maligne !
Maligne, ligne, sur un bateau ? Non ? Toujours pas ? Bon, pas si maline que ça finalement, laissons tomber, en même temps on n’est pas sur un bateau-pêche.
Pfff, ça y est, vous vous r’mettez à l’vez l’doigt ? Bon, vas-y, j’t’écoute. Si on dit maline ou maligne ? Pfff… Contentez-vous de débile, c’est facile débile, et ça vous va parfait’ment.
Les voiles rentrées, les pirates ne s’attardèrent pas et, plaçant toute leur confiance en leur capitaine, retournèrent dans la cale pour s’abriter, espérer, prier, attendre et s’accrocher pour éviter d’être trimballés d’une cloison à l’autre.
Seule une poignée d’hommes, solidement encordés, restèrent sur le pont pour gérer au mieux un éventuel problème. La tumultueuse tempête les ballotta de droite à gauche, l’assourdissante pluie les arrosa de trombes d’eau et l’abrutissante grêle martela leurs têtes ou leurs chapeaux.
Le Capitaine, à l’affût, ne quittait pas des yeux les vagues percutant le bateau. Malgré ses manœuvres habiles, elles surgissaient en tout sens, à bâbord, à tribord, grossissant aussi soudainement qu’étrangement et se cassant sans aucune logique. Inévitable pour le Capitaine d’éviter le fracas de certaines sur le ponton, tandis que d’autres, plus hautes, plus grosses, toujours plus nombreuses, tombèrent sur le gouvernail… et donc sur lui. Aspergé d’eau salée, ruisselant sur son visage et dans ses yeux, secoué, il eut la surprise et fut stupéfait de voir Second escalader, péniblement, l’escalier, détrempé et glissant, de la dunette.
Malgré la difficulté, accroché de ses deux mains à la rambarde, Second montait, une marche après l’autre, dans un rythme fluide et bien orchestré. Dans la contrainte et dans l’effort, mais au final assez rapidement et sans jamais tomber, il arriva tout en haut.
Ah ah ah, il monte plus vite que le Capitaine. Gna gna gna.
Alors déjà, le Capitaine, il descendait, alors rien à voir, comparez pas l’incomparable ! Et en plus, si vous voulez qu’ça dure trois plombes, j’vais l’faire durer trois plombes, cet escalier : Second plia le genou droit et en actionnant les muscles de sa cuisse, droite, il leva ce même genou. Il posa alors le pied, droit, sur la marche, glissante et détrempée. S’appuyant avec force sur sa jambe, droite, s’inclinant un peu, il monta sa jambe, gauche. Le pied, gauche, surélevé, et à hauteur du dessus de la marche, il vint le poser à côté du pied, droit. Première marche montée.
Je continue ? Il reste environ quatorze marches. Non ? Alors vos r’marques, qu'on soit d'accord, une bonne fois pour toutes, vous vous les gardez pour vous et vous vous les carrez où j’pense ! Et j’pense toujours au même endroit !
Le Capitaine s’époumona pour se faire comprendre dans cette tourmente :
– Mais qu’est-ce que tu fais là, bougre d’imbécile, c'est n'importe quoi !
Second, lui aussi à haute voix, déclara :
– L’équipage est en place, je m’en suis assuré. Dorénavant, en ma qualité de Second, je dois vous rejoindre au cas où…
– Au cas où quoi, fichtre idiot ?
– Au cas où vous ayez besoin d’aide.
– Te fiches-tu de moi ? Est-ce une plaisanterie ? C’est forcément une plaisanterie !
– Mon rôle est d’être ici. Les dirigeants doivent être ici, je me dois de superviser avec vous ! Dites-vous aussi que si vous tombez à l’eau, vous pourrez compter sur moi pour reprendre la roue, venir vous secourir, et mener ce bateau, et tout son équipage, à bon port, garantit Second, sûr de lui.
– Si je tombe à l’eau, c’est que le gouvernail sera lui aussi emporté ! Regarde ça, fichtre bougre !
Le Capitaine montra une corde, Second vit qu’elle liait le Capitaine et le gouvernail.
– Ah, vous vous êtes attaché... à la roue, récapitula Second.
– Bien sûr que je suis encordé ! Bien sûr que je m’attache ! Et dépêche-toi d’en faire autant, avant de tomber à l’eau ! Parce que pour ma part, ne compte pas sur moi pour venir te repêcher !
Second tourna la tête à gauche, à droite, regarda autour de lui et finit par demander :
– Avez-vous une corde, mon Capitaine ?
