Médecin-hypnose
Basé sur un fait journalistiquement vrai.
« Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer. »
Marie, tout en rassurant le patient, préparait son matériel d'hypnose. Dans la salle d'opération, tout le monde était à son poste, il ne manquait plus que le chirurgien. Elle regarda M. Gérard, allongé au milieu de la pièce, et pouvait voir qu'il était anxieux. Anxieux de voir tant d'infirmières bouger autour de lui ; anxieux d'observer l'assistante-médecin lire son dossier médical ; anxieux d'apercevoir les outils qu'il considérait comme des outils de torture, et enfin anxieux de se faire opérer du cœur sous hypnose.
Marie, anesthésiste renommée du service hospitalier de la ville, avait pris la décision d'opérer M. Gérard sous hypnose. C'était une première. Elle avait suivi les formations, passé des examens stricts, suivi un protocole de tests rigoureux sur des cobayes pour enfin commencer les tests grandeur nature. D'abord en tant que prémédication puis enfin, après tant de temps et de pratique, en remplacement total d'anesthésie, qu'elle soit locale ou générale. Il n'y avait plus qu'à trouver un patient.
M. Gérard devait se faire remplacer la valve aortique. Vu son âge, il était compliqué de faire cette opération à cœur ouvert, et la T.A.V.I. (technique faisant passer la valve par l’aine et non en ouvrant le torax.) fut donc choisie. Opération plus complexe à mettre en œuvre, mais beaucoup moins traumatisante pour le patient. Mieux que cela, une T.A.V.I. ne nécessitait aucune anesthésie générale – cas parfait pour Marie. Enfin, elle réussit, non sans mal, à convaincre M. Gérard d'essayer l'hypnose : au bout d'une bonne heure de discussion, il émit son accord.
Tandis que le chirurgien terminait de se laver les mains, les infirmières installèrent une sorte de capuche recouvrant le visage du patient. Sur ordre de Marie, le champ de vision du patient ne devait pas s'étendre à son corps. Bien que sous hypnose, il ne fallait pas tenter le diable.
Le chirurgien entra. Henry de son prénom. Jeune, cheveux ébouriffés comme si un pétard avait explosé sur sa tête. Henry avait une petite mine et des cernes sous les yeux. Marie comprit directement que quelque chose n'allait pas. Henry ne salua même pas. Il se contenta de demander laconiquement si le patient était prêt.
« Pas encore. »
Marie regarda Gérard dans les yeux et prit son pendule. Elle laissa tomber la masse pointue et dorée juste au-dessus du nez de Gérard et y donna un petit balancement. Ensuite, regardant toujours Gérard dans le fond des yeux, Marie prit une voix bien grave, chaude et apaisante.
« M. Gérard, veuillez suivre le pendule et écouter ma voix. Vous vous détendez, profondément. »
Sous le regard subjugué des infirmières et de l'assistante, Marie mit en état d'hypnose Gérard. Il avait les pupilles écarquillées et sa respiration était extrêmement lente. Marie releva la tête au-dessus du drap séparateur tout en gardant son pendule oscillé.
« Il est prêt. »
« Bien », dit Henri à travers son masque de chirurgien. Et dans un lourd silence, Henri attrapa un scalpel. Il se pencha sur l'aine au-dessus des genoux et, dans la zone désinfectée par une infirmière, fit une incision de 2-3 centimètres.
« Compresse. »
Silence.
« Mais dépêchez-vous ! », cria-t-il énervé.
Marie, surprise elle aussi, releva la tête tout en continuant le mouvement de son pendule et demanda :
« T'as mal dormi ?
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Rien, disons que cela fait cinq ans qu'on se connaît et je t'ai connu un peu plus agréable. Un problème ? » dit-elle en penchant la tête vers le bas pour s'assurer que Gérard était toujours en état de transe.
Henri, tout en posant la compresse et attrapant le long câble du cathéter, répondit :
« Elle m'a largué !
- Oh, Silvia t'a quitté ?
- Silvia ? Mais non, Silvia ne m'a jamais largué. Je parle de Brigitte.
- Ah, c'est fini entre toi et Silvia. Zut, je l'aimais bien. »
Henry constata qu'il avait fini de remonter l'artère via l'écran de radiologie. Comme un ramoneur de cheminée, Henry venait d'atteindre la valve déficiente à remplacer.
« Je te dis que ce n'est pas Silvia...
– Oui ben, désolée, je ne suis pas toutes tes conquêtes. Il y en a une par mois. D'ailleurs, à force, tu devrais être habitué à te faire larguer. »
Henry se retourna violemment vers elle. Bien qu'il portât un masque sur la bouche, Marie, rien que par son regard, comprit qu'il grinçait des dents. Mais avant que le chirurgien ne puisse répondre, M. Gérard émit un son.
Grrr...
« Ton patient se réveille. Tu comptes laisser faire ? »
Marie plongea la tête. Elle tourna un peu plus rapidement son pendule et murmura.
« Vous vous rendormez, vous vous rendormez, vous voulez dormir, aaaahhhh... »
Le patient cessa de gémir. Marie releva la tête et vit Henry préparer le ballon.
« C'est bon, il redort. Pour info, elle t'a largué pour quoi ?
