14. Vendredi
Je réfléchis pour définir s’il serait préférable d’avoir trois ou quatre colonnes dans ma mise en page, mais en réalité, mon esprit est ailleurs, très, très loin de ce genre de banalités. Je n’ai pas dormi de la nuit. Je crois que ma femme pense que je suis définitivement cinglé. Pourquoi l’ai-je mis dans la confidence ? Ce matin, elle m’a conjuré de mettre fin à mes « activités chelous », et d’aller déjeuner avec mes collègues.
Dont acte. Le restaurant, d’une taille pourtant modeste, donne l’impression de se trouver au cœur d’un réacteur d’avion ; le nombre de décibels atteint par toutes ces bouches affamées dépasse sans aucun doute celui d’un concert de rock. Je me sens oppressé, agressé. Je préfère penser à mes colonnes et mes polices de caractères ; je m’imagine détourer au lasso un petit chien mignon.
Les collègues participent largement au brouhaha, palabrent sur des choses ennuyeuses comme leurs enfants. Ils ne rechignent pas non plus à dénigrer les absents ; je suppose alimenter régulièrement leurs conversations. Moi aussi je pourrai critiquer. Médire, c’est facile. Je pourrai dévoiler, par exemple, que Bruno le Dircom est un idiot. Il se moque sans cesse de mes idées originales, et se les approprie lorsque les clients les adorent. Mais à quoi bon ? C’est comme ça, c’est tout.
Un fugitif silence me permet d’en placer une :
— Vous savez que tous les jardins publics de Paris sont fermés ?
La tablée me regarde, l’air gêné.
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