Chapitre 21 - Nicolas

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Lorsque Louise se réveilla le lendemain matin, Gauthier n’était plus dans le fauteuil près de son lit. A sa place, somnolait Nicolas. Il avait passé la nuit dans cette position inconfortable, à veiller sur le sommeil de sa sœur qui dormait à son arrivée. Rien ne l’avait réveillée, ni son arrivée et les nouvelles échangées à mi-voix avec Gauthier avant le départ de ce dernier, ni les passages répétés des infirmières faisant leur ronde et vérifiant la perfusion anti-douleur, ni son portable qui avait vibré sur la table à chaque message de Virgile qui s’inquiétait. Nicolas avait dû le rassurer, et l’empêcher d’écourter ses vacances pour rentrer. Par SMS – ils allaient avoir une sacrée facture de hors-forfait, avec tous ces messages vers l’Espagne ! – il lui avait résumé la situation, et promis qu’il gérait tout en attendant son retour prévu trois jours plus tard.

Les premiers mots de Louise, lorsque son frère ouvrit les yeux, furent pour son chien :

« Attila !

_ Il va bien, Lou. Ne t’inquiète pas, il est à l’appartement. Il a filé dans ta chambre, et il s’est installé sur sa couverture.

_ Il a besoin de sortir !

_ Clément va s’en occuper, ne t’inquiète pas Lou… »

Ce dernier l’avait appelé en début de soirée, pour s’excuser de n’avoir pas pu se libérer, et prendre des nouvelles de Louise. Apprenant qu’elle était hospitalisée, il avait proposé de s’occuper d’Attila pour que Nicolas n’aie pas à s’en charger, et ce dernier lui avait déposé un double des clés de l’appartement avant de venir retrouver sa sœur à l’hôpital.

« Quand est-ce que je vais pouvoir sortir, Nico ? » demandait déjà Louise.

Elle dut attendre le petit déjeuner, puis le passage du médecin qui lui réexpliqua qu’elle devait ménager sa cheville.

« L’entorse n’est pas grave, mais tu ne peux pas utiliser de béquilles à cause de ton poignet cassé. » précisa-t-il. Au même moment, une infirmière entra dans la chambre en poussant un fauteuil roulant, et Nicolas vit sa sœur se figer alors qu’elle demandait :

« C’est quoi, ça ?

_ Comme je te le disais, tu ne dois pas te servir de ta cheville… » répéta le médecin.

« J’irai pas !

_ Louise, sois raisonnable… » tenta Nicolas, aussitôt coupé par sa sœur :

« J’irai pas, je te dis ! Je te préviens, si tu me forces, je hurle !

_ Tu ne crois pas que tu es au-dessus de ça ? » soupira-t-il tout en regrettant d’avoir dit à Virgile de profiter de ses vacances avec Julia.

« Tu m’en crois pas capable ? » siffla-t-elle entre ses dents, farouche.

« Oh, si… » fit-il, désabusé, en levant les yeux au ciel.

Nicolas cherchait comment gagner du temps pour éviter la crise qu’il sentait arriver à grands pas.

« Bon… Louise, si je te promets qu’on le laisse ici, le fauteuil, tu acceptes de t’asseoir dedans jusqu’à la voiture ?

_ Mais enfin, vous n’y pensez pas ! » intervint le médecin, que Nicolas interrompit d’un geste : « Laissez-moi gérer ça, s’il vous plait… Louise ?

_ Tu promets ? » demanda-t-elle d’une toute petite voix.

« Je te le promets. » dit-il en la regardant droit dans les yeux.

« Mais c’est toi qui le pousses !

_ Si tu veux.

_ Bon… » capitula-t-elle.

Nicolas respira. Il installa sa sœur dans le fauteuil, déclinant l’aide de l’infirmière qui voulait lui prêter main forte, et poussa le fauteuil dans le couloir et dans l’ascenseur, jusque sur le parking où il avait garé sa voiture au milieu de la nuit. Une fois Louise assise et attachée, son sac à dos rangé dans le coffre, il rapporta le fauteuil à l’accueil où l’infirmière l’attendait.

« Vous devriez le prendre, elle en aura besoin.

