23 - 6- La tempête, sans moi, sans toi.

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– Attendre quoi, attendre quoi qu’il me dit, s’exaspéra le Capitaine.

– Oui, d’accord, attendre que la tempête se calme, mais je ne sais pas si je vais pouvoir tenir longtemps comme ça, trouvez donc un autre plan ! s’emballa Second sans même rouvrir les yeux.

– J’ai bien peur qu’aucun autre plan ne me vienne en tête. De toute façon, quelque chose me dit que l’on n’aura pas à patienter très longtemps.

– Ah, sûr ! Sûr qu’elle va venir vite, la mort, merci, mon Capitaine !

– Merci, merci… mais, mais… espèce de crétin, si tu n’étais pas tombé à l’eau, si tu étais rentré dans la cale comme je te l’avais ordonné, si tu…

– Oui, bon, soit, mon Capitaine, on ne va pas énumérer tous mes torts ; puis vous en avez aussi ! Disons qu’ils sont partagés, essaya Second.

– Des torts partagés ?! s’indigna le Capitaine.

– Déjà vous n’aviez qu’à avouer que vous plongeriez !

– Je n’avais qu’à avouer... que je plongerais ?! Tu veux dire que si...

– Si, si, si ! N’avez-vous que ce mot à la bouche ?

– Si tu continues...

– Peut-être que sans tous ces "si", nous n’en serions pas là !

– Attends, attends, attends… continua à fulminer le Capitaine.

– Attendre quoi ? recommença Second.

– Ce n’est pas vrai qu’il se répète ! s’exaspéra le Capitaine.

– La mort, je vous dis ! Et je ne fais que ça, l’attendre, et vous faites tout pour que ça dure !

– Mais… Oh, espèce d’imbécile ! Bien sûr que je fais tout pour te sauver la vie !

– Oui, oui... N’empêche que sans vous je serais tranquillement mort depuis bien longtemps ! attaqua Second.

– Et sans toi, je serais tranquillement en train de savourer ce petit trajet ! riposta le Capitaine.

– Voulez-vous vraiment vous lancer sur ce terrain ? le défia Second.

– Figure-toi que je n’ai que ça à faire, brava le Capitaine.

– Alors quitte à attendre, allons-y, provoqua Second.

– Attends ! Deux secondes, tempéra le Capitaine qui resserra sa prise sur la dague, s’inclina sur l’eau, façon planche, et qui, d’un petit signe de la tête, confirma qu’il était prêt.

– Attendez ! C’est à mon tour, imposa Second qui resserra sa prise sur la taille du Capitaine, lui grimpa dessus, de façon à s’allonger sur lui, et qui, en signe de confirmation, posa la tête sur son épaule.

– Non mais, non… mais tu fais quoi là ?! se révolta le Capitaine.

– Je m’installe ! Je ne tiens pas à être emporté par cette mer en furie ! se défendit Second.

– Ah oui ? Tiens tiens, moi qui croyais que tu souhaitais mourir ? opposa le Capitaine.

– Tranquillement ! Je le répète : mourir tranquillement. Mais vous avez réussi à tout gâcher ! contre-attaqua Second.

– Sans toi, je n’aurais pas gâché mes chances de réussite quant à la mission qui m’a été confiée ! para le Capitaine.

– Sans moi, vous n’en seriez encore qu’à rêver de votre mission ! porta Second.

– Sans toi, j’aurais déjà touché ma récompense ! frappa le Capitaine.


Second hoqueta, ébranlé par cette remarque.

– Insinuez-vous que je vous ralentis dans cette histoire ?


Le Capitaine éructa, ahuri par cette question.

– Depuis que je t’ai rencontré, j’ai comme l’impression qu’une divinité est en train d’écrire des chapitres supplémentaires de ma vie !

– Sans moi, votre vie serait bien triste ! reprit Second.

– Sans moi, ta vie serait finie ! rétorqua le Capitaine

– Hey ! Vous ne respectez pas les règles !

– Ça m’a échappé ! Sans TOI, ma vie serait chouette !


Second secoua la tête – de gauche à droite – et pouffa, soulignant ainsi au Capitaine la facilité de sa réplique.

Le Capitaine haussa une épaule, signifiant ainsi à Second qu’il s’en fichait.


– Très bien, alors récapitulons votre vie en ma compagnie, proposa Second.

– Je suis tout ouïe, plus que prêt à te démontrer que tu m’as pourri l’existence ! accepta le Capitaine.

Second se racla la gorge et commença :

– Sans moi, vous n’auriez eu personne pour manœuvrer votre fichu rafiot !

– Sans toi, le gouvernail de mon somptueux navire n’aurait pas été souillé par les mains douteuses d’un novice incompétent qui, avec le recul, ne méritait pas que je lui donne sa chance !

– Sans moi, vous n’auriez même pas pu aller vous coucher !

– Sans toi, j’aurais déjà traversé cette avant-tempête, cette tempête, et même l’après-tempête !

– Sans moi, vous n’auriez eu personne pour vous réveiller !

– Sans toi, je serais, justement, encore en train de rêver !

– Sans moi, vous n’en seriez donc encore qu’à "rêver" de votre récompense !

– Sans toi, j’en serais ravi !

– Sans moi, votre passage en cabine aurait été insipide !

– Sans toi, je me serais levé du bon pied !

– Sans moi, vous n’auriez eu personne pour dialoguer !

– Sans toi, j’aurais savouré le silence !

– Sans moi, ne connaissant pas le "carpe diem" vous ne savoureriez rien du tout !

– Sans toi, je ne me serais pas trituré la tête avec ton carpé truc d’un autre temps !

