Un soir d’octobre

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L’heure d’hiver venait d’être passé il y avait quelques jours déjà. La météo ne faisait qu’à sa tête, les nuits commençaient à dominer les jours et les dernières douceurs de l’été s’évanouissaient avec panache et dignité.


Au milieu d’une flore colorée et balayé d’un vent frais et léger, un jeune homme flânait. Le temps ne lui manquait pas, aucune obligation ne le contraignait réellement, si bien que, pas une seule fois, il n’avait regardé sa montre. Débusquer des écureuils craintifs et des lièvres fugaces l’intéressait bien davantage. Quoi de plus normal, voilà des mois qu’il ne s’était pas adonné à ce bonheur simple.


Durant sa marche, il repensait à son obsession du moment : le Temps. Qu’il pouvait défiler vite ! la première fois qu’il l’avait réalisé, c’était environ huit ans auparavant. Encore au lycée, la vie d’adulte demeurait lointaine, le monde restait encore bien portant et l’avenir conservait toutes ses promesses. Rendu en 2024, la France avait gagné une nouvelle coupe du Monde, les jeux Olympiques de Paris étaient derrière lui et il avait traversé une pandémie, de celles immortalisées dans les livres d’histoires. Il repensait à l’Histoire qui s’écrivait tout autour de lui, un sourire aux lèvres, avant de se laisser gagner par la mélancolie. Seul le mot « décevant » restait à la fin de cette rétrospective.


Après tout, il ne restait qu’un spectateur de la marche du monde, comme l’immense majorité des gens qu’il connaissait. Mais le bât blessait ailleurs, ou plutôt en lui. Il se souvenait d’une conviction qu’il avait gagné peu après ses quinze ans : que dix ans plus tard, il deviendrait une version « stylée » de lui-même. Plus grand, plus beau, plus sûr de lui, … en somme, un lui en mieux.


Voilà environ deux mois que la date de ses vingt-cinq printemps était passé. Rendu où il était arrivé, une profonde tristesse le gagna. En réalité, elle revenait simplement le submerger, le jeune homme la couvait depuis quelques années déjà. Depuis ses vingt ans, sa vie ressemblait à une guerre sans fin, ponctué que trop rarement par des trêves. Adepte de philosophie, il décrivait ce chapitre de sa vie comme le « désenchantement du monde ». Il se reconnaissait, à son grand déplaisir, dans le personnage de Lucien dans « Illusions perdues ». Le jeune homme partageait avec lui sa sensibilité, son charme et ses rêves de gloires à la seule force de ses talents, ainsi que l’admiration de ses proches. C’était toutefois dans le pire que le parallèle devenait douloureux : la naïveté, la facilité, l’orgueil et surtout la vanité annonçaient sa future chute, qui avec du recul paraissait évidente. Comme Lucien, le jeune homme avait menti, trahi, déçu, perdu son temps, gâché ses talents, eu le cœur brisé ; été ridicule, pathétique, mauvais parfois ; perdu ses rêves, des amis, des opportunités. Comble de l’ironie, il avait côtoyé la mort de près en se pensant plus fort que la vie, comme son alter ego. Sa convalescence l’avait éloigné de tout durant plusieurs mois. Seul devant le fait accompli, il n’avait pu que conclure ceci : après un quart de siècle, hormis le compte en banque, rien ne marchait droit dans sa vie. Le pire dans tout cela : presque tout était sa faute.


Baigné dans l’éclat du soleil d’automne, le jeune homme retrouvait du plaisir dans presque tout, ces petits riens témoignaient de son existence. Cette dernière était devenue vinaigrée toutefois. Les médecins qu’il avait croisés lui parlaient presque de « miracle », mais lui ne retenait que « l’amertume ». Pendant qu’il pataugeait dans sa choucroute, son entourage avait avancé. Beaucoup avaient embrassé leur vie d’adulte, tandis que lui dépendait encore de ses parents.


L’hiver approchait, lentement. Le jeune homme craignait qu’il ne durât une éternité. Il s’efforçait de se convaincre que son heure viendrait un jour, mais il redoutait que seul l’aigreur ne survécût dans son cœur à l’arrivée du printemps.


Le soleil disparaissait, le jeune homme regagna son foyer. Encore une fois, il s’endormait, amer, comme les autres soirs d’octobre.

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