– Fichtre imbécile de bougre d’idiot, tu n’as rien à faire là ! En fait, redescend, vite, vite, vite, et, VA, te, mettre, à, l’abri ! Je, n’ai, pas, besoin, de, toi ! articula bruyamment le Capitaine.
– Si vous restez là, je reste là ! Ah, une corde, il y en a une là.
– Dégage !
– Non, je ne partirai pas, pouvez-vous me la tendre, s’il vous plaît, mon Capitaine, c’est que ça m’embête de lâcher la rambarde pour venir la chercher.
– C’est un ordre, va-t-en ! Non, je ne te donnerai pas cette corde !
– Attention à la vague…
Second s’accrocha plus fort encore. Une vague s’écrasa dans un vacarme tonitruant.
– C’est bon, je viens la chercher, vous avez bien raison, mon Capitaine, il faut que je m’attache.
– Quelle tête de mule ! maugréa le Capitaine qui se pencha, tendit le bras, saisit une corde traînant à ses pieds et la lança à Second.
Comment ça, comme par hasard le Capitaine a une corde qui traîne, comme par magie, à ses pieds ? C’est c’que vous vous dites, je l’vois ! Et bah oui ! Mais vous croyez quoi ? Vous êtes déjà montés sur un bateau, d’abord ? Alors sachez pour votre… pas gouverne - parce que ce sera toujours un bide - sachez pour votre… Bon, sachez ! Sachez que le Capitaine a toujours une corde non loin pendant une tempête ! C’est obligé, c’est la loi, c’est une règle, c’est comme ça, pas de hasard, pas de magie !
Imaginez, un truc casse, hop une longue corde, pour s’attacher, règle de sécurité oblige, et il va réparer. Quelqu’un tombe à l’eau ? Hop, la corde, il la lance et sauve l’abruti. Donc, oui, bande de sales marmots, oui, il a une corde à ses pieds !
Sérieux, toujours à m’justifier, c’est chiant, c’est vraiment chiant !
– Tu ne perds rien pour attendre, dès la tempête finie je te flanque une raclée dont tu te souviendras ! Alors accroche-toi, accroche-toi, vas-y, et solidement, car je ne voudrais pas me priver de te tabasser dès notre arrivée !
– D’accord, mon Capitaine, mais en attendant, votre second, moi, je vous suis fidèle et je sais que j’apprendrai bien plus ici en vous regardant.
– Tu es fidèle, n'importe quoi, j’aurai tout entendu. Tu n’es pas un chien ! Tu es un pirate ! Vois-tu la différence au moins ?
– Physiquement, assez, oui. Après, il y a des ressemblances, un chien peut-être hargneux, comme un pirate. Un chien ça aime dormir, comme un peu tout votre équipage durant le début de notre aventure. Un chien agite la queue quand il est content, comme euh… bon vous avez vu vos hommes devant les femmes, hein ? Un chien aboie, comme euh… vous, explicita, tout doucement pour finir, Second.
– Moi ? Moi ? Moi ? commença le Capitaine.
– Mouamouamoua, wouawouawoua, voyez, voyez, voyez !
– Tu vas voir, tu vas voir, TU VAS VOIR ! aboya le Capitaine.
– Très bien, mais en attendant je ne vois pas tant de différences, persista effrontément Second.
– En attendant, encore une fois, persiste, vas-y, tu ne perds rien pour attendre, mais en attendant apprends, apprends qu’un chien est fidèle, toujours, mais qu'un pirate est fidèle, seulement, le temps que la fidélité dure, cogite là-dessus, expliqua le Capitaine tout en faisant tourner son doigt près de sa tempe.
En sans réfléchir, du tac au tac, Second avertit :
– Alors soit, j’ai cogité, je ne vous suis plus fidèle, mon Capitaine, mais…
Sautant sur l’occasion, ne le laissant pas terminer sa phrase, le Capitaine statua :
– Ah oui ?! Infidèle ? Alors te voilà dégradé !
– Mais vous n’avez pas le droit ! s’indigna Second.
– Si, d’autant plus que tu n’as pas eu l’air de comprendre que mes hommes étaient aussi TES hommes !
– Ah oui, mes hommes, pardon, je retiens ce ne sont pas que "vos hommes" mais nos hommes.
– Ah bah non, pas besoin de pardon, ça c’était avant, tant que tu étais second, tu n'as plus besoin de retenir quoique ce soit.
– Quand je suis second une fois, je suis second pour toujours. Quand je suis second une fois, je suis second pour toujours !
– Si c’est ce que tu crois, si tel est ton discours, sois sûr qu’une proie deviendra ton vautour.
– Hein ? Là aussi faut-il que je cogite ?
