19. Alzebal

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Alzebal rompit le silence devenu gênant depuis quelques secondes.

— Alors mon beau. J'imagine que tu ne t'attendais pas à me voir.

Grys Dilur n'était pas un homme qui perdait facilement sa contenance, mais le visage qu'il venait de découvrir l'avait laissé sans voix.

— Je t'ai connu plus loquace mon cher époux, et c'est bien la première fois que je te laisse bouche bée. Si on excepte peut-être celle où je t'ai annoncé que j'étais enceinte de notre petit deuxième. 

Tyssy s'extirpa de son siège et s'approcha de Grys. Son regard gris lui avait toujours fait de l'effet et c'était encore le cas. Elle l'embrassa sur la joue en souriant. Les effluves de son parfum ennivra Grys et le contact fugace de ses longs cheveux bruns ébouriffés le fit frissonner. Il l'avait tellement pleuré.

Alzebal sourit en voyant une veine qui palpitait sur le front de son mari.

— Tu es énervé, je le vois et c'est tout à fait normal. Tu dois avoir mille questions à me poser.

Grys était décontenancé mais il resta coi quelques secondes. Son cerveau était en ébullition.

— Je...

Le mercenaire se mordit la lèvre jusqu'au sang. 

— Oui mon cher époux?

Grys fit glisser bruyamment une chaise vers lui et s'assit. Il se frotta le front doucement.

— Tu es morte. Je t'ai pleuré. Nos enfants Niellin et Cacen t'ont pleuré.

Le mercenaire garda un ton posé alors qu'intérieurement ses pensées se mêlaient à ses émotions et s'entrechoquaient avec fracas.

— J'ai fais un choix Grys. 

— Un choix? Entre nous et quoi? Le pouvoir?

— Entre autres choses. Tu ne sais pas tout.

Grys reprit ses esprits. Il tenta de laisser ses sentiments contradictoires dans un coin de son esprit. Sur un ton neutre, il l'interrogea.

— Qu'est ce que je ne sais pas? Et pourquoi m'avoir engagé pour tuer ce Loup, après toutes ces années de mensonges? 

— Tu es le meilleur.

Grys grimaça un sourire.

— C'est vrai, acquiesça t-il, mais...

Le mercenaire stoppa sa phrase. Tyssy Dilur lut dans les yeux de son mari qu'il avait deviné. Elle enchaîna.

— Tu es toujours d'une perspicacité admirable.

Grys ricana de dépit.

— C'est encore pire que ce que j'étais en train d'imaginer. Donc Loup a tué ton fils.

Grys insista sur le "ton" et secoua la tête.

— Tu m'as trompé, tu as trompé les enfants.

— J'étais enceinte Grys et pas de toi bien évidemment. J'ai préféré t'épargner cette humiliation et j'ai organisé ma mort. Cet enfant devait vivre.

— La généreuse Tyssy!! En fait tu as fait tout ça par bonté d'âme!

Il hurla et se leva en envoyant valdinguer, du pied, la chaise en arrière.

Lodith fit un pas en avant, la main sur le manche de sa hache.

Grys pointa la géante du doigt sans la regarder.

— Reste où tu es face d'anus de truie.

Tyssy leva la main pour arrêter Lodith.

- Tout le monde se calme. Je vais tout t'expliquer. Tu mérites bien ça.  Commençons par le début le vrai Alzebal, l'originel, est mort depuis des centaines d'années. Pour perpétuer la légende qui le disait immortel, il décida avant de mourir que son fils le remplacerai et ainsi de suite jusqu'à mon prédécesseur Rassiel avec qui j'ai eu une liaison et un enfant, Livos.

Elle fit une pause comme si les mots qui allait suivre devait mûrir quelques secondes dans son esprit avant d'être expulsés.

— Rassiel décéda malencontreusement et comme Livos était encore un bébé. Je fus désigné comme nouveau Alzebal et avant que mon fils soit en âge de prendre la suite, ce sale chien de Loup l'a assassiné! 

