44. Tumulte
La rivière des Larmes s'était éveillée, elle grondait, bondissait et avalait tout sur son passage. Seuls les fous et les idiots osaient la traverser.
— Tiens ma main Selenn, c'est à notre tour! Hurla Arshard.
La jeune femme tremblait. Les eaux rugissaient comme un animal en colère. Tous les Ourzes étaient passés sans aucune hésitation. Certains riaient en pénétrant dans l'eau noire.
—Non je ne peux pas Arshard!
— Témérité et folie!
— Non!
— Pense à ta soeur!
Selenn ferma les yeux et cria.
— Je te déteste Arshard!
Le guerrier ricana.
— Allez suis moi!
A peine eut-elle pénétré l'eau en furie que les flots l'emportèrent. Arshard banda ses muscles et retint la jeune femme qui n'avait pas lâché sa main. Il grimaça de douleur. La rivière chantait sa puissance. Le guerrier se cramponna. Il avança malgré les flots qui riaient autour de lui. Entre deux apnées, Selenn criait mais cette fois aucune magie ne lui venait en aide. Arshard serra les dents. Il eut l'impression que son bras allait se détacher de son corps. Selenn se voyait mourir. Elle ne tenait plus rien c'était Arshard qui avait sa vie au bout de la main. La douleur était difficilement supportable mais le guerrier n'était pas homme à abandonner. Pas à pas, il parvint à atteindre l'autre berge sans lâcher Selenn. Epuisés, ils tombèrent tous deux sur la rive dans une gerbe de boue. Leur respiration était rapide, leurs coeurs bondissaient dans leur poitrine mais ils étaient en vie.
Arshard eut un fou rire.
— Quelle aventure! Selenn quand je te dis attache toi, tu t'attaches! Mon bras a failli prendre sa liberté et il m'aurait terriblement manqué!
Le guerrier érudit se redressa et ota ses bottes.
— Bon combien de pertes?
Un ourze s'approcha et lui parla à l'oreille.
- Deux morts! Ca s'est plutôt bien passé finalement, annonca Arshard avec un grand sourire en essorant une de ses chaussettes.
Selenn le regarda avec reproche.
- Deux hommes sont morts.
- Ce n'était pas les meilleurs heureusement.
Le guerrier érudit lui fit un clin d'oeil et lui parut moins charismatique.
- Meilleurs ou pas, ils étaient prêt à se sacrifier pour ma soeur.
Arshard éclata de rire.
- Ils ont tué tellement de petites soeurs ou petits frères dans leur vie qu'ils ne méritent pas que tu les pleure. Un guerrier Ourze ne se sacrifie pour personne. Gagner de l'argent, boire, prendre du bon temps et mourir l'épée à la main! Voilà leur motivation! N'y pense plus Selenn et je m'excuse d'avoir fait preuve de cynisme à ton égard.
Arshard s'inclina face à la jeune femme. Selenn tourna la tête vers les guerriers Ourzes, assis en silence sur le rivage, devant un feu qu'ils venaient d'allumer. Beaucoup de sentiments se lisaient sur leurs visages, la tristesse n'en faisait pas partie.
— D'où viennent-ils?
— Personne ne sait vraiment. Certains racontent qu'ils sont venus de la mer sur de grands bateaux. D'autres pensent qu'ils ont surgit des entrailles de la terre, que ce sont des démons. Ils ne voient pas la vie comme nous. Pour eux leur existence commence avec leur mort. Ils n'ont peur de rien et c'est pour cela qu'ils sont si redoutables et redoutés.
— Ils sont fascinants.
— Parce que tu les vois comme des gens libres. En apparence.
— En apparence?
— Regarde ce qu'il doivent faire pour vivre leur soi-disant liberté.
— Et toi Arshard que ferais tu pour conserver ta liberté.
— Qui te dit que je suis libre Selenn?
Le guerrier balaya de la main la discussion et lui fit un clin d'oeil.
— Allez jeune femme, va te réchauffer auprès des flammes de la liberté! Nous repartirons sous peu.
Arshard avait enlevé son armure légère et sa chemise. Selenn se surprit à aimer ce qu'elle voyait. Le guerrier érudit était beau. Son corps orné de cicatrices était tout autant effrayant que magnifique. Arshard surprit les yeux de la jeune femme sur lui. Elle détourna le regard et s'empourpra. Il s'assit à l'écart un sourire en coin.
Le feu puissant sécha rapidement leurs vêtements. Ce fut Arshard qui se leva en premier. Comme toujours c'était lui qui donnait le rythme.
— Allez nous repartons! Plus quelques heures et nous serons là où nous devons être.
Toute la troupe se mit debout sans rechigner, les Ourzes ne se plaignaient jamais. La marche reprit sans la neige mais avec le froid qui s'intensifiait. Ils laissèrent le brouhaha de la rivière des Larmes derrière eux et s'engouffrèrent dans les profondeurs de la forêt. Selenn regarda une dernière fois le tumulte du torrent, heureuse d'être en vie. La jeune femme mit sa main sur l'épaule d'Arshard.
— Merci de ne pas m'avoir lâché.
Le guerrier toucha la main de Selenn.
— Jamais je ne t'aurais lâché.
Selenn frissonna.
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