– Sans moi, vous n’auriez pas pu vous passer les nerfs !

– Sans toi, j’aurais su garder mon calme ; de toute façon, je n’aurais pas eu à m’énerver !

– Sans moi, personne n’aurait pu répercuter vos ordres !

– Sans toi, j’aurais simplement crié plus fort !

– Sans moi, il n’y aurait pas de Second !

– Sans toi, il n’y aurait pas de Second !

– Sans moi, les autres vous croiraient encore égoïste et sans cœur !

– Sans toi, ma réputation serait intacte !

– Sans moi, personne n’aurait cru que vous saviez nager dans les vagues !

– Sans toi, je n’aurais pas eu à recommencer à nager dans les vagues !

– Sans moi, cette tempête n’aurait été qu’une succession de vagues !

– Sans toi, toute cette tempête n’aurait pas pris une tournure si risquée !

– Sans moi, vous n’auriez rien, car qui ne risque rien n’a rien !

– Sans toi, je ne perdrais rien, car qui ne risque rien ne perd rien !

– Sans moi, vous n’auriez personne pour vous dire vos vérités !

– Sans toi, je n’aurais pas à me justifier, à expliquer et à clarifier tout à tout bout de champ !

– Sans moi, votre vie serait…

– Sans toi, laisse-moi donc terminer pour toi, ma vie serait parfaite !

– Sans moi… sans moi… toute cette histoire, il est vrai, aurait été plus rapide… mais bien ennuyeuse !

– Sans toi… sans toi… toute cette histoire, il est vrai, aurait été plus rapide… et nous en serions déjà à la conclusion !

– Ne vous inquiétez pas, la conclusion arrive, mon Capitaine !

– Je ne te donne pas tort !

– Merci !

– De rien ! termina Second.


Tous deux à cran et passablement énervés, se turent. L’océan qui n’avait pas osé s’immiscer dans ce cordial échange d’opposition, en profita alors pour se rappeler à eux : une vague les percuta. Tous deux tinrent bon. Cette vaguelette calma un peu les humeurs et leur redonna un soupçon d’énergie vocale. Second fut le premier à relancer la discussion :

– Je tiens à vous dire que grâce à vous, mon Capitaine, mes dernières minutes de répit sont pas les pires de ma vie !

– Dis-toi que tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir !

– Vous me l’avez déjà dit, Perroquet !

– Ça n’a pas eu l’air d’être clair, Bigorneau !

– Vos beaux proverbes moralisateurs ne sont que des paroles en l’air !

– Qui te sauveront la vie !

– Ma vie est finie !

– Sans moi, ta vie SERAIT finie !

– Sans vous, je ne serais jamais monté sur ce bateau !

– Ah bon ? s’étonna le Capitaine.

– Oui, confia Second.

– Oh… Il faudra que tu me racontes ça, Second.

– Je n’en aurais pas le temps, c’est fini, nous ne pouvons plus être sauvés ! Aucun de vos stupides pirates ne nous secourra !

– NOS ! Et ne dis pas de bêtises, s’il le faut, nous nagerons ! s'enjoua le Capitaine.

– Pas dans cette tempête, elle aura notre peau. Vous savez, je suis lucide, s’attrista Second.


Le Capitaine hésita, peu enclin à reconnaître que l’espoir s’amenuisait grandement. Finalement, il céda :

– Et bien soit ! Comme tu le voudras ! Ne nous inquiétons plus, ne t’inquiète pas. De toute façon, j’ai bien peur que, vu ce que je vois, cette tempête finisse par te donner raison.

– Quoi ? Je croyais que tant qu’il y avait de l’espoir…


Puis, cédant à la panique, Second enchaîna :

– Je ne veux pas mourir, mon Capitaine ! JE NE VEUX PAS MOURIR ! Sauvez-moi !


S’accrochant à l’espoir, aussi fort qu’il s’accrochait à la dague, le Capitaine répondit :

– Alors au lieu de gémir, garde tes forces ! Et ouvre donc les yeux ! Je ne sais pas si c’est un bon ou un mauvais présage mais…

– Mais ? Ne terminez-vous jamais vos phrases ?

– Non ! Et ouvre donc les yeux, imbécile !


Second ouvrit les yeux et ce qu’il vit le surprit à son tour.


Quoi ?! Moi je mens ? Comment ça dans une si violente tempête ils ne peuvent pas discuter ? Comment ça c’est impossible ? Ah ah ah, si ils avaient voulu discuter ils auraient mieux fait d'se jeter à l’eau avec une bouée ou un gilet d’sauvetage… gna gna gna. Vous en avez d’autres des comme ça ?!

Alors pour votre… Bon, pour encore me justifier, expliquer, tout clarifier, peut-êt’e bien que le Capitaine et Second n’ont pas forcément dit tout ça. Peut-êt’e bien que dans cette petite tempête du siècle, ils n’ont pas vraiment pu échanger comme ils le souhaitaient. Mais bon ! Bon ! Faut bien qu’j’vous traduise un peu leurs pensées ! Sinon, qui va l’faire ?! Parce que j’vous assure, qu’à travers leurs regards, pendant qu’ils essayaient de survivre au milieu de toute cette agitation océanique, c’est à peu près tout ça qu’ils se sont dit ! Si, si, si ! J’vous assure que tout ça ils l’ont pensé !

Mais bon, bon, puisque vous voulez quelque chose d’un peu plus réaliste, on n’a qu’à r’commencer. Tututute ! Vous n’aviez qu’à pas la ram’ner !


N’hésitant plus une seconde, ne perdant pas plus de temps, avec grâce, le Capitaine plongea.

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