Chapitre 12
Ils ne bougèrent pas. La respiration de Dan se calmait petit à petit. Eldria demeura silencieuse, comme pour se faire discrète. La jeune femme ne voulait pas bouger. Elle voulait que Dan parte pour qu'elle puisse enfin se lever et enfiler ses vêtements restés à terre. Nue, elle se sentait beaucoup trop vulnérable.
Elle voulait qu'on la laisse tranquille, seule, dans cette pièce. Qu'on l'enferme même, s'il le fallait. Elle ne voulait pas retourner à l'extérieur et affronter la vérité sur cet endroit. Elle ne savait rien de ce Dan. Même s'il ne lui avait fait aucun mal comme il le lui avait promis, il n'en participait pas moins aux horreurs de cette prison. Elle ne pouvait pas lui faire confiance.
Elle resta ainsi prostrée. Le moelleux du matelas sous son ventre s'opposait au contact dur et froid du sol de pierre contre ses genoux. Ces derniers commençaient d'ailleurs à la faire souffrir. Elle ressentait également la désagréable sensation du sperme de Dan contre sa peau, qui se mettait à couler lentement mais surement sur son flanc gauche, du bas de ses reins en direction de son ventre. Le liquide au début tiède, presque chaud, semblait refroidir petit à petit. Elle fit de son mieux pour ne pas y prêter attention.
L'ombre de Dan ne faisait toujours aucun mouvement sur le mur. Se remettait-il de ses émotions ? Qu'attendait-il pour s'en aller maintenant qu'il avait eu ce qu'il voulait ? Elle se mit soudain à espérer. Peut-être allait-il l'aider, compatissant à son sort ? Avait-il seulement le pouvoir de la faire sortir ?
Soudain, le jeune homme rompit le silence.
– Je... Désolé pour... commença-t-il gauchement.
Il ne finit pas sa phrase. Dans le couloir derrière la porte, il avait entendu, comme Eldria, des mouvements. Des gens qui marchaient et qui parlaient. Des rires.
– C'est l'heure. Surtout ne bouge pas.
Eldria était de toute façon figée. De nouveau, la peur de l'inconnu la submergea. Son instinct la poussait à partir se recroqueviller dans un coin de la pièce pour faire face à la nouvelle menace qui approchait, mais ses muscles ne répondaient pas. Dans son dos, elle entendit Dan qui entreprenait de ramasser ses propres vêtements.
Finalement, la porte s'ouvrit. Pour une menace, c'était une menace. Madame Martone arborait sous éternel sourire narquois. Ses yeux vagabondèrent d'abord sur Dan qui terminait de remettre son pantalon, puis s'aventurèrent sur les fesses d'Eldria, sur son dos souillé, avant d’enfin croiser son regard.
La jeune femme détourna rapidement les yeux. Elle n'avait eu que trop le temps de remarquer la satisfaction qui se lisait dans les sombres pupilles de cette vieille sorcière. Elle ne sut cependant pas si le fait que Madame Martone sembla satisfaite de ce qu'elle voyait était une bonne ou une mauvaise chose.
– Bien bien bien... Quelle vue intéressante.
Ni Dan ni Eldria ne réagirent.
– Avez-vous pris du bon temps, Monsieur Brani ? reprit Madame Martone en s'adressant à Dan.
Toujours aucune réaction de la part du jeune homme.
Sans se démonter, elle fit un pas dans la pièce et referma la porte derrière elle. Elle vint ensuite se placer au niveau d'Eldria. Une fois de plus, cette dernière sentit son regard inquisiteur se poser sur sa peau, exposée dans sa plus simple expression. Dans leurs dos, Dan termina d'attacher sa ceinture et d'enfiler sa tunique, puis quitta la pièce sans demander son reste, laissant Eldria seule, à la merci de la vieille femme maléfique. Le fol espoir d'Eldria de voir en cet homme un potentiel allié dans cet enfer s'envola.
Sur le mur une nouvelle fois, elle observa l'ombre de Madame Martone qui se penchait attentivement sur la sienne. Que diable allait-elle lui faire ?