Sa voix s'était durcie, il ne la connaissait pas sous cet aspect mais il tenta de garder un visage impassible. 

Tyssy serrait les dents.

— Une bien belle tragédie. Ironisa Grys. 

— Ne te fous pas de moi Grys! 

Son visage se déforma de colère. 

— Je suppose que là j'ai vraiment affaire à Alzebal? 

Elle se calma aussi vite qu'elle s'était emportée.

— Ce que j'aime le plus chez toi est aussi ce que je déteste le plus.

— Précise?

— Ton insolence et ton absence de peur.

— Je ne fait que poser des questions. D'ailleurs si mes comptes sont bons, il m'en reste neuf cents quatre vingt treize sur les mille que j'étais sensé me poser il y a quelques minutes.

— Ne joue pas avec moi Grys.

Le mercenaire éclata de rire.

— Tu te moques de moi? Qui joue ici? Moi je travaille actuellement et j'étais venu voir mon employeur et...

Grys s'interrompit et leva les mains vers Tyssy.

— Et ton employeur n'est pas satisfait.

Lodith choisit ce moment pour briser son mutisme.

— Je te l'avais dis Grys.

Le mercenaire lui jeta un regard torve et la géante se surprit à reculer d'un pas.

— Pourquoi ce meurtrier est-il encore en vie, reprit Tyssy.

— Les explications sont déjà finies? Quelques minutes pour des années de mensonges.

— Tu es sous contrat d'Orpin d'os Grys et tu sais ce qu'il en coûte à ceux qui ne le respecte pas.

Le mercenaire serra les dents, elle avait raison. Il décida de continuer à faire profil bas. 

— Lui est en vie, sa femme et sa petite fille sont mortes.

— Ce n'est qu'une piètre satisfaction. Je veux le voir souffrir! 

— Je te garantie qu'il souffre en ce moment.

— Ce n'est pas suffisant! hurla-t-elle, je veux lire la souffrance dans son regard, je veux le voir me supplier de l'achever. 

Grys ne reconnaissait plus sa femme. De grands gestes rapides, un regard brûlant, elle semblait possédée. Une haine la consumait de l'intérieur et par instant elle surgissait sur son visage le distordant de façon presque grotesque. Le mercenaire resta impavide. Il ne fallait pas attiser le brasier. 

— Il va être difficile à capturer. C'est un animal redoutable et qui plus est, blessé maintenant.

— A qui la faute?

— Tu marques un point. Mais si tu m'avais mis au courant de la dangerosité de l'animal, j'aurais pris des précautions.

Les yeux gris de Tyssy, à peine visible sous ses cheveux hirsutes, se plissèrent.

— Je suis étonné Grys.

— Continue.

— Avant tu aurais explosé de rage. Là tu as juste brutalisé une chaise.

— Les années ont passées. J'ai élevé deux enfants seuls.

— Tu me hais n'est ce pas?

— Ecoute moi bien Alzebal. Je viens d'apprendre que ma femme morte est l'homme le plus craint des Terres Brûlées. L'homme qui a fait tomber des rois. L'homme qui m'a embauché pour faire un sale boulot et la femme qui m'a trompée. Alors le mot haine est faible pour exprimer ce que je ressens à ton égard.

—  Petite précision, Alzebal fait peur partout pas juste dans les Terres Brûlées. Ceci dit, tu es un professionnel et, tu vas mettre tes rancoeurs de côté. Tu te dois de retrouver cet assassin. 

— Cet assassin? Et toi qu'est ce que tu es?

— Ne me fais pas la morale. Tu es bien mal placé.

Tout était une question de perspective se dit Grys, de l'autre côté du miroir c'était eux les tueurs.

Le mercenaire ignora la réponse d'Alzebal.

— Je vais toujours au bout de mes contrats.

