LE SUD
Je m'appelle Louise !
Et je suis née déracinée.
Depuis toujours, J'ai ce sentiment en moi d'être déracinée et mal ancrée. Mon identité est basée sur des silences, des non-dits ou des vérités dissimulées. Mon cœur et mon âme, sont déséquilibrés.
j'ai l'impression tenace de venir d’ailleurs. Ma peau est claire, mes cheveux ni crépus ni frisés mais mon sang est bien celui d'une métisse.
Depuis quelques jours, je pense à vous mes aïeux, qui venaient du Sud, et voulaient remonter vers l'europe pour couler des jours merveilleux.
Je vous imagine rassembler vos maigres économies et rester sourds devant ceux qui insistaient pour vous dissuader de quitter votre terre tunisienne.
Ne partez pas vers l'inconnu, vers ces gouvernements qui vous promettent monts et merveilles !
J'imagine que le chef de famille s'est senti obligé de faire l'arbitre puisque vous avez grimpé tout de même dans ces bouées de fortune à moins que ce soit sur le radeau de la méduse ou à bord d'un zodiaque surchargé, affrontant les caprices de cette mer souvent hostile, ainsi que ceux des passeurs malhonnêtes .
Combien d'amis, de frères, de corps avez-vous laissé en menant une bataille contre ces vagues déchainées.
Combien n'ont pas survécu à cette épopée !
Malgré vos profondes superstitions, les dieux sont restés sourds à vos prières !
Et vous avez récolté un travail de misère sur une terre soi-disant d'accueil.
Mon paternel n'évoquait jamais son pays, au grand jamais. Je sais seulement qu'il venait de Tunisie, où il naquit, vingt ans plus tôt.
Sans doute, a-t-il tout fait, volontairement, pour effacer les traces de sa propre identité, créant ainsi un secret de famille lourd à porter pour une petite fille et bien davantage encore, une fois celle-ci devenue femme .
Peut-être par peur du racisme, par peur du rejet. Il a même été jusqu'à porter son deuxième prénom, André, car le premier Amédée ne lui convenait guère, encore moins celui d'Ulysse imposé en troisième prénom. Ne rien dire, ne pas faire de vague. Je ne l’ai jamais entendu s'exprimer dans une autre langue que le français, pourtant je sais qu'il comprenait l'arabe. Etait-ce un exil, une volonté de sa famille de venir vivre en France ? Il semblait si difficile à décoder. Il parlait peu, en homme dur. Bel homme, beaucoup de prestance, mais dur.
Avez-vous coulé des jours heureux, au moins ?
Mes aîeux, aujourd'hui, je pense bien à vous, même si cette part de moi-même recèle une énigme !
Cette histoire est racontée sur une musique de Christophe Maé, Lampedusa.
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