– Bon, levez-vous et rhabillez-vous, se contenta-t-elle finalement d'ordonner.
Pour la première fois, Eldria consentit à tourner la tête. Elle put apercevoir le haut de son propre fessier, rendu brillant par la transpiration, au-dessus duquel se tenait une Madame Martone à l'air autoritaire.
Elle savait qu'elle ne devait pas résister, mais elle était pourtant seule dans une chambre fermée avec cette femme. Une partie reculée – et fort audacieuse – de son esprit lui souffla alors l'idée folle de se lever et de l'attaquer. Peut-être avait-elle une chance dans cette situation ? Cette bougresse n'était plus toute jeune ! Mais Eldria avait beaucoup trop peur. Peur de se battre dans son état, peur des terribles représailles qu'elle ne manquerait pas de subir si elle échouait...
Le regard de Madame Martone était dur, et ne laissait aucune place à l'hésitation pour quiconque le croisait. Après quelques secondes, et à contrecœur, Eldria poussa péniblement sur ses bras pour se soulever du lit sur lequel sa poitrine reposait toujours. En se dressant, elle sentit le sperme partir de son dos et s'écouler lentement dans la raie de ses fesses. Ses jambes tremblèrent lorsqu'elle se mit à moitié debout pour ramasser sa culotte. Elle s'empressa d'enfiler le sous-vêtement, ce qui eut pour effet de stopper quelque peu l'écoulement.
Alors qu'elle se penchait de nouveau pour ramasser sa robe, Madame Martone l'interrompit :
– Je vais reprendre ça, dit-elle en ramassant le vêtement et en lui tendant un pagne.
Peu désireuse de retrouver ce haillon crasseux et puant, Eldria marqua un court instant d’hésitation mais dut tout de même se résoudre à l'attraper, de peur de contrarier la vieille femme et de ne finalement rien à avoir à se mettre sur le dos.
– Je suis satisfaite de voir que vous n'avez pas résisté, Mademoiselle Calann.
Elle étudia la robe entre ses mains avec attention.
– Vos vêtements sont comme neufs, on ne vous les a visiblement pas arrachés de force.
Sous le tissu de l'habit de fortune qu'elle était en train de revêtir, Eldria rougit.
– Vos cheveux ne sont même pas ébouriffés, un véritable exemple de soumission...
Eldria ne dit rien. Elle prit tout son temps pour ajuster son pagne puis fit mine de s'intéresser aux dalles sur le sol. Elle ne voulait surtout pas croiser le regard de Madame Martone. Il fallait que cette femme croie que Dan l'avait violée. Il ne fallait surtout pas qu'elle apprenne que le jeune homme ne l'avait même pas touchée. Tant que Madame Martone était persuadée qu'elle remplissait son rôle, il y avait une chance pour qu'elle la laisse tranquille.
Une fois rhabillée, elle se sentit – si cela était possible – un peu mieux. Ou du reste beaucoup moins vulnérable. Elle avait jusque-là redouté de devoir sortir de cette pièce entièrement dénudée, ses formes exposées aux yeux de tous ceux qu'elle serait inévitablement amenée à croiser. De tous ces hommes avides de sexe...
Madame Martone l'observait toujours d'un regard inquisiteur. Que pouvait-il bien se passer dans sa tête ? Se doutait-elle déjà de quelque chose ?
Après quelques instants, elle reprit la parole :
– Bon, sortez. Vous allez être ramenée à votre cellule. Ne vous inquiétez pas, vous aurez la joie de revenir ici la semaine prochaine.
Une semaine ? C'était donc tous les sept jours qu'elle et toutes les autres filles seraient forcées à venir faire vivre ce lieu de débauche ? Tout ce qu'Eldria voulait maintenant, c'était qu'on la laisse tranquille durant les sept jours qui l'attendaient. Elle avait besoin de réfléchir, il fallait qu'elle trouve une solution pour sortir d'ici. Mais laquelle ?
Dans le couloir menant au grand hall, des hommes passaient. Un air satisfait se lisait sur leurs visages. Eldria en déduisit que tous, comme Dan, avaient pu se soulager à leur guise... Cela les rendait-il si heureux ?