— Tu n'as pas vraiment le choix mon beau. Tu sais ce que tu as dans le ventre, n'est ce pas?

Le contrat d'Orpin d'Os, seul Alzebal l'utilisait. Celui qui s'engageait à son service se devait de réussir. L'échec signifiait la mort mais le succès était synonyme de richesse car Alzebal payait bien. Le signataire du contrat devait avaler une graine d'Orpin D'Os. Cette plante possédait cette singulière particularité de prendre racine dans l'estomac d'êtres vivants. Si le contrat était rempli, la graine était détruite dans le cas contraire, le végétal croissait dans les entrailles du malheureux et il mourrait dans de terribles souffrances. 

— Je le sais, mais je vais avoir besoin de renfort. Certains de mes hommes sont morts.

— Demande et tu auras!

— Meurs.

Alzebal pouffa.

— Ton humour n'a pas changé. Une dernière chose, je te préviens parce que j'ai toujours de l'estime pour toi. C'est d'ailleurs pour ça que tu es devant moi aujourd'hui. La Tyssy que tu as connu n'existe plus. Je suis Alzebal et j'agis comme tel. 

— La seule chose que je veux de toi, c'est l'argent de ce contrat, rien d'autre. Je t'obéis uniquement parce que j'ai accepté de bouffer ta graine comme tu te plais à me le rappeler.

Alzebal sourit.

— Tu peux disposer.

— Au fait, je vais avoir besoin d'une aide spéciale pour le localiser.

— Une aide spéciale?

Grys fixa intensément le regard d'Azebal.

— La magie des ombres.

Tyssy s'esclaffa.

— Mon pauvre Grys! Tu es bien mal renseigné. Elle n'existe plus depuis bien longtemps. 

Il le sentait, il le savait, elle mentait, cependant il n'insista pas. Trop d'informations et d'émotions se bousculaient dans son esprit. Il était temps de quitter les lieux. La vérité, il la découvrirait.

— Parfait! Je vais me débrouiller.

— Oui et tu es payé grassement pour ça mon cher.

— A vos ordres Monsieur. 

Le mercenaire fit une révérence et se dirigea vers la sortie.

Tyssy interpella Grys.

- Tu es certain de ne plus avoir d'autres questions.

Il ne se retourna pas et continua d'avancer.

- Niellin et Cacen pleure encore leur maman. Maintenant que je sais. Je leur dis quoi?

Alzebal ferma les yeux et ne répondit pas.

— Je m'en doutais, murmura Grys.

***

Alzebal demeura pensive pendant quelques minutes puis elle se tourna vers Lodith. 

— Tu le fais suivre. Il courbe l'échine pour le moment à cause du contrat et de sa réputation mais je le connais. Dès qu'il le pourra il se vengera.

— Tu ne crains pas qu'il raconte ce qu'il sait sur Alzebal? Tu as pris un gros risque.

— Non. Il sait que personne ne le croira. Les légendes ne se brisent pas aussi facilement surtout pas celle d'Alzebal. De toute façon bientôt nous n'aurons  plus besoin de lui et je récupèrerai mes enfants.

— Pourquoi t'être dévoilé à lui? 

— Parce que je voulais revoir le seul homme que j'ai vraiment aimé. Il méritait de savoir.

Lodith grimaça.

— Et Rassiel?

— Tu connais ma relation avec lui. Tu sais quel homme il était. Crois tu vraiment que je l'aimais?

Alzebal s'approcha de Lodith et lui caressa le visage.

— Tu es jalouse? Je le vois.

— Non pas du tout.

— Tu n'as aucune raison de l'être. Lui était le seul homme que j'ai vraiment aimé et toi tu es la femme que j'aime. Il est le passé. Tu es le présent et le futur. En semble, nous deviendrons les reines de Milsden.

Les deux femmes s'embrassèrent longuement avec passion sans se douter que dans l’entrebâillement de la porte, Grys s'était attardé et, la mâchoire serrée, les observait.

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