Chapitre 18 - l'un ou l'autre
Fuir n’était pas une solution. Nath se le répétait, en boucle. Fuir n’était pas une solution. S’il restait en bas, à gérer les travaux, il fuyait. S’il partait voir Erkay pour travailler avec lui, il fuyait aussi. Oh, pour faire des choses utiles et constructives, certes, mais néanmoins ce serait une fuite.
Dès qu’il fermait les yeux, deux images se mélangeaient sans arrêt. Le visage furieux de Kavri et celui terrorisé de Lidseï. Nath se sentait idiot. Il ne s’était pas défendu pour protéger Lidseï. Seulement, Lidseï n’avait pas eu peur de Kavri, pas une seule seconde. Tout ce qu’il craignait c’était ce que lui, le petit oméga, pourrait faire à Kavri…
Mais qu’avait-il fait de mal ? Tous les jours, il essayait de faire de son mieux pour qu’ils se sentent bien tous les deux. Tous les jours, il faisait de son mieux pour eux. Nath ne comprenait pas et ça le rendait un peu amer. Alors, la solution, c’était sans doute de passer la porte de son appartement et de demander à discuter. Il avait des questions et il méritait au moins que les alphas s’expliquent…
Lorsqu’il osa enfin se présenter à la porte, son sang ne fit qu’un tour en la voyant entrouverte. Les alphas étaient-ils partis ? Il ne s’était passé que quelques heures et au rez-de-chaussée, il y avait encore du monde. Avaient-ils pu se faufiler sans que personnes ne le remarque ?
Lidseï était un alpha dangereux. Menteur et capable de se faire violent quand il avait peur d’être puni. Immobile et glacé devant la porte, Nath se demandait s’ils en étaient là. Lidseï craignait-il une punition ? Ce ne serait pas surprenant.
Du bout de sa petite main tremblante, Nath poussa la porte et souffla de soulagement. Lidseï était présent. Un sur deux, c’était déjà ça de gagné. Seulement, Lidseï n’était pas juste là. Il était agenouillé dans une position parfaite, la tête basse et les épaules tendues. L’alpha n’avait pas peur visiblement. Il était terrorisé et dans l’esprit de Nath, les avertissements retentissaient. Mensonge. Attaque. Danger. Il devait se faire méfiant, mais… mais c’était son alpha et il n’avait vraiment pas envie de ça.
- Où est Kavri ? demanda-t-il d’une voix rendue étrange par sa gorge trop nouée.
- Je l’ai enfermé. Attaché et enfermé dans la chambre. Vous ne risquez rien.
Mensonge, souffla une vilaine voix dans la tête de Nath. Comment ne pourrait-il rien risquer si ces deux alphas se liguaient contre lui ? Il était en danger, c’était une évidence.
- Pourquoi ?
- Je vous jure que je ne savais pas qu’il allait… ou qu’il pouvait vous…
- Attaquer. C’est ça le mot. Attaquer.
Lidseï frémit.
- Est-ce que tu pourrais le dire ? demanda Nath.
- Vous attaquer… souffla Lidseï d’une voix brisée.
- Lève-toi, s’il-te-plait… Je ne veux pas de ça… Je n’en ai jamais voulu…
Nath avança et s’installa autour de sa table tout en invitant Lidseï à en faire de même. L’alpha bougeait doucement, il se ratatinait, il faisait tout pour ne pas paraître menaçant. Tout son corps n’était que mensonge pensa amèrement Nath. Avait-il seulement bien enfermé Kavri ? La porte était fermée mais cela ne voulait rien dire.
- Je pense que je mérite mieux que ça… souffla Nath.
- Je ne savais pas…
- Lidseï, je voudrais des réponses. Qu’est-ce que tu as cru que j’allais faire à Kavri ?