- Pour des raisons à la con. Comme quoi je ne serais pas stable, blablabla, blablabla. Elle a dit qu'elle me parlerait après cette intervention. »
Marie, toujours imperturbable, eut un regard bizarre.
« Et ce n'est pas le cas. Tu es stable ?
- Oh ça va, toi, est-ce que je m'occupe de ta vie... »
Bibib bib.
Un écran s'emballa. Tous se tournèrent vers l'électrocardiogramme. Le cœur de M. Gérard défaillait. Et comme s'ils avaient tous perdu leurs clés, chacun cherchait ce qu'il avait fait de mal. Marie se replongea dans les yeux du patient, les infirmières cherchèrent autour d'elles et Henry cria :
« Trouvé, j'ai accroché.
- Quoi ? dit Marie en relevant la tête.
- J'ai accroché l'aorte avec le cathéter. Je n'arrive pas à le défaire. Faut ouvrir.
- Quoi ? Non ! dit-elle, sachant que son expérience d'hypnose était finie.
- M'enfin j'ai accroché, j'ai accroché, tu veux quoi ?
- T'avais qu'à pas te faire larguer, arrange cela ! » répondit-elle en forçant son pendule. »
Les infirmières se regardaient. Les guerres entre médecins sont vraiment un truc pénible...
Bibib
« Marie, tu te fous de moi ! Tu veux que je lui arrache la moitié du cœur en tirant un coup sec ? »
Marie comprit que l'expérience s'arrêtait.
« Pff, t'es chiant, Henry. Bon, préparez-moi une dose de Diprivan. »
Marie voulut retourner dans l'inconscient de M. Gérard pour le ramener un peu avant de lui soumettre le puissant hypnotique, mais elle remarqua que les infirmières ne suivaient pas son dernier ordre.
bibi bibi bibibibi
« Ben quoi ? dit-elle en vérifiant qu'elle tournait toujours son pendule.
- Euh, Docteur, vous n'avez pas commandé de kit anesthésique pour cette opération.
- Quoi ? » s'exclamèrent en chœur le chirurgien et Marie.
(Grrr)
« Eh merde... Vous êtes endormi, vous ne sentez rien, hoaaaaa », fit Marie pour renvoyer son patient dans les limbes. Puis elle releva la tête.
« Qui a oublié de commander un kit ?
- Euh... vous, Docteur. La case n'était pas cochée sur le document de commande.
- M'enfin, c'est obligatoire pour toute opération. Quand bien même j'aurais oublié, vous auriez dû en commander un ou bien au moins demander.
- Oui, mais nous avions été prévenues que c'était une première, que le patient serait opéré sans anesthésie. On s'est dit que c'était normal que vous ne demandiez pas de kit anesthésique.
- M'enfin, c'est totalement con !
- Bien joué, Marie, on fait quoi ? » dit Henry.
Bibib bibib.
« Comment ça, on fait quoi ? Tu vas chercher un plateau anesthésique et tu reviens.
- Quoi ? Mais non, je vais être en retard à mon rendez-vous avec Brigitte. Hors de question, on l'ouvre.
- Mais t'es fou ? Assistante-médecin, allez chercher un kit immédiatement. »
Marie eut à peine le temps de terminer sa phrase que Henry attrapa un sternotome, sorte de petite scie sauteuse, et commença et scier le sternum du patient.
Haaa...
« Henry, le patient !
- Ben, hypnotise-le, m'en fous, on n'a pas le temps.
- Mais qu'est-ce que... »
Quand Marie vit le sang gicler tant Henry forçait le trait, elle se repencha sur le patient qui grimaçait et commença à accélérer le mouvement de son pendule.
« Vous ne sentez rien, vous ne sentez rieeeeen, vous ne sen... »
CRRRRAAACK.
Marie releva la tête. Henry s'était arrêté de scier le sternum, il en était venu à arracher les côtes à la main.
« ELLE NE ME LARGUERA PAS, CETTE CONNASSE »! dit-il un pied sur la table, les deux mains sur les petits os.
Marie,devant cette scène, retourna vers son patient. Elle tourna tellement vite son pendule qu'il était maintenant à l'horizontale.
Crrrrrr...
« Vous Ne SENTez RIIEEEEeeeeennn.. »
Henry continua son désossement, le cœur battant était maintenant visible. Il plongea la main sous les regards effrayés des infirmières, attrapa la veine gonflée et pinça fort en espérant débloquer le cathéter.
HAAAAA... !.
M. Gérard, toujours les pupilles grandes ouvertes, subissait des convulsions. Marie tournait le pendule tellement fort qu'elle en avait mal à la main. Elle ne savait plus quoi faire, Gérard allait bientôt se réveiller, quand...
« Je l'ai ! »
BANG, CLANG.
Henry décoinça le cathéter au moment même où la ficelle du pendule se brisa. Le poids du pendule alla directement dans la tête de l'assistante-médecin. Celle-là même qui était allée chercher un kit d'anesthésie. La masse la mit K.O. et la fit s'écrouler sur le sol.
Silence.
Henry enleva ses gants.
« Bien, assistante-médecin. Refermez tout, nous le réopérerons plus tard. Moi, j'ai un rendez-vous. »
Tout en quittant la pièce, il dit :
« Pas terrible, l'hypnose.
- CONNNNAAAARRRD ! »
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