L'OR
Chapitre 1
Marie
Ray, la cinquantaine défraichi, soixante kilos tout mouillés, entra avec sa nonchalance habituelle dans le bar de Bob. Il avait passé une nuit effroyable et était d’une humeur massacrante.
Le bar faisait également office d’épicerie, de banque et de motel. Sans adresser le moindre regard à quiconque, il partit s’assoir à sa table habituelle. En Australie, pour survivre au fin fond de la brousse, on devait être imaginatif et surtout « polyvalent ». Bob, l’énorme aborigène qui tenait le lieu, était d’une nonchalance assez déconcertante, presque revendicative, mais, il gérait à merveille son bizness et il n’avait pas vraiment le choix.
Ray continuait à être contrarié par ce rêve qui s’était rapidement changés en cauchemar Il se sentait mal, comme barbouillé de l’intérieur et cela ne lui ressemblait guère.
Les quelques brides de souvenir qui lui restaient le mettaient mal à l’aise. Il se revoyait courant comme un dément à la poursuite d’une silhouette féminine. Autour de lui, d’autres ombres courraient également et ils le rattrapaient. Il avait beau se démener, les formes le distançaient et n’étaient plus qu’à une enjambée de la silhouette. Face à lui, les arbres, les rochers et même les animaux lui hurlaient d’accélérer : il devait la sauver !
Finalement, il se réveilla couvert de sueurs. Ce rêve était si pressant qu’il en tremblait dans tout son corps.
Mais qui pouvait bien être cette ombre féminine qui avait besoin de son aide ? Elle était en dangers et il devait la secourir.
Bob, un mètre quatre-vingts pour cent trente kilos, avait les yeux d’un bleu profond. Son regard perçait l’âme et il avait comme un don pour détecter les ennuis. À la dérobé, il scruta Ray et devina que la journée n’allait pas être bonne. Il n’en dit pas un mot, mais vérifia la présence de sa carabine sous le comptoir. Rassuré, il saisit la cafetière et fit le tour de la salle. Le café était gratuit et chacun en profitait allégrement.
Arrivé devant Ray, il déposa une tasse ébréchée et le servit :
- Le temps va tourner à l’orage… dit-il d’une voix nasillarde.
Pourtant, il n’y avait aucun nuage à l’horizon. Comme à son habitude, le vent charriait sont lot de sables et de poussières dans l’unique rue de ce trou à rats. Ray ne répondit pas, il leva la tête et leurs regards se croisèrent. Bob lu dans les yeux de son ami, une peine incommensurable, comme si le destin allait le frapper et que sa fin était proche.
Bob se disait civilisé, il avait renoncé à la magie et aux sortilèges pratiqués par son peuple. Pourtant, certaines croyances avaient la vie dure et il savait que Ray n’était pas un homme ordinaire. Tous le savaient et lui, bien plus que les autres.
Il l’avait vu parler au vent et surtout, il avait entendu le vent lui répondre…
Bien sûr, on se moquait de lui quand il en parlait et il riait aussi de bon cœur. Mais rire n’expliquait rien et au plus profond de son âme d’aborigène, il savait qu’il avait pour ami l’un des derniers chamans des temps anciens et cela le fascinait autant que l’effrayait.
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