Mais plus que les hommes, se furent les femmes qui attirèrent l'attention d'Eldria. Certains étaient à moitié dénudées, d'autres portaient un pagne semblable au sien. Toutes étaient hagardes, chacune suivant ou étant tirée par des soldats. Eldria préféra ne pas imaginer les sévices que toutes ces jeunes femmes avaient eu à subir. Elle se sentit même soudainement chanceuse de son sort, elle qui avait au moins pu préserver une partie de son honneur.
Derrière la porte, un garde casqué et en armure de plates semblait l’attendre, et l'attrapa sans cérémonie par le bras. Son accoutrement n’était pas tout à fait le même que les autres. Son armure était pourpre et semblait de bien meilleure qualité que les simples harnois rouges de ses collègues.
– Ramenez-la en cellule, lui ordonna sèchement Madame Martone.
Eldria eut le temps d'apercevoir la vieille femme se diriger vers une autre porte close, avant que l'homme ne l'attire avec force en direction du grand hall. Ils croisèrent d'autres hommes et d'autres jeunes femmes, sortant petit à petit des différents couloirs, dans lesquels devaient se trouver d'autres chambres. Eldria scruta les environs à la recherche de Salini ou de Karina, en vain. Peut-être étaient-elles déjà sorties, ou peut-être étaient-elles encore en mauvaise compagnie dans l'une de ces chambres... Elle espérait de tout cœur que ses deux amies avaient eu autant de chance qu'elle.
Elle n'aperçut pas non plus Dan, qui avait déjà dû partir elle ne savait où. Le reverrait-elle de nouveau la semaine prochaine ? Voulait-elle seulement le revoir un jour, après avoir dû honteusement se déshabiller et s’offrir à lui de la sorte ?
Au milieu du Hall, une très jeune femme aux cheveux châtains, recroquevillée par terre et ne portant aucun vêtement, criait. Deux hommes à côté d'elle l'observaient en riant, avant de l'attraper chacun par un bras et de la traîner sur le dos, à même le sol. La jeune femme se débattait en sanglotant.
– Non ! Laissez-moi partir ! Par pitié ! Je veux revoir ma famille ! Au... au secours !!
Eldria préféra détourner le regard. Elle aurait voulu aider cette fille, elle aurait voulu pouvoir les aider toutes, mais elle en était incapable. Pourquoi était-elle née femme ? Pourquoi n'était-elle pas née en homme fort ? Au lieu de cela, elle était mince, frêle, et pas très grande par-dessus le marché...
Le garde l'entraîna sans ménagement dans la cour à l'extérieur du hall, puis en direction de la porte par laquelle elle était entrée avec ses trois amies environ une heure et demi plus tôt. Personne d'autres ne les suivit, elle en conclut donc que cette aile du complexe ne devait pas accueillir encore beaucoup de captives.
Dédales de couloirs. Toujours aucune trace de Salini, Karina, ni même de Dricielle. Qu'était-il advenu de cette dernière ? Peut-être l'attendait-elle simplement dans la cellule qu'elles partageaient toutes deux ? Eldria avait besoin de parler, de se rassurer mutuellement avec quelqu'un. Elle espéra de tout cœur qu'elle ne se retrouverait pas seule dans la cellule sombre et lugubre qui lui faisait maintenant office chambre.
Ils descendirent l'escalier menant sous terre. Le garde ouvrit les quelques grilles sur leur chemin, et guida finalement Eldria jusqu'au couloir menant à sa prison de fer. A son plus grand désarroi, Dricielle ne l'y attendait pas. Avec déception, elle entra dans sa cellule, que le soldat verrouilla ensuite avant de tourner les talons, sans un mot. Elle écouta le cliquetis de son armure s'éloigner peu à peu, le son métallique de la grille menant aux escaliers se refermer, et le claquement de ses chaussures contre les marches de l’escalier se faire de plus en plus faible, à mesure qu'il approchait de la surface.
Puis ce fut le silence. Lourd. Pesant.
