La part instinctive
Elle prit une grande inspiration et plongea sa tête sous l'eau, de sorte que tous les bruits de la maison disparaissent l'espace d'un instant. Des années qu'elle menait cette double vie, mais avec trois enfants dont un en bas âge, il lui devenait de plus en plus difficile d'exprimer cette part de sa féminité instinctive.
Elle entendit dans le lointain des cris étouffés. Encore Eïleen qui taquine son petit frère. Que vais-je faire de cette petite, et comment lui expliquer lorsqu'elle sera en âge de comprendre?
A mesure que les remords l'envahissaient, elle sentait les changements qui se profilaient intérieurement. Cela commençait généralement par une sensation de brûlure dans le ventre, puis des élancements dans le bas-ventre comme si une créature allait traverser son utérus, déchirant les parois de ses dents acérées. Heureusement il n'en était rien, il n'y a bien que dans la littérature fantastique que l'on voit de telles boucheries. Elle s'enfonça dans la baignoire et refit couler un peu d'eau chaude ,qu'elle dirigea vers son ventre pour la soulager. Passé ces premières sensations désagréables et même douloureuses, une seconde vague venait généralement l'envahir tout entière, partant de son pubis et irradiant jusqu'à la pointe de ses seins qui se gonflaient, faisant émerger de l'eau deux tétons d'un sombre bleuté. Ah, ils en auraient fait frémir plus d'un, ces deux dômes émergeant de l'eau!
Seulement il n'y avait pas que cela...
La première fois qu'elle avait vécu ces changements corporels, c'était adolescente, comme toutes les filles de son espèce d'ailleurs. Cela passerait peut-être avec le temps, ne la paralysant plus pendant six jours chaque mois. Malheureusement non.
Elle en était à son troisième jour et c'était toujours le plus terrible, contrainte qu'elle était de rester enfermée pendant au moins vingt-quatre heures. L'eau chaude du bain qui caressait sa peau faisait accélérer le processus physique et en même temps la libérait. C'était comme si des centaines de petites bulles venaient s'éclater à la surface de sa chair, lui laissant la place d'être ce qu'elle était vraiment. Sa peau habituellement halée commençait à prendre une teinte diaphane et on voyait d'immenses nervures, telles les ailes des insectes névroptères, qui parcouraient tout son corps avec des reflets passant par différentes déclinaisons de bleu. Ses jambes devenaient comme du plomb, se fondant l'une dans l'autre, s'étirant sans fin.
Enfin dans le dos elle sentit le picotement habituel qui parcourut sa colonne vertébrale jusqu'à ses reins. Elle ondula du bassin pour se cambrer et libérer un peu d'espace dans le creux juste au-dessus du coccyx. Déjà, elle était l'Autre. Déjà, la part animale avait englouti dans le giron de ses puissants instincts, les restes de la femme qu'elle était.
Soudain son coeur s'accéléra, on tambourinait à la porte. Les enfants , ce doit être les enfants. Le bruit sourd continua. Elle voulut répondre, mais les mots qui gravissaient son larynx, finirent dans une sorte de râle à l'intérieur de sa bouche. Sa queue, maintenant visqueuse et interminable, dépassait largement la baignoire et sous l'effet de la panique, semblait animée de mouvements incontrôlables, renversant tous les objets alentours.
En dix ans de vie commune , elle avait toujours réussi , mois après mois à conserver son secret; et aujourd'hui elle ne voulait pas finir comme une de ses ancêtres dont le destin tragique, anime les contes et les légendes. Elle devait porter le poids de sa triste lignée...car nul ne doit déranger une vouivre lors de son bain mensuel!
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