Renouveau

4 minutes de lecture

1

Je me glisse dans l’ombre, suivant à pas feutrés un homme d’une certaine corpulence, vêtu d’un costume taillé. Il porte une valise à la main, celle-ci me fait penser à celle qui contient de l’argent dans les films. Je n’ai qu’une hâte ; celle de le dérober une fois que je fracasserai son crâne contre le goudron. Cet homme a une routine bien ancrée, très facile à suivre. Le matin, il se lève dans les alentours de six heures et part au travail à sept heures. Il prend les transports urbains puisque son permis et sa voiture lui ont été saisis quatre ans plus tôt suite à un accident très violent sur l’autoroute. Des articles de journaux s’indignent encore du fait qu’il a échappé à la prison grâce à sa réputation. Un pôt de vin, sûrement. Cet homme est une cible parfaite. À qui manquerait-il ?

Le voilà qui passe près de l’arrêt du bus, celui qu'il prend chaque soir pour rentrer chez lui. Étonnement, le samedi soir, il rentre à pied. Je le suis toujours à la trace, faisant attention à ce que personne ne se doute de rien.

Cet homme-là est directeur de banque, un personnage bien arrogant selon diverses sources d’information. Outre l’accident qui a fait perdre la vie à deux jeunes enfants, il est connu pour ses actions contre la planète. Notre mère, la Terre, saigne toujours. Ces maudits mortels n’ont aucune empathie pour elle. Il est grand temps qu’un ménage se fasse. Une vermine ne manquera qu’aux autres miséreux. J’accélère, évite les zones de lumière tandis qu’il pénètre dans un parc, celui où il passe chaque samedi pour accéder à sa demeure située à quelques centaines de mètres, puis je sors une longue lame. Je surgis dans son dos et enfonce mon couteau, un cri s’échappe de ses lèvres. Et je ris.

Je le poignarde à plusieurs reprises, formant peu à peu un trou. J’enfonce ma main et saisit sa colonne vertébrale, je l’arrache d’un cou, le tuant. La Terre me murmure à l’oreille, me remercie pour ce repas et dévore le cadavre. L’étoupe enveloppe le parc assez rapidement, me permettant une fuite rapide. Elle m’emmène dans un nouveau lieu ; une nouvelle ville dans un nouveau pays.

Tel un prédateur, je chasse. Je m’amuse si bien à les terrifier ces pathétiques mortels, qui si jamais une apocalypse arriverait, ne survivrait pas. J’arrache des organes, les éparpille sur le sol, les offre à notre Mère. Elle chantonne, boit ce gouleyant breuvage et envoie ces âmes ailleurs. Qui sait où elles finiront !

Un ancien commerçant par-là, une vieille Karen par-ici, des âmes peu futées, d’autres plus intelligentes… Peu à peu, au fil des heures, je les fait toutes disparaître. Leurs biens sont reversés par des collègues à des collectivités, des associations, des particuliers.


2

Mangez-donc vos chocolats, priez pour vos Dieux, souriez et réjouissez-vous d’une nouvelle journée. Ne regardez guère à travers l’étoupe traversant vos villages et villes, n’entendez guère les hurlements des condamnés, de ceux qui ont blessé la Terre.

Ou alors, mortels, vous subirez notre rage.

Nous sommes les Dévoreurs, les Protecteurs, les Gardiens, les Dieux.

Le renouveau se fait en quelques jours à peine. Une période chargée cependant c’est une période où de nombreuses âmes sont envoyées dans les Champs des Cerbères, entre les crocs des monstres vivant dans ces dimensions où nulle âme ne peut échapper sans l’aide d’un Dieu. La Terre absorbe le sang, dévore les corps inertes, se nourrit de leur dernière essence pour renouveler son propre corps, pour offrir à tous les êtres la possibilité de vivre plus longtemps. Pour que ce renouveau puisse s’effectuer, il faut des sacrifices. Les noms s’inscrivent automatiquement et chaque année nous choisissons tous une cinquantaine de personnes.

Il arrive que certaines cibles échappent de peu à la mort. Dans ce cas-là, nous sommes en droit de les capturer et de les isoler. Certains de mes frères et sœurs les donnent aux Esprits Vagabonds, d’autres aux Démons, et moi… me demanderez-vous ?

Rien.

Et souvent, ça, c’est pire que la mort. Mourir très lentement dans la faim et le froid, dans l’isolation et la noirceur.


3

Il se penche vers sa victime qui le regarde complètement pétrifié de terreur. Le Lapin de Pâques sourit, dévoilant une dentition parfaite tâchée par du sang. La cible n’émet aucun son, n’a ni même le temps d’ouvrir la bouche lorsque le Chasseur lui arrache ses deux bras. La créature croque comme si ce n’est que du pain, mâche la peau puis l’avale. Les os se brisent peu à peu et descendent dans l’estomac du Lapin. À quelques pas, j’observe, une lueur sadique dans mes yeux, cette scène ordinaire lors du Renouveau. Au loin, les rires innocents des enfants retentissent, leurs aura inébriantes nourrissant les Lapins de bonheur.

Les Lapins déposent des paniers remplis d'œufs et divers chocolats près des buissons, des troncs d’arbres, des rivières et même dans les jardins.

« S’il vous plaît, murmure une femme, plaidant pour sa propre vie.

— Avez-vous arrêté lorsque votre fille vous a suppliée ? demandé-je sur un ton glacial.

— Que…. »

Je la saisis par la gorge coupant net sa phrase. D’un geste vif, je prends ses deux mains. Je les attache à un arbre à l’aide d’un couteau.

« Facile de vouloir vivre, facile de rendre la vie d’autrui un enfer, n’est-ce pas ?

— C…

— Vous semblez vouloir parler, laissez-moi arranger cela. »

Qui juge ceux qui condamnent les innocents ? Je n’ai vu que le dégoût, que la haine, dans leurs yeux lorsqu’ils m’ont envoyé à la mort.

Son enfant mérite mieux. À qui cette femme manquerait ?

Je décide alors de lui coudre les bords de sa bouche ensemble. Mon sourire s’élargit tandis que j’ouvre en grand une orbite, que je sors à l’aide d’une dague un œil.

« Peut-être qu’il aurait fallu être un humain, madame… Et non, le monstre que vous êtes… »

Alors que l’aube pointe le bout de son nez, je recule. La terre s’ouvre lentement, révélant une bouche. Le vent me transporte ailleurs, là où je me repose jusqu’à l’année suivante, là on m’a brûlé à mort.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire AresPhóbos ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0