Lidseï baissa la tête. Il avait eu tellement peur. Il avait encore tellement peur. Au fil du temps, il s’était vraiment attaché à l’autre alpha, assez pour le considérer comme un ami, un ami proche, son meilleur et seul ami en réalité. Mais c’était du Kavri vivant dont il était proche. Le Kavri qui écoutait ses histoires, qui regardait, qui se montrait curieux, qui cherchait le contact et qui aimait rester contre lui. Le Kavri dont les yeux pouvaient pétiller, dont les coins de la bouche pouvaient légèrement se soulever et dont les muscles pouvaient se détendre. Le Kavri qui se cachait à l’intérieur de lui-même et qui émergeait lentement. Et c’était pour ça qu’il avait peur. Son ami risquait de disparaître de nouveau et peut-être pour de bon. Etait-il censé dire la vérité ? Nath les séparerait forcément s’il le disait…
- Lidseï… Je mérite ces réponses, tu ne crois pas ?
- … oui… Vous êtes… un oméga merveilleux.
Le chagrin étreignait l’alpha. Il avait beau s’ennuyer chaque jour, il se sentait également de mieux en mieux grâce à Nath. Leur cadre de vie était agréable, il arrivait à dormir, à manger, à vivre.
- Alors réponds-moi, s’il-te-plait…
- Kavri allait vraiment mal… quand il est arrivé. J’aurais pu être comme lui. Ça n’aurait même pas pris longtemps je pense… J’aurais pu… être aussi mal.
- Tu as ressenti de la compassion…
Lidseï haussa une épaule.
- C’est lui qui a fait les premiers pas. Je crois qu’il cherchait… qu’il cherchait du réconfort ou un truc comme ça. Mais… j’ai appris à l’apprécier.
- Oui, je sais que vous êtes amis.
Lidseï se tut un long moment et chuchota :
- Je ne voulais pas le perdre… si vous le punissez… il va se briser… et je ne voulais pas le perdre.
- Tu l’as vraiment attaché ?
- Oui.
- Pour éviter que je doive le punir ?
- … oui.
Nath acquiesça lentement.
- Va le détacher. Tu n’auras qu’à rester avec lui si c’est ce que tu veux. La chambre est assez grande pour vous deux je suppose. Je laisserai les repas en évidence… et puis c’est tout.
Il aurait giflé Lidseï qu’il n’aurait pas eu l’air moins choqué. L’alpha bégaya :
- V-vous nous abandonnez ?
- Vous n’êtes pas mes alphas. Je ne suis pas votre oméga. Je ne peux donc pas vous abandonner…
- Pas… pas vos alphas ? Mais… je… vos chaleurs ? J’étais là !
- Lidseï, ce n’est pas grave. Tu resteras avec Kavri. C’est ce que tu voulais n’est-ce pas ?
L’alpha l’observa un peu plus franchement, totalement perdu. Jusqu’à cet instant, il n’avait pas envisagé une seule seconde que celui qu’il risquait de perdre, ça puisse être Nath. L’oméga était si constant, si rassurant, si présent. Le perdre ? Ça semblait impossible. Lidseï déglutit, son cœur fit une embardée. Qu’avait-il fait de mal pour qu’une telle horreur arrive ?
- Vous aviez dit… murmura-t-il, le souffle court.
Nath l’observa un moment avant de lâcher un « quoi ? » peu commode.
- Vous aviez dit que nous étions un couple… que je n’étais pas… pas un jouet. Est-ce que c’était faux ?
- Un couple se protège l’un l’autre, Lidseï. Je n’ai pas voulu me défendre pour te protéger. Et toi… Et bien, c’est Kavri que tu as protégé.
- Je l’ai arrêté ! Je ne voulais pas qu’il vous fasse quoique ce soit ! Je vous le jure !
- Ce n’est pas grave… tu as le droit d’être avec lui. Je sais reconnaître que je suis de trop. Je me suis imposé à toi alors que tu étais en détresse. Tu as le droit de préférer Kavri.
Lidseï était complètement décontenancé. Il s’était habitué à leur vie ensemble. Il s’était fait à l’idée que Nath était son oméga et qu’il était son alpha.
- Compromis… chuchota-t-il.
- Comment ?
- Je demande un compromis…
Nath l’observa sans comprendre. Les alphas ne demandaient pas de compromis. Ils exigeaient, ils tempêtaient, ils pliaient sous les punitions parfois, mais des compromis ? Non.
- Tu me trouves trop dur ?
- Je ne vous ai pas attaqué. J’ai voulu… je voulais vous protéger tout les deux. S’il-vous-plait…
Nath ferma les yeux un instant et soupira.
