Eté 2009

A la fin de l’année universitaire, ils avaient tous trouvé un job d’été pour mettre un peu d’argent de côté. Dans le groupe, ils avaient tous de la chance : leurs parents finançaient leurs études, et s’ils travaillaient pendant les vacances c’était surtout pour payer leurs loisirs, leurs vêtements… Louise seule ne travaillait pas : elle n’avait que seize ans, et passait les congés chez sa grand-mère. Ses frères allaient l’y rejoindre dès que leurs horaires de travail leur en laissaient la possibilité. Ils n’avaient pas envie de passer deux à trois mois sans la voir ou presque, et encore moins qu’elle ait le sentiment d’être abandonnée à nouveau. Elle en profitait pour cuisiner avec Mathie, et passer de longs moments à se balader avec Attila.

Le weekend, lorsque leurs emplois du temps le permettaient, ils partaient randonner. Parfois juste une journée, parfois deux. Louise appréciait vraiment, de plus en plus, les randonnées. Ses relations avec ses frères jouaient au yoyo : parfois bonnes, parfois chaotiques, souvent entre les deux.

Au début du mois d’août, Nicolas avait réussi à cumuler plusieurs jours de repos pour organiser une randonnée avec trois bivouacs. Louise avait hâte de partir, en revanche Virgile ne les accompagnerait pas : Julia et lui étaient partis une semaine en Espagne. Gauthier se joignit à eux, plutôt content de passer du temps avec Nicolas, et aussi avec Louise. Elle était toujours aussi sauvage, mais il ne perdait pas espoir de l’apprivoiser. Elle évoluait, tout doucement. Elle portait moins souvent un survêtement, Nicolas ayant réussi à lui acheter quelques jeans et des T-shirts, des tuniques plus féminines. Elle était toute mimi, lorsqu’elle prenait la peine de s’habiller. Quant à ses cheveux, elle les avait fait tresser à l’africaine au début de l’été.

C’était une idée de Julia, à vrai dire : les deux filles ne s’entendaient pas vraiment mieux, mais Julia avait suggéré à Virgile de prendre pour Louise un rendez-vous chez une coiffeuse spécialiste des cheveux afro. L’adolescente avait parait-il trainé des pieds pour y aller, mais semblait très contente des tresses collées à son crâne : plus besoin de se peigner le matin, elle gagnait du temps dans la salle de bain ! Sa mère ne lui avait jamais montré comment prendre soin de ses cheveux crépus, et la coiffeuse lui avait appris beaucoup de choses. En tout cas, Gauthier trouvait que cette nouvelle coiffure lui allait très bien.

Oui, Louise évoluait doucement, mais elle restait sur ses gardes en présence de Gauthier, et même avec ses frères. Elle ne semblait jamais se détendre tout à fait. Gauthier s’amusait à la taquiner en paroles. Il ne la touchait pas, ne la bousculait pas comme il aurait eu envie de la faire – un coup de coude complice, une bourrade amicale comme il pouvait échanger avec Nico… Il se contentait de la charrier gentiment, et elle le prenait plus ou moins bien, selon les moments.

Au deuxième jour de leur périple, ils firent halte pour le repas de midi près d’un petit torrent. Le cadre était agréable, et Attila en profita pour se rafraichir, bien que le niveau soit trop bas pour qu’il puisse s’immerger totalement. Les randonneurs le regardèrent s’amuser dans le courant, tout en mangeant. Le chien pataugea un bon moment, but, sauta, et finit par se coucher et se rouler dans l’eau. Après quoi, dégoulinant, il sortit du lit du torrent et s’ébroua violemment, arrosant Louise, Nicolas et Gauthier qui s’étaient installés à l’ombre d’un arbre.

« Eeeh ! » s’insurgea Gauthier.

« Ça va, c’est pas la mort ! C’est même plutôt agréable, ça rafraichit… » jugea Nicolas, se moquant de son ami qui râlait.

Louise qui avait terminé de manger retira ses chaussures et ses chaussettes, et trempa les pieds dans le courant froid.

« Humm ! Ça fait du bien ! Vous devriez faire pareil ! »

Elle regardait l’eau courir autour de ses chevilles, jouant avec les galets sous ses pieds, et ne remarqua pas Gauthier qui s’était approché d’elle pendant que Nicolas, étendu sous l’arbre, fermait les yeux quelques minutes. Elle se sentit soudain saisie à bras le corps, et le cri perçant qu’elle poussa ne l’empêcha pas de finir assise dans l’eau, trempée, Gauthier riant aux éclats. Attila avait bondi en entendant Louise crier, et Gauthier se retrouva lui aussi dans l’eau. Le chien se tenait au-dessus de lui, babines retroussées.

« Attila, viens ici ! »

Le chien accourut vers Louise, sautant dans l’eau froide avec bonheur, et ils jouèrent un moment ensemble. Nicolas, que les cris et les éclaboussures avaient réveillé, les regardait en souriant : Louise et son chien, aussi trempés l’un que l’autre, jouant dans l’eau et semblant s’y trouver bien, tandis que Gauthier – l’arroseur arrosé – s’était relevé et faisait un peu la tête, même s’il essayait de faire bonne figure.

« Mon vieux, tu l’as cherché ! » se moqua Nicolas, avant de s’approcher du bord : « Viens, Louise, sors de là… Il faut te sécher avant de repartir… »

Elle prit la main qu’il lui tendait, et sortit de l’eau, dégoulinante ; ses habits lui collaient à la peau. Le chien s’ébroua de nouveau, tandis qu’elle ouvrait son sac pour en tirer des vêtements secs. Elle alla un peu plus loin se changer derrière un buisson, après quoi ils reprirent leur marche. Elle resta à bonne distance de Gauthier, un peu méfiante. Leurs échanges jusque-là bon enfant s’apparentèrent, à partir de ce moment, à un affrontement continuel qui fatiguait Nicolas. Ni l’un ni l’autre ne voulait s’avouer vaincu, aucun des deux n’acceptait de perdre une joute verbale.