Chapitre 6

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J’ai beau tourner la question dans tous les sens, je ne comprends pas comment j’en suis arrivé là. Dans un vaisseau en direction de l'Île de Syllgi, qui se trouve être en réalité une station spatiale, à… je ne sais combien de distance, de Gravis, que je n'ai jamais quittée de ma vie.

La distance, le vide, qui me sépare de plus en plus de ma maison, me donne le vertige. La gravité artificielle me donne la nausée, et le hublot au plafond de cette minuscule cabine qui me montre ma planète au-dessus de ma tête, alors qu’elle s’était toujours trouvée sous mes pieds, n’arrange pas la situation.

Dans cette cabine, que l’on m'a présentée comme ma chambre provisoire, j’ai l’impression que rien n’est réel. Même l’air a ce goût métallique qui trahit sa provenance, malgré les accents floraux ajoutés.

Les événements se sont bousculés, rien ne s'est passé comme prévu. Et maintenant que je me retrouve là, seul, dans le calme froid de l’espace, j’ai le sentiment que je vais me réveiller dans mon lit et reprendre une vie normale. À cet instant, je devrais être au cabanon avec Lise et Molly, pour préparer leurs bagages pour l'université et prévoir des plans pour nous retrouver, tous les trois, pendant les vacances d’hiver. Au lieu de ça, j’ai bloqué Molly qui m’a dénoncé à notre mère, qui elle, m'a vendu à cette historienne déjantée, Lise ne sais pas encore que j’ai quitté notre planète, et je ne retournerai probablement plus jamais au cabanon.

Je ne me souviens même plus de comment je suis passé du placard de ma chambre à cette pièce, dans ce vaisseau. Tout est embrouillé dans ma tête; et toujours ce sentiment de vide.

Debout dans cette cabine, ou debout dans la chambre, chez ma mère… Quelle différence, finalement?

Cet endroit est loin de ressembler à l'image que je me fait d’un vaisseau spatial. En fait, c’est plutôt confortable… et calme.

Un large hublot sur toute la longueur de la couchette, de la moquette et des plantes sous verre, sur toute la hauteur du mur principal. Il ne fait pas sombre, pourtant il fait nuit… Je suis bête… Il fait toujours nuit dans l’espace.

En tout cas, ça ne manque pas de lumière.

Tock Tock!

Lise!

  • Kalo-iméra, l’Ami!
  • Ça fait tellement du bien de t’entendre.
  • J’ai eu un peu de mal à te contacter, on n'a jamais essayé sans être dans la même pièce.
  • Tu a raison, j’aurais dû y penser, je suis désolé. Il s'est passé tellement de choses; je n'ai même pas pensé à te joindre.
  • Je sais, Molly m’a raconté.
  • Molly? Tu l'as vue? Qu'a-t-elle dit?
  • Écoute Andy, je n'ai pas beaucoup de temps, on peut parler d’autre chose?
  • Bien sûr, excuse-moi! Comment tu vas? Ma mère ne t’a pas causé d'ennui?
  • Nan, tout va bien. Je pars plus tôt que prévu; J'intègre le centre maïeutique dès ce soir. Je finis ma valise. Et toi, comment vas-tu? C’est comment, où tu es?
  • C’est étonnement douillet et chaleureux… tu adorerais la déco…
  • Sans rire!
  • c’est horrible… être loin de toi et de tout ce que j’ai toujours connu… c’est HORRIBLE!
  • Ne vois pas les choses aussi négativement. On aurait été séparés quoi qu’il en soit, alors dis-toi que c’est comme… si tu partais, toi aussi, pour l'université…?
  • Sauf que, pour moi, il n’y aura pas de vacances, ni d'enseignement, ni de métier à la clef… Ni même de retour possible.
  • Je suis désolée Andy, je ne vais pas prétendre que je comprends ce que tu ressens, mais sache que pour moi aussi c’est dur d'être loin de toi; le pire je crois, c’est de ne pas savoir quand on se reverra… Je dois y aller, ma navette et là. Je te prépare un message de souvenir rempli de détails sur mon entrée au centre, ce sera comme si tu y étais venu avec moi…
  • Ok, ne sois pas en retard.
  • Andy…? Essaye de t’adapter à ton nouvel environnement. Je suis sûr que tout ira bien.

