Chapitre 7 - de morsure en morsure
L’esprit totalement embrumé, Lidseï observait ses doigts sans comprendre. Il touchait du tissu. Du tissu doux. Il était couché sur du tissu doux. Il frotta doucement sa joue et ferma les yeux, savourant la texture. Sans vraiment le vouloir, il se rendormit.
Le réveil suivant fut un peu plus clair mais moins agréable. Son ventre le faisait souffrir. Il se recroquevilla légèrement sur lui-même et fut vraiment surpris de ne pas sentir une laisse se tendre sur son collier. Le collier… Il porta une main tremblante à sa gorge et fut horriblement soulagé de ne toucher que sa peau. Sur le côté de sa gorge, elle était boursoufflée. C’était là que le collier avait envoyé le venin. Pourquoi ? Lidseï se replia davantage sur lui-même. Il n’avait pas compris son erreur, mais il avait dû faire quelque chose d’horrible pour être puni à ce point-là. Il frémit. Atkins ne s’arrêtait jamais au collier, pas pour les plus grosses fautes. Avant, il les enfermait quelque part et les laisser « réfléchir à leurs actes » puis il envoyait Perte les massacrer. Perte partit, il avait dû changer de méthodes, mais ce n’était pas foncièrement plus doux pour autant.
Lidseï mit très longtemps avant de se rendre compte que jamais Atkins ne lui aurait retiré le collier. Sa peau à vif, gonflée et si sensible que la caresse de ses propres doigts le blessait, n’aurait pas suffi à lui offrir un tel privilège. Et puis il y avait le tissu. Il était installé bien trop confortablement ! Il n’avait malheureusement pas l’énergie d’explorer son environnement. Il se rendormit avant d’avoir réussi à démêler ses propres pensées, gardant simplement deux impressions diffuses, une impression de déréalité -après tout, ce n’était pas possible qu’il ne porte pas de collier- et une sourde angoisse.
Au réveil suivant, il y avait des mains sur lui, avant même d’avoir pu se retenir, Lidseï porta un coup de dent qui atteint sa cible. Un cri retentit alors que l’autre s’éloignait vivement et une grande agitation régna un petit moment autour de lui sans que Lidseï ne parvienne vraiment à en comprendre quoi que ce soit. Ce fut le goût du sang dans sa bouche qui lui fit réaliser qu’il avait blessé quelqu’un. Il allait être puni pour ça. Un gémissement de pure terreur lui échappa alors qu’il tentait en vain de s’éloigner. Une phrase parvient à percer les brumes de son esprit.
- On n’a pas vraiment le choix… il va falloir lui mettre une muselière.
Une muselière ! Oh oui, Lidseï en aurait presque sourit s’il ne s’était pas senti aussi mal. Il voulait porter une muselière, être envoyé dans une salle -peu lui importait le type d’équipement !- et baiser. Ce serait parfait parce que tant qu’il était en salle, alors il n’aurait pas à retourner dans le bureau. Il trembla un peu plus juste à l’évocation de ce lieu de cauchemar.
Il tenta d’ouvrir la mâchoire pour accueillir la muselière mais rien ne vint. Était-il seul à nouveau ? Lidseï n’arrivait pas à en être certain et il se rendormit avant d’avoir tranché la question. Au réveil suivant, il y avait quelque chose dans sa bouche ou plus précisément sur ses dents. Il poussa dessus avec sa langue, sans réussir à le retirer et essaya de porter sa main à l’engin, mais elle refusa de coopérer. Il était attaché. Un soupir de soulagement lui échappa. Muselé, même d’une façon aussi étrange, et cadenassé au sol, il avait moins de chance de faire une erreur et d’être puni. Il aurait aimé vérifier l’absence de collier à son cou, mais ses mains ne pouvaient plus monter aussi haut. C’était tout aussi bien. Sous sa joue par contre, il y avait toujours ce tissu doux et réconfortant qui le laissait un peu plus perdu encore. Où était-il ?
- Est-ce que tu as soif ?
Lidseï sursauta. Il se croyait seul, à tort visiblement. La voix était douce, un peu basse mais c’était sans doute celle d’un oméga. Il frémit et frotta sa hanche au sol, confirmant qu’il n’était pas nu. Il fallait qu’il le soit pour s’accoupler et si l’oméga n’était pas là pour ça… Un long frisson parcourut tout le corps de l’alpha.
- Lidseï ? C’est important que tu boives, au moins un peu…
Lentement, l’alpha osa tourner son regard vers la voix. Ce n’était pas Atkins, ça, il en était déjà sûr, mais il fut vraiment surpris de découvrir Nath. Sans même pouvoir le maîtriser, ses yeux se remplirent de larmes et de grosses gouttes lui échappèrent roulant le long de ses tempes. Il était là, couché au sol, lié autant pour sa sécurité que pour celle des autres et s’il pleurait, ce n’était ni de honte, ni de tristesse, mais de soulagement.
Presque aussitôt, Nath s’agenouilla à côté de lui et lui promettant que tout allait bien, qu’il était en sureté et milles autres mots idiots qui parvinrent tous à toucher l’alpha. Lidseï s’était recroquevillé contre lui, touchant la cuisse de Nath de son front et très vite, des caresses apaisantes vinrent se perdre dans les cheveux blonds de l’alpha. Lidseï pleura un long moment, serrant le cœur de Nath et il finit par s’endormir au milieu des sanglots.
L’oméga resta contre lui, continuant à caresser doucement ses cheveux. Cela faisait déjà quelques jours que Lidseï était arrivé. Le médecin qui l’avait ausculté avait dit que cela prendrait du temps. Son organisme devait digérer la dose massive de produit qui avait été injecté. L’alpha en avait fait une overdose. Oh les cas d’overdose avaient été documenté, surtout lorsque les premiers colliers avaient commencé à apparaître, mais c’était devenu de plus en plus rare et à présent, le pire qui pouvait arriver, c’était simplement qu’une crise de rut soit déclenchée. Parfois plusieurs omégas réagissaient en même temps, mettant l’alpha totalement à terre, mais à moins de le vouloir vraiment, ça n’allait pas plus loin.
Le médecin avait parlé d’un acte d’une très grande violence. Le collier avait dû être activé, encore et encore, sans laisser le temps au corps de l’alpha de réagir. Il avait même dit que Lidseï avait eu de la chance car il aurait aussi bien pu en succomber. Alors que Nath était à la porte en train de réclamer à le voir, Lidseï agonisait, couché sur le flanc, sans le moindre soin. Cette pensée plus que tout autre l’ébranlait fortement. Il était resté comme ça un long moment, puis Loodmi avait réussi à le sortir de là et le soir même, Lidseï était arrivé.
Nath se souvenait parfaitement de la voiture médicalisée qui s’était arrêtée devant son centre en construction. Il n’avait pas du tout compris sur le coup. L’idée même que Lidseï puisse être blessé et transféré en urgence chez lui n’avait aucun sens après tout. Puis il avait vu Loodmi et son air, bouleversé, et il n’avait pas davantage compris.
Dans les minutes qui avaient suivi, Lidseï avait été installé dans la chambre, dans cette chambre qu’il avait prévu pour l’accueillir en espérant qu’elle lui plairait. Une partie de lui s’était imaginé qu’un jour, Lidseï rentrerait là, debout, un collier léger autour du cou et une laisse discrète pendant derrière. Il observerait les locaux et sourirait en voyant le lit. A la place, plusieurs bêtas avaient dû porter le corps flasque et inconscient de l’alpha et Nath avait réarrangé ses membres pour qu’ils ne lui fassent pas mal au réveil.
Mais que s’était-il passé ? Lidseï allait mieux, mais la question restait entière. Loodmi avait soufflé :
- Je ne suis pas sûr que ton alpha ait fait une bêtise…
Nath n’en avait été que plus perdu encore. Rien ne justifiait l’état de Lidseï, mais il avait bien dû faire quelque chose pour déclencher ça ! Loodmi n’en avait pas dit davantage, il lui avait juste donné des conseils pour les soins à venir.
***
Ferson remua un peu, tirant sur l’une des chaînes qui le reliait au mur, la faisant tinter sèchement. C’était ridicule ! Maintenant qu’il avait son oméga, pourquoi irait-il en attaquer un autre ? Il pouvait tranquillement se repaître de sa proie ! On l’avait enfermé dans l’une des cellules les plus petites qu’il n’ait jamais vu. S’il n’avait pas mieux connu les omégas, il aurait cru que c’était une façon de se venger, mais c’était sans doute juste un problème de surpopulation. Les zones communes dédiées aux cas difficiles, comme lui, étaient assez peu nombreuses après tout et tous les alphas étaient difficiles en définitive.
- Oh allez ! cria-t-il en tirant plus fort sur sa chaîne.
C’était plutôt simple pourtant. Il avait mordu son oméga. Il l’avait pris et noué. C’était fait. Maintenant, il fallait juste les laisser ensemble, pensait-il avec un sourire mauvais. De l’autre côté de la porte fermement close, un bêta frémit. On lui avait demandé de rester là, pas spécialement pour empêcher Ferson de sortir, mais pour s’assurer que sa victime ne vienne pas le chercher sans une escorte appropriée. Un tel lien pouvait avoir des effets dévastateurs sur n’importe quel oméga et dès que les prémisses de ses chaleurs se feraient sentir, Ferson serait le seul à pouvoir le soulager. Rien ne pourrait plus jamais changer ça.
Cet oméga n’aurait pas d’enfants avec un autre. Ferson serait le père de ses petits.
Cet oméga n’aurait pas la possibilité de se lier à un autre. Ferson serait le seul et l’unique pour lui.
Cet oméga n’aurait pas la chance de pouvoir l’éviter. Ferson serait à jamais dans sa vie.