- Qu’est-ce que tu proposes ?
Lidseï paniqua légèrement. C’était à lui de faire une proposition ? Il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il pourrait offrir de plus que ce qu’il faisait déjà au quotidien.
- Je ferais tout ce que vous voulez…
- En échange de quoi ?
- Qu’on oublie ? chuchota-t-il.
Pour la première fois de sa vie, Nath se sentait cruel. Il avait tout fait pour que les alphas soient bien. Il concevait sa zone pour qu’ils soient bien. Il travaillait chaque jour sur des dossiers pour que des alphas soient bien. Et il suffisait que Lidseï se ratatine et qu’il murmure ce qui n’était rien de plus qu’une supplication pour que Nath devienne un oméga cruel. L’idée le retourna complètement. Il avait été attaqué ! Attaqué par Kavri et non défendu par Lidseï ! Ils l’avaient tout les deux trahis. Toute la confiance qu’il leur avait accordée avait été bafouée. Et quoi ? Il était censé simplement oublier ? C’était impossible mais surtout, seul un fou le ferait.
Alors toute la question était là. Était-il fou ?
- Non.
Lidseï s’affaissa totalement.
- Je ne peux pas oublier. Mais, c’est d’accord pour un compromis… Je voudrais des explications de Kavri. Si je ne comprends pas, je ne peux rien faire. Est-ce que tu pourrais essayer de lui poser des questions pour moi ?
- Oui !
- Tu dormiras où tu veux. Avec lui… ou avec moi. Tu resteras avec qui tu veux la journée aussi. Mais Kavri sera attaché.
- D’accord ! Merci… merci beaucoup.
Nath resta silencieux, un peu perdu. Pourquoi cela semblait important pour Lidseï ? Il n’en avait pas la moindre idée, mais lorsqu’il lâcha qu’il devait retourner travailler, Lidseï s’installa non loin de lui comme il le faisait le plus souvent. A aucun moment, il ne fit mine de retourner voir Kavri. Nath n’en avait pas envie lui non plus. Pas pour l’instant. Mais une petite voix le força néanmoins à aller vérifier si il était bien là, alors au bout d’une dizaine de minutes, il se leva et ouvrit la porte de la chambre.
Kavri était bien enfermé. Il se tenait dans une position d’attente, le regard vide. Il ne portait pas la moindre trace de coups. Lidseï ne l’avait pas attaqué. Il le nota tout en secouant la tête. Bien-sûr que Lidseï ne l’avait pas agressé…
- Tu t’es calmé ? demanda l’oméga.
Il n’y eut pas de réponse. Kavri avait-il seulement remarqué qu’il était présent ? Nath soupira et referma la porte, l’enfermant correctement. Il retourna travailler, passant sur les dossiers sans même parvenir à les lire réellement. Quand il était revenu, les choses lui avaient semblé simple. Il suffisait d’abandonner. A aucun moment il n’avait envisagé que Lidseï puisse refuser ça. Comment pouvait-il même ne pas en avoir envie ?
Pourtant, agenouillé au sol, Lidseï savourait sa victoire… Il n’avait pas compris à quel point il aimait sa vie avant de la voir exploser devant ses yeux impuissants. Maintenant qu’il le savait, c’était à lui d’essayer de recoller les morceaux. Il ne savait pas comment faire, mais pour la première fois depuis une éternité, il avait un objectif. Un bon objectif. Il ne s’agissait pas juste de survivre, mais d’améliorer les choses.
Dans la petite chambre, Kavri était toujours dans une position d’attente. Il n’avait pas peur de se faire punir. Se faire punir, c’était habituel et normal. Ce serait un juste retour des choses. Mais cette fois-ci, il savait exactement ce qu’il avait fait de mal et il était serein. Peu importe que ce soit réprimandé, s’il fallait recommencer, il recommencerait et cette fois-ci, il cognerait plus fort. S’il était assez rapide, il arriverait à briser le corps fragile de l’oméga. S’il y allait assez fort, il arriverait peut-être même à l’achever. L’idée le fit sourire. Oui, tuer cet oméga. Voilà ce qu’il devait faire.
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