Elle part aussi. Le cabanon est vide. Pourquoi est-elle partie plus tôt? pour s'éloigner du scandale éventuel que ma mère pourrait causer? Nan, ma mère a tout intérêt à ce que cette histoire reste secrète.

Peut-être que c'était trop dur d'être seule, la-bas… Si c'est le cas, elle ne l'avouera jamais! Elle a vu Molly, et n’a pas voulu en parler… Est-ce qu’elle est en colère? Contre moi? Contre Lise? Elles se sont disputées? au final je ne sais rien… Et puis, quelle importance?

M’adapter!

L’adaptation… N'est-ce pas à cause de ça, qu'il n’y a plus d’hommes? Quelle belle ironie!

Le reste du vaisseau semble tout aussi confortable que la cabine d'où je viens de sortir. Il y a même des structures en bois qui donnent une ambiance chaleureuse et moderne. Pas du vrais bois j’imagine, mais c’est une jolie imitation quand même. Des lumières partout et des tablettes de contrôle sur les murs en plex blanc.

Ce vaisseau est clairement un navire privé. Sûrement à cette Syllgi. Je me demande à quoi l'île peut bien ressembler? Probablement un prolongement d’ici… J’arrive dans une pièce plus grande. Ça sent le luxe à plein nez… un mélange de vanille et de jasmin.

Je reconnais la fille que j’ai vue chez ma mère lorsque j'étais coincé dans la tête de Molly. Il n’y a qu’elle; et une multitude de petit robots, androïdes et autres mini-machines qui d’affairent un peut partout. Je ne sais pas trop où me mettre. J’attend qu’elle s’adresse à moi, ou du moins qu’elle me remarque. Je prends ma propre main, comme molly m'a appris à le faire, un geste rassurant. Du contact… Elle se tourne vers moi… C'était quoi son nom, déjà?

  • Darna! Enchantée. Tu tombe bien; je venais t’chercher pour ton traitement avant d’passer en hyperespace. Ce sera pas dessuite néanmoins, on doit s'arrêter au space-port de Fainne pour récupérer un de nos pensionnaires et de la marchandises…
  • Un traitement?
  • Une p’tite piqûre de rien du tout, pour une efficacité à vie… tu vas voir, ça va aller vite. C’est pour t’protéger des radiations. Comme tu n'as jamais quitté Gravis, j’imagine que t'as jamais été exposé… La plupart d'entre nous avons grandi dans l’espace alors on a r’çu s’traitement quand on était tout p’tits. C’est une protéine appelée “Dsup+” qui va muter avec ton ADN.
  • Une mutation de mon ADN?
  • N’aies pas peur, il te poussera pas d'antennes ni rien… Enfin peut-être un peu d'écailles au début…
  • Quoi?
  • C’est une blague, détends toi… Absolument tous les humains qui voyagent l'ont reçu à un moment donné, c’est sans risque.
  • Tous les HUMAINS?
  • Ha oui, excuse moi, j’aurais dû dire “toutes les humaines”… J’suis dans l’espace depuis trop longtemps. C’est que, contrairement à toi, je suis entourée presque exclusivement de garçons sur l'île… et dans l’espace, il y a des tas de “Mâles”... Haha… Dis-moi si j’parle trop vite… Tu comprends bien tous les mots que je proonoonnonce? Çaaa va? T’es un peu pâle quand même, on va te donner un supplément de vitamines, ça n’devrait pas t’faire de mal.

Pour emprunter une vieille expression, cette fille est un “moulin à paroles”. Elle n’a pas cessé de jacasser sur le chemin de l'infirmerie. Elle m’a noyé d’informations inutiles.

La température de l’infirmerie est plus basse que dans les autres pièces. À moins que ce soit moi qui suis en train de paniquer à l'idée de cette aiguille mutante…

Pour être honnête, mis à part la température, l'infirmerie est comme le reste du vaisseau… confortable et bien plus accueillant que je l'imaginais en venant. M’adapter ne devrait pas être aussi pénible que ça, finalement. Je devrais peut-être profiter de la bavarderie de cette fille pour en savoir plus sur le lieu qui va devenir ma maison.

Je lui demande depuis quand elle vit sur l'île. Mais je n'ai pour tout réponse qu’un flot de paroles presque incompréhensibles, sur sa vie d’assistante et les liens qu’elle a créés avec les pensionnaires. Elle a sans doute fait allusion à une date dans tout ce bavardage mais je n'ai pas réussi à tenir le fil. Je crois, si j’ai bien compris, que je suis désormais l’un d’entre eux. Ceux qu’elle appelle les “pensionnaires” sont des garçons de colonies Gravissiennes, qui comme moi on étés receuillis par cette femme. J’ai tenté une autre question, tout en prenant soin de garder les yeux dans la direction opposée de l’aiguille qu’elle était en train de sortir d’un emballage stérile. Je lui demande dans combien de temps nous arriverons sur l'île. Une fois de plus, je n’ai pas bien saisi la réponse.

Elle m’a parlé de notre arrêt sur Fainne, m'a demandé si j’y étais déjà allé mais n'a pas attendu l’information pour continuer son monologue. Elle a enfilé l’aiguille dans une sorte de manchette qui m'a fait penser à un mini-autodoc, a incorporé un liquide vert translucide dans un compartiment idéal à cet effet, et a pris mon bras. Le tout sans jamais arrêter de parler. Cette Darna ne connaît visiblement pas la ponctuation… elle m’a expliqué que l’un des pensionnaires, Chazon, que je vais bientôt rencontrer, est actuellement sur Fainne pour une mission qui lui vient directement de Syllgi. C'était un véritable honneur d’avoir une telle responsabilité pour lui. Mais que ce n'était pas étonnant puisque ce gars avait toujours eu une place privilégiée au yeux de l’historienne; après tout il était le tout premier pensionnaire. Lui et Darna ont quasiment grandi ensemble. Ce qui m’a révélé que Darna a elle aussi été accueillie très jeune, elle ne doit pas être une simple employée… D’ailleur y a t’il des employées sur l'île? Je vais essayer de placer cette question entre deux phrases interminables. Elle a enfin fini par me dire qu'après avoir récupéré ce Chazon, on entrera en hyperespace pour seulement quelques heures, 2 grand max; l'île ne se trouvant actuellement pas très loin de Gravis.

J’ai senti l’aiguille me transpercer la peau, j’ai arrêté de respirer. Le liquide, très épais, a pénétré ma veine avec puissance. J’ai fermé les yeux.

  • Respire! a t-elle dit en chuchotant; lorsqu’on a mal, ou que l’on s’attend à avoir mal, on a ce réflexe étrange d'arrêter de respirer… mais c’est important de bien oxygéner son cerveau.

Je me remet à respirer lentement. Je me concentre.

“Inspire, expire… gonfle la poitrine, pas le ventre… Comme Molly te l'as expliqué.”

Le temps me paraît très long avant que la dose soit totalement injectée. Mais ça va mieux.

  • Merci.

Je rouvre les yeux lentement mais j’attend que Darna ait terminé de m'ôter la manchette avant de la regarder me mettre un petit pansement en forme de lion.

  • Vous n'avez pas de crème cicatricielle?
  • Bien sûr que oui voyons, mais on la garde pour les vraies blessures… ton corps est totalement capable de cicatriser tout seul pour une petite piqûre… en plus j’adore donner à chacun d’entre vous un animal ancien comme totem.
  • ok, et… Pourquoi le lion?
  • Hoo, en voilà un cultivé… Parce que tu r’ssemble a un lionceau apeuré loin d’sa maman… mais t'inquiètes pas, je suis certaine que tu vas devenir un lion fort et redoutable, mon chaton.

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