13. Plongée
La première sensation que ressentit Sifen fut l’étouffement, le plafond de la pièce était si bas que ses cheveux effleurait la pierre. Il détestait les espaces étroits. Sa respiration s’accéléra.
Le grimoire sentit son désarroi.
— Tu n'aimes pas les endroits confinés, n'est ce pas?
Sifen ne répondit pas, son esprit était concentré sur les battements de son coeur.
L'étrangeté du lieu ne se limitait à son plafond, la salle était si profonde que l'on distinguait à peine le fond. Avec sa faible largeur, elle ressemblait à un long couloir sans issue.
Je suis dans un cercueil géant!
Les murs semblaient aussi anciens que la création de Milsden. Ils suintaient une eau verte qui exhalait une délicate odeur d'humus. En s'approchant, Sifen s'apercut avec stupeur que le liquide s'écoulait du sol vers le plafond. Il s'exclama d'une voix forte.
— Quelle est cette sorcellerie!
Le grimoire prit un ton professoral.
— Cette salle est presque aussi vieille que le monde. Au cours des millénaires la magie s'est insinué dans les murs, dans la terre. Elle respire. Elle vit.
Sifen inspira profondément et s’avança avec prudence.
De nombreuses torches illuminaient les lieux. Parsemés de-ci de-là, moults braseros crépitaient avec virulence et propagaient une lumière d’une intensité presque aveuglante. A quelques pas trônait une construction qui semblait être fait de pierre.
Tandis qu'il pénétrait plus avant dans la pièce, il sentit le grimoire des ombres palpiter dans ses mains.
— La source.
Sifen scruta le bassin de pierre. Il contenait un liquide noirâtre sirupeux, des ridules affleuraient à sa surface.
Le jeune homme grimaça.
— La source de quoi?
— Des ombres, mon ami.
Sinfen, incrédule, leva les yeux vers le plafond
— Laisse-moi deviner. Il faut que je boive une chopine de cette mélasse dégoûtante.
— Oui et non.
L'apprenti mage des ombres s'agaça.
- Mais ça ne veut rien dire! Va tu enfin être clair tas de feuilles moisis!
Le grimoire ne releva pas l'insulte.
— Tu dois te plonger dans la source.
Sifen écarquilla les yeux.
— C'est une image bien sûr?
— Non. Tu dois t'immerger totalement dans cette cuve pendant une journée.
Sinfen s'esclaffa.
— Mais c'est complètement idiot! Qui voudrait faire ça volontairement?
— Ceux qui veulent le pouvoir.
— A quoi bon si je meurs!
— J'espère ne rien t'apprendre en te disant que la vie est faite de choix. Tu es à une intersection. La plus importante de toute ta vie.
— Il faut que j'y pense.
La voix provenant du grimoire s'endurcit.
— Non! Fais le ou ne le fais pas mais choisis!
— On parle de ma possible mort.
— Que veux tu vraiment mon ami ?
— Je veux être puissant, je veux être le maître de ma destinée. Je... Il hésita. Je ne veux ne plus avoir peur.
— Alors tu sais ce que tu dois faire.
Sinfen était terrifié. Il pensait sa détermination sans faille mais en cet instant fatidique, ses jambes semblaient se dérober. Pourtant toute son existence n'avait été qu'humiliation et servitude et au moment où il pouvait changer tout cela, il hésitait.
Soudainement sa vie pathétique prenait une importance qu'elle n'avait jamais eu. Alors qu'il allait faire volte face et partir loin de cette folie. Des mots surgirent dans son esprit.
Tu n'es rien et tu ne seras jamais rien.
Une phrase que son père lui avait maintes fois répétée et qui résumait la vacuité de sa vie. Une rage froide monta en lui.
Le grimoire sembla lire en lui puisque ce fut à cet instant qu'il l'interrogea.
— Qu'as tu choisi?
Sifen n'hésita pas. Sa détermination n'avait failli que quelques instants. Ironiquement c'était la voix de son crétin de père qui l'avait aidé.
— Va pour le bain.
— Tu es certain de ton choix?
— Arrête avec tes questions! Je viens de te dire oui!
— Un bon choix.
Sa peur se dilua dans l'impatience d'en finir rapidement.
— Je fais comment alors?
— Déshabille toi.
Sinfen ôta ses vêtements très lentement.
— Voilà. Je vais avoir mal?
— Je vais être honnête avec toi. Cela ne fait pas mal, cela fait extrêmement mal. Le mot souffrance ne suffit pas à décrire ce que tu vas vivre mais cette douleur va changer ton existence. Elle va faire de toi une personne sans peur. Une journée de souffrance pour une vie entière de pouvoirs et de puissance. Tu n'auras plus jamais à courber l'échine. Tu seras le maître de ton destin et du destin de ceux qui n'ont pas ton courage mon ami. Approche toi de la cuve et allonge toi à l'intérieur.
Les battements de coeur de Sinfen s'accélèrent. Il le sentait taper contre son thorax. Il s'approcha lentement.
Sinfen leva la jambe et son pied s'enfonça dans le liquide sombre. Il sentit des picotements désagréables mais pas douloureux.
Il s'assit et regarda le grimoire.
— Allonge toi mon ami.
Sinfen, la peur au ventre, s'allongea. Sa tête disparut en dernier sous les eaux noirâtres. Il hurla. Le liquide poisseux entra en lui.
— Allonge toi mon ami et souffre.
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