Mon dragon
Je m'enfonçai dans le sous-bois, le cœur battant un peu plus vite. Il n'y avait jamais personne à cette heure de l'après-midi, mais l'histoire du Petit Chaperon Rouge résonnait toujours dans ma tête à ce moment de mon périple. C'était bête. Je ne risquais rien. Surtout que je touchais au but : mon château fort était là, juste devant moi. Les rayons du soleil éclairaient ses larges poutres et son entrée un peu penchée. Sur le côté, mon blason peint à la gouache affirmait mon amour pour le bleu, les vagues et le soleil. Une fois à l'intérieur, j'allais pouvoir...
Je m'arrêtai, surprise. Étais-je bien en train de voir ce que je croyais ou ma vue me jouait-elle des tours ? Je m'approchai, presque sans bruit, et stoppai à quelques centimètres de cette peau écailleuse qui frissonnait à mes pieds. J'avais furieusement envie de tendre le doigt, de la toucher, mais la peur retenait mon geste. C'est que la bête était énorme : le plus gros spécimen de dragon que j'avais jamais vu ! Il était là, paisiblement endormi sur le côté de mon château. Sa peau se confondait avec la couleur du bois, ce qui pouvait expliquer que je ne l'avais pas remarqué tout de suite.
Incapable de résister, je touchai son flanc d’un doigt fébrile. Je sentis un léger frémissement, mais il ne bougea pas. Je m'enhardis et posai ma main entière sur lui, savourant cette sensation nouvelle. C'était doux, frais, un peu piquant si je le caressais à rebrousse-écailles. Jusqu'où pouvais-je pousser mon avantage ?
Agenouillée dans les aiguilles de pin, je voulus resserrer mon étreinte pour attraper ce magnifique spécimen, mais un grondement sourd m’arrêta. Je connaissais bien les chiens, et ce genre de grognement n'annonçait rien de bon. Je suspendis mon geste et rangeai mes mains, par précaution. Je réalisai alors seulement que je ne savais pas où était la tête de mon dragon : il semblait être passé sous le mur de mon château médiéval, mais avec la bruyère, je n'en étais pas bien sûre.
- T'es où zoli gragon ?
Je me penchai un peu, pour tenter de le voir, quand un souffle chaud s'abattit sur ma nuque. Je me tournai vivement, atterrissant sur les fesses sans aucune considération pour mon short blanc. Une tête aussi grosse que la mienne était à quelques centimètres de mon nez. Je réalisai alors seulement que ce que j'avais pris pour le flanc d'un petit animal n'était que le bout de sa queue !
Je me demandai si je n'allais pas pleurer un peu et préférai mettre mon pouce dans ma bouche pour me donner un peu de courage. Je savais lire dans les yeux des chiens, et ceux tout jaunes du dragon ne m'inspiraient finalement aucune crainte. Il pencha la tête et sembla regarder sa queue.
Soudain, je compris.
- T'es coincé ?
Il émit un petit sifflement. OK, le message était clair.
Combien de temps mis-je à libérer sa queue enchevêtrée dans les murs de mon château ? Difficile à estimer... Tout ce que je sais, c'est que j'ai réussi à le libérer au moment où ma grand-mère pénétrait dans le sous-bois en m'appelant. C'est dommage : j'aurais bien aimé lui montrer le plus beau dragon que j'avais jamais vu !
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