Chapitre 23 - Virgile
A force de patience et de tendresse, Virgile parvint finalement à calmer sa sœur, et à la faire parler.
« J’ai… j’ai… eu peur !
_ Mais de quoi ? »
Entre deux reniflements et quelques sanglots résiduels, la respiration encore chaotique, elle lui raconta l’arrivée de Gauthier qu’elle n’avait pas reconnu, sa peur, sa chute, tout.
« C’est pour ça ? Tu te mets dans un état pareil pour si peu ?
_ Mais… mais, tu ne com… comprends pas !
_ Explique-moi, alors ? »
Mot par mot, chaque phrase lui coûtant un effort, elle parla. Ou plutôt, il lui tira les vers du nez, lui arracha chaque mot et chaque phrase, insistant pour savoir la suite. Quand elle se tut pour de bon, Virgile resta silencieux un moment.
« Ma petite sœur… c’est fini, maintenant. Plus personne ne te fera de mal, je te le promets… »
Longtemps il murmura des paroles rassurantes et, épuisée, elle s’endormit, tenant sa main dans la sienne. Il tenta de se libérer mais elle se réveilla en sursaut et en pleurs. Il la rassura, et resta près d’elle.
Un peu plus tard, Nicolas passa discrètement la tête par la porte entrebâillée pour prendre des nouvelles. Voyant Louise endormie, accrochée à la main de Virgile, il entra dans la chambre sur la pointe des pieds pour s’approcher de son frère.
« Elle dort ? » chuchota-t-il. Virgile répondit, pas plus fort :
« Oui… Gauthier est encore là ? Je crois que notre soirée va tomber à l’eau, je ne peux pas la laisser, si je me lève elle se réveille et elle panique. C’est peut-être mieux qu’il rentre chez lui…
_ Reste avec elle, je reviens. » chuchota Nicolas avant de quitter la chambre un moment pour aller expliquer la situation à leur ami et le raccompagner à sa voiture. A son retour, il s’assit près de son frère aîné.
« Elle t’a dit ? » lui demanda ce dernier sans le regarder, les yeux fixés sur Louise.
« Dit quoi ?
_ Ouais… donc, elle t’a rien dit…
_ Mais dit quoi, Virgile ?
_ T’énerve pas, c’est pas la peine de la réveiller ! » le rembarra-t-il à mi-voix, comme si ce n’était pas lui qui parlait à demi-mots. « Bon… pour résumer… »
Comment lui annoncer ça ? Cash ? En prenant des pincettes ? Nico était peut-être le plus calme d’entre eux, mais il ne fallait pas tirer sur la corde non plus, et Virgile ignorait totalement comment il pourrait réagit…
Il soupira avant de se lancer, sans le regarder : « Héléna vivait avec un homme depuis quelques années. Et… il n’était pas correct avec Louise. Quand elle t’a dit qu’elle avait vécu avec des gens qui pouvaient lui faire du mal : c’est de ce gars-là, qu’elle voulait parler… Maintenant, on comprend l’attitude d’Attila… »
Nicolas ne répondit rien, les lèvres pincées.
« Nico ?
_ Pas correct dans quel sens ?
_ … Il la frappait.
_ C’est tout ?
_ C’est pas assez ? » s’étonna Virgile.
« Tu as très bien saisi ce que je veux dire, V. ! Est-ce qu’il l’a… » Nicolas ne voulait même pas prononcer le mot, qui aurait rendu l’horreur bien trop concrète. Et Virgile mentirait s’il disait qu’il ne s’était pas posé la question, lui aussi.
« Elle m’a assuré que non.
_ …Mais… ? » insista son cadet.
« Mais… il n’aurait pas dit non. Du genre à essayer de la coincer au sortir de la salle de bain, à la reluquer tant qu’il pouvait, ce genre de trucs. Sauf qu’il a toujours trouvé Attila en travers de son chemin. Voilà. » conclut Virgile.
Les deux frères se regardèrent, puis regardèrent leur sœur endormie, et enfin le chien couché près d’elle sur le lit. Tout – la défiance, la méfiance de Louise à l’égard de tous, l’attitude de défense adoptée par Attila – tout prenait sens à présent. Comme si les pièces du puzzle s’assemblaient enfin, et qu’après avoir contemplé un amas de petits morceaux sans signification ils avaient enfin accès au tableