ED
Les crêpes de Suzanne, juste glacées au sucre, étaient tout simplement un délice. Délice auquel seuls Ed et les enfants avaient le droit de succomber. Il adorait voir les tronches envieuses de tous ses collègues lorgnant sur la friandise. Les occupants permanents du bureau et ses collègues à l'année s'appelaient Paul, Marco et Christophe. Le premier était un petit fils de riche plutôt sympa, aimant vanter ses mérites mais pas méchant pour un sou. Marco, homosexuel fier de l'être mais pas folle, passait ses journées le nez collé à l'écran, Chris lui était le plus jeune et instable des quatre. Du bas de ses 32 ans mal vécus et sa petite taille -1m63-, il avait toujours ce regard qui fout tout le monde mal alaise. Ed était l'ancêtre, comme aimaient à le surnommer affectueusement les trois autres, il rodait la cinquantaine mais possédait encore assez de force et de vigueur pour ne pas avoir à pâlir devant ses lascars. Le respect et l'admiration qu'ils lui portaient étaient latents.
L'équipe d’Ed n'avait pas grand chose à se mettre sous la dent depuis plusieurs semaines. La dernière fois c'était une histoire ou Chris croyait avoir déniché une arnaque policière de grande envergure et s'était pété les dents sur un pathétique faux en écriture. Emballé qu'il était par sa trouvaille, il avait désobéi à tellement de règles déontologiques qu'il serait ennuyeux de les citer, et avait balancé son torchon sur le site à l'insu d'Ed qui dormait paisiblement chez lui. Le téléphone qui sonne à deux heures du mat c'est jamais bon signe et encore moins quand il sonne chez Ed. La seconde qu'a duré la première sonnerie suffit à Ed a se souvenir des quelques éléments désagréables qui s'étaient produits suite à des appels nocturnes. L'angoisse ne fit que grandir lors qu'Ed décrocha le combiné et que la voix au bout du fil aboya un sec: "Sergent Gasquet, Monsieur Édouard Clin?"
-"Lui même"
-"C'est quoi ce torchon sur votre site? Vous vous rendez compte du merdier dans lequel vous vous êtes foutu? "
-"De quoi vous parlez bordel? J'ai lu la totalité des articles qui sont sur le site et il n'y a rien à redire, tout est nickel"
-"Grande Arnaque! Quand la police raquette. Publié à zéro heures quatorze par un certain Christophe Chapo. Un nom à la con d'ailleurs."
Ed eu un sentiment de rage mêlée à du soulagement. Il prit sa voix la plus appliquée.
-"Cet article, que je n'ai pas lu et dont je n’avais nullement connaissance a été publié sans mon accord, je vais téléphoner à mon assistant dès que nous aurons raccroché pour lui transmettre l'ordre de supprimer l'article sur le champ. Une fois que j'en saurait plus quand à la provenance de l'article en question je vous rappellerais immédiatement." Comme aucun son ne répondait il ajouta. "Je suis sincèrement désolé pour cette maladresse et je vous assure que dès que le ou les responsables auront été identifiés il seront sévèrement punis"
Le Sergent baissa d'un ton avant de répondre.
-"J'attends en effet que votre journal demande des excuses publiques au corps de police pour cette diffamation. Je veux que le responsable en question demande des excuses publiques." La voix du Sergent devint presque condescendante. "Monsieur Clin, vous avez des amis dans la police, vos papiers sont lus et appréciés par une grande partie de la maison et il serait regrettable que certains de vos collaborateurs ne vous discréditent en publiant des torchons pourris"
Tout le monde s'en était sorti avec un long discours d'excuses publié en première page du site. Chris avait en outre du inviter les trois autres au restaurant plusieurs fois afin de se faire pardonner.
Depuis qu'il avait créé son site, Sans_Tabous.com, Ed s'était fait une bonne poignée d'ennemis dans le milieu journalistique et ses articles sans concessions n'étaient pas du goût de tout le monde, à plusieurs reprises ses anciens collègues ou collaborateurs avaient tenté des manœuvres d'intimidation afin qu'il mette un peu d'eau dans son vin. Nombre de ces coups de fil se terminaient par des noms d'oiseaux qui volaient aux quatre vents. Qu'importe, Ed avait quitté le journal qu'il dirigeait pour ne plus avoir à brosser qui que ce soit et ce n’était pas à son âge qu'il allait se laisser intimider. D'ailleurs, la majorité l'avaient bien compris et ne perdaient plus leur temps ni leur sommeil pour le réveiller en pleine nuit.
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