Bleu déclin
Quatre rectangles bleus sur fond bleu, comme les carreaux d'une fenêtre donnant sur rien, ou des miroirs reflétant un paysage vide. C'est une certaine vision de l'enfer, à l'opposé des tableaux fourmillants du Moyen-Age qui dépeignaient un inframonde surpeuplé, tout en brochettes de suppliciés, chaudrons débordants de corps nus, et diables contrefaits maniant avec gourmandise fourches et fouets. Pour ma part, j'ai souvent imaginé ainsi la torture ultime : être plongé pour l'éternité dans un non-lieu, un infini monochrome et ouaté, sans rien à voir, à sentir, à goûter. La conscience sans la perception, pour les siècles des siècles. Entre ça et se faire bouffer le foie H24 par un rapace, je ne sais pas ce que je choisirais.
Ce grand bleu, ce pourrait être l'endroit où sont envoyés en pénitence les procrastinateurs qui traînent sur Scribay plutôt que de se consacrer à leur vrai travail. (Putain, il est déjà 10h03)
Une lumière semble cependant émaner de ces quatre rectangles, suggérant qu'il se passe quelque chose derrière. Peut-être est-ce le siège de l'intelligence artificielle qui régit mon ordinateur. Si je pouvais entrer dans ce fond d'écran et regarder par la fenêtre, je la verrais là, assise derrière un bureau virtuel, tapotant sur un clavier comme je le fais en ce moment, traitant avec nonchalance les rafales de 0 et de 1 que je lui envoie en permanence. Telle une déesse ancienne dont la simple vue calcinerait les yeux des mortels, elle se serait incarnée sous l'apparence d'un moi miniature, par égard pour mon cerveau limité d'humain, bien incapable d'appréhender sa véritable forme.
Merde, 10h16, c'est plus possible.
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