Les risques qu’il mette fin à ses jours étaient immenses et en entendant l’alpha continuer à faire un boucan de tous les diables, le bêta sentit une vague de rage l’envahir. Une partie de lui avait envie de rentrer dans cette pièce et de le massacrer. Pour la première fois, il comprenait parfaitement comment ses ancêtres bêtas avaient pu choisir de se révolter contre l’ordre établi renversant totalement le cours de l’histoire. A l’époque, l’acte de Ferson aurait été sans doute vu comme purement anecdotique ou peut-être même totalement normal, mais il n’y avait rien de normal là-dedans. Cet alpha était simplement monstrueux.
Cet avis était d’ailleurs partagé par un grand nombre de personnes, tout ceux qui avaient entendu parlés de l’affaire en réalité, mais à leur tête, le plus virulent était sans doute Atkins même s’il parlait d’une voix calme, posée, presque éteinte bien loin des coups d’éclats qu’auraient pu mériter ses mots.
Comme beaucoup d’autres gestionnaires de zones communes, il avait été convié à une réunion particulièrement importante et comme beaucoup, il ne comprenait pas que le sujet ne soit pas Ferson mais le bien-être des alphas. Ça lui paraissait tellement hors-de-propos qu’il le vivait comme une grande injustice. Il n’était pas le seul d’ailleurs. Un des gestionnaires finit par lâcher froidement :
- Les propositions des alphas ont l’air très intéressantes, mais le cas de Ferson doit nous rappeler à tous que nous n’avons pas adopté le système actuel de gaité de cœur.
- Toutes les évaluations de Ferson disaient qu’il ne devait jamais sortir… lâcha Atkins.
Un autre oméga intervint, rappelant que ce n’était pas le sujet du jour.
- Et bien ça devrait l’être… On ne peut pas laisser ce genre de drame se reproduire.
De l’autre côté de la salle, Nath déglutit péniblement. Il s’était positionné assez loin car même s’il était convié, sa zone était toujours en construction. Il se sentait donc très peu légitime pour intervenir, mais il ne pouvait pas laisser Atkins dire de telle chose sans réagir.
- Il y a bien des drames dont nous devrions parler, lâcha-t-il.
Atkins l’observa et sa bouche s’étira dans un demi-sourire étrange. Ce n’était pas de la joie. C’était plutôt triste mais il n’y avait pas que ça. Nath ne parvint pas à le décrypter exactement. Le juge qui avait convié la réunion dans un objectif de poursuite des travaux fit quelques gestes de la main, appelant à l’apaisement.
- Je comprends que ce cas vous préoccupe beaucoup. Les groupes de travails essaient de voir comment limiter les risques, mais de votre côté, il faut continuer à organiser les transferts.
- Pour créer de nouveaux drames ? soupira Atkins.
Le juge l’observa un moment avant de répondre avec le plus de douceur qu’il put y mettre.
- Notre objectif est de limiter les drames au maximum, autant pour les omégas ou les bêtas que pour les alphas… les programmes ont permis de réhabiliter et de redonner une vie à bien des alphas que l’on pensait perdu. Leur niveau de bien-être augmente vraiment et même ceux qui sont simplement transféré vers les nouveaux programmes en bénéficie. Ce qu’il faut faire, c’est réussir à trouver un meilleur compromis. La sécurité est très importante mais ce n’est pas la seule chose à prendre en compte…
Atkins serra les dents. Il était censé vidé la totalité de ses chambres les plus sécurisés. Tous les pires étaient censés partir. Partir pour où ? Pour être accueilli par des omégas, souvent sans expérience, qui allaient se faire massacrer. Ferson venait de chez lui ! Ce n’était pas le pire de sa collection. Au fil des ans, Atkins avait entassé bien des monstres dans ses étages. Et tout le monde n’avait pas le caractère entêté et les équipements d’un oméga comme Nathsinka. En faites, la majorité des omégas étaient vraiment sans défenses. Incapable de prendre une décision qui les mettrait en sécurité… Comme Merwan qui n’avait pas été mis sur une chaîne sécurisée, impossible à déplacer alors que cette seule mesure aurait suffi à éviter un grave accident qui s’était soldé par plusieurs blessures importantes ! Mais pire encore, la majorité des omégas semblaient avoir la mémoire courte. Ils étaient pétris d’une compassion vraiment malvenue.
En repartant de la réunion, Atkins se sentait horriblement fatigué. Il ne voulait pas participer à ces drames. Il avait toujours cru faire partie de la solution et même dans les moments les plus durs, cette seule pensée était venue le soutenir. Aujourd’hui, c’était ça qu’on lui retirait. On essayait de le forcer à faire partie du problème… et c’était insupportable.
Rentrer dans sa zone ne lui prit pas longtemps, se retrouver dans son bureau devant son propre alpha fut tout aussi rapide… Il s’écroula plus qu’autre chose sur son grand fauteuil. Il était censé être confortable, mais rien ne parvint à détendre ses muscles. Ses yeux se posèrent sur son alpha, c’était le seul qu’il garderait au bout du compte. Le seul être dangereux qu’il pourrait empêcher de nuire. Tous les autres allaient lui échapper et il était censé attendre, attendre les drames, attendre la souffrance, … et ne rien faire contre ça.
Comment l’accepter ?
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