Eldria s'assit par terre, contre le mur, les yeux perdus dans le vague. Elle était maintenant seule. Elle avait surmonté cette épreuve. Elle repensa à tout ce qu’il venait de se passer. Le bain avec ses amies, la grande cour, les mains du vieil homme sur sa poitrine, l'entrée dans le grand hall, les cris, Dan l'attrapant, Dan la rassurant, Dan lui demandant de se déshabiller, Dan se masturbant sur elle...
Elle plaqua ses mains contre son visage et se mit à pleurer. C'était donc cela qui l'attendait ? Etre sortie de son trou toutes les semaines et être amenée de force dans une petite pièce pour y subir toutes sortes d'humiliations ? Et encore, elle pouvait s'estimer heureuse, aujourd'hui on ne l’avait même pas touchée...
Eldria approcha la main de son dos, près de l'endroit où Dan s'était épanché. Elle hésita quelques secondes, puis la glissa sous son pagne. Sa peau était encore légèrement gluante. Elle s'empressa de frotter l'endroit avec le tissu de son pagne pour s'essuyer. Puis elle passa l'index sous sa culotte, au niveau du sillon que formaient ses fesses. Le sous-vêtement collait à l'endroit exact ou le sperme avait coulé. Elle fit là aussi de son mieux pour se nettoyer.
Malgré le fait qu'elle se soit lavée le matin-même, elle se sentait sale, et mal. En plus de cela, et maintenant que toutes ses autres préoccupations étaient passées et qu'elle n'avait plus à se soucier de rien d'autre que du temps qui passait, une autre sensation revint bientôt à la charge : la faim.
Si elle avait pu se désaltérer dans la salle de bain quelques heures plus tôt, elle n'avait en revanche rien avalé de solide depuis près d'un jour et demi. Son estomac gargouillait, et elle aurait donné n'importe quoi pour un simple morceau de pain. Allait-on lui amener quelque chose à manger ? Elle se rassura en se disant qu'ils ne pouvaient de toute façon pas la laisser mourir de faim, vu ce qui était attendu d’elle.
Elle ne savait pas si elle avait envie d'entendre du mouvement dans le corridor. D'un côté, elle espérait que Dricielle allait bien, et qu'on la ramènerait ici. De l'autre, elle redoutait plus que tout que les hommes qui l'avaient pratiquement violée la veille reviennent la tirer de son trou pour demander leur reste...
Mais absolument rien ne se passa. En penchant la tête au travers des barreaux, elle pouvait apercevoir un faible rayon lumineux sur le sol d'une des cellules à sa gauche. Ladite cellule devait disposer d'un soupirail donnant sur l'extérieur. Grâce à la petite trace de lumière au sol, elle jugea qu'il devait être midi. Cela ne faisait alors qu'une vingtaine de minutes qu'elle était de retour dans sa prison. De temps en temps, elle se levait et scrutait cette unique source de lumière. À mesure que la journée avançait, elle la voyait se déplacer, en fonction de la position du soleil. Puis cela devint bientôt sa seule distraction. Elle s'asseyait ou s'allongeait dans un coin, attendait le plus possible, puis, une fois qu'elle jugeait que suffisamment de temps avait passé, se levait pour constater comment la journée avait avancé. Et quand elle attendait, elle pensait à sa famille, à ses amis, à tous ceux qu'elle aimait. Parfois même, elle ne pensait à rien. Son regard se perdait alors dans le vide. À d'autres moments, elle tournait en rond, marchant parfois vite, parfois lentement, sans aucun but précis. Elle-même ne savait pas pourquoi elle marchait.
Finalement, au bout de quelques heures, le carré de lumière sur le sol finit par s'estomper, et il fit bientôt encore plus noir. La nuit venait de tomber. N'ayant rien d'autre à faire, et sentant la fatigue la gagner petit à petit. Eldria plaça son tapis et celui de Dricielle – était-ce encore celui de Dricielle ? – l'un à côté de l'autre, et s'allongea dessus, sur le dos. Elle arrivait à peine à distinguer le plafond à un peu plus de deux mètres au-dessus de sa tête.
Encore un long moment s'écoula avant que le sommeil ne parvienne, au terme d'un long combat, à l'emporter sur la conscience.
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