_ Merci, mais chez nous elle ne pourrait pas l’utiliser, c’est une vieille maison mal foutue, il y a des marches entre toutes les pièces… » expliqua-t-il. Il avait négocié avec Louise, pour éviter une crise sans non plus la laisser gagner au premier caprice.

« Je comprends, mais c’est vraiment important qu’elle ne sollicite pas sa cheville dans les jours à venir. Après son prochain rendez-vous avec le médecin, peut-être qu’elle aura une attelle et qu’elle pourra marcher, mais dans l’immédiat c’est totalement contre-indiqué.

_ J’y veillerai. » promit Nicolas avant de prendre congé, pressé de rentrer.

Ils devaient encore passer à la pharmacie, aller chercher Attila à l’appartement, puis faire la route jusque chez Mathie. Et il n’avait pas beaucoup dormi.

Lorsqu’il coupa le contact de la 205 devant la vieille maison, leur grand-mère qui devait les guetter depuis un moment sortit pour ouvrir la portière de Louise.

« Ma petite-fille, comme j’ai eu peur ! Tu dois avoir mal ! Et puis faim, on ne vous nourrit jamais bien, à l’hôpital… Qu’est-ce qui te ferait plaisir ?

_ Laisse-la respirer une minute, Mathie… » gronda gentiment Nicolas en prenant sa grand-mère par les épaules.

Il porta sa sœur jusque dans le salon, où il l’installa sur le canapé, la cheville surélevée et le bras toujours en écharpe. Attila les avait suivis, et se coucha contre elle sur les coussins, sourd à toute récrimination de Mathie qui n’avait jamais accepté qu’il monte sur le canapé. Nicolas, qui lui-même n’était pas fan des poils de chien dans les coussins, plaida en faveur d’Attila : Louise avait vraiment besoin de sa présence, de son contact. Il les regarda se câliner longuement, sa sœur perdant enfin l’air malheureux qui était le sien depuis qu’elle était montée dans le camion des pompiers.

Nicolas appela le magasin où il travaillait comme intérimaire depuis le début de l’été, et leur expliqua qu’il ne pourrait pas venir avant plusieurs jours dans le meilleur des cas. Il ne pouvait pas laisser Louise avec Mathie, qui ne pourrait pas l’aider à se déplacer. Sa sœur ne pouvait même pas aller seule aux toilettes.

La vie s’organisa autour de Louise, ils prenaient leurs repas non plus dans la cuisine mais sur la table du salon, Nicolas ou Virgile dès son retour la portaient d’un endroit à l’autre, et Mathie passait de longs moments avec de la couture ou ses mots croisés, à tenir compagnie à sa petite-fille. Louise était d’une humeur massacrante, ne quittant pas son air maussade et désagréable. Être enfermée et immobilisée lui coutait, elle qui habituellement ne tenait pas en place.

En début d’après-midi, ce jour-là, Nicolas revint dans le salon après avoir lavé la vaisselle, un grand sourire aux lèvres : « Ta résidence secondaire est prête, Lou ! » s’exclama-t-il en la soulevant dans ses bras. N’y comprenant rien elle tenta de protester, mais il la tenait fermement, et elle dut s’accrocher à son cou de sa main libre. Il sortit de la maison, et l’emmena dans le verger, où il avait tendu un hamac entre deux arbres. « Tu vas être bien, là ! Au grand air, à l’ombre des pommiers… Et Attila pourra se dégourdir les pattes. » Il lui ramena une bouteille d’eau, son téléphone portable, le livre qu’elle lisait sans grande conviction, plus pour s’occuper qu’autre chose, et vérifia qu’elle ne risquait pas une insolation lorsque le soleil tournerait. Et il n’oublia pas le lecteur MP3 prêté par Gauthier. Ses frères avaient été étonnés de la voir avec ce gadget électronique qu’ils ne lui connaissaient pas, mais elle l’utilisait à longueur de journée – et de nuit – écoutant en boucle toutes les playlists que Gauthier avait enregistrées dans l’appareil.

A partir de ce jour, elle passa tous ses après-midi dans le verger, heureuse de sentir l’air estival sur son visage, écoutant les oiseaux chanter dans les arbres, et jouant avec Attila qui courait après la balle qu’elle lui lançait maladroitement, depuis la position semi-couchée qui était la sienne dans le hamac.

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