Le Capitaine soupira, puis expliqua :
– C’était gratuit, c’était pour ta gouverne, juste pour ta gouverne. D’ailleurs, gouverne, bateau, notes-tu la subtilité ?
– Non.
– Rien à en tirer de ce môme, faut que je lui apprenne tout, se lamenta le Capitaine.
– Non, pas tout, le rassura Second.
– Toi, il va falloir que je te fasse visiter les tavernes ! C’est de la musique de taverne, qui vient d'un grand troubadour de taverne, un peu de culture, à la fin ! Enfin, je ne sais même pas si tu sais ce que c’est.
– La musique ? Si, bien sûr que je sais ce que c’est ! affirma Second.
– Pas la musique, la culture, fichtre… fichtre… je ne sais même plus quel mot choisir à force ! Crétin ? Moui, parfait : fichtre-crétin !
– Ah, oui, et bien si, si aussi, je connais, et je n’en manque pas, mon Capitaine, de culture ! assura Second.
– Oh, première nouvelle ! Oh non, je réalise, attends, ne me dis pas que… que… ça y est, tu deviens un pirate, un vrai, arriverais-tu à mentir ?
– Non, non, je ne mens pas, j’ai de la culture, mais excusez-moi de ne pas connaître votre piètre chanteur aux paroles douteuses, je ne pense pas qu’il fera une longue carrière.
– Comme si tu y connaissais quelque chose à la musique. Moi, cet artiste, c’est toute ma jeunesse, mais de vos jours, il n’y a plus que votre musique de sauvages qui compte, les paroles vous passent par dessus la tête.
Oh, encor’ une remarque, tiens, comme de par hasard, y’avait longtemps. Donc quoi ? Je vous avais dis que le Capitaine il n’aimait pas le chant et que ça l’agaçait ? N’importe quoi ! Mais n’importe quoi ! Mais… mais… pfff, le Capitaine il adorait chanter ! Qu’est-ce que vous allez m’inventer là ! Pfff, le Capitaine, donnez-lui du rhum, plein de rhum, faites-le monter sur une table, et vous allez voir, il va vous les animer les soirées comme jamais !
D’nos jours il aurait été Michael Jackson ! Euh... non ! Pas lui, pas lui. Lui et les enfants, j’n’ai pas percuté qu’ça n’collait pas, euh… qu’il n’y avait pas d’liens, d’unions, d’attouchements, d’attach’ments ! Pas d’attach’ments possibles entre Michael Jackson et les enfants ! Pourquoi ? N’posez pas d’questions, c’était un chanteur blanc pour adultes, c’est tout. Donc euh… pas Mickael !
Je r'commence : le Capitaine, il aurait rempli les salles, ça aurait été Freddie Mercury… quoique non, il n’était pas du genre queen à grosse moustache. Il n’avait rien cont’e, ne m’faites pas dire c’que j’nai pas dis, mais c’n’était juste pas son genre.
Disons qu’il aurait été… Oui, tu as une idée ? Maître Gims ? Maître Gims… Pfff, soit, Capitaine Maître Gims…
– Moi, de toute façon je suis plus musique classique, se confia Second.
– Oh, mes condoléances, tu sais que c’est idéal pour le suicide, lui confia le Capitaine.
– Ah ? Je ne savais pas. Non, vous me faites marcher, vous dites n'importe quoi, hein ?
– Non non, je t'assure, il faut être névrosé pour aimer ce style.
– Mais non… essaya de se défendre Second.
– C'est bien réfléchi, je n'ai pas besoin d’un second déprimé, c’est donc confirmé, tu es dégradé, valida le Capitaine.
– Non, impossible, et puis pas en pleine tempête, ça ne se fait pas ! dévalida Second
– Si, je te confirme.
– Non, je vous infirme.
– Si.
– Non.
– Si.
– Non.
– Si.
– Non.
– Si.
– Si.
– Non.
– Ah ! Je vous ai eu, voyez que je ne peux pas être dégradé, dit c’est dit, dédire c’est mentir ! se réjouit Second.
Naturellement, le Capitaine se crispa, à tel point que ses mains se cramponnèrent bien plus que nécessaire aux poignées du gouvernail. Naturellement, tel un chien hargneux, il grogna en aboyant :
– Je te dégrade, tu m’énerves, je te dégrade, AAHH AAHH, et fiche-moi le camp de là !
– Je n’entends pas, il y a trop de vagues, trop de vagues, trop de vagues, et si bruyantes, bruyantes, bruyantes...
– Je vais devenir fou ! C'est n'importe quoi, je vais devenir cinglé, ils vont me détraquer ! Ce n’est pas possible, ne me dites pas qu’il vient de me faire le même coup que… que… AAHH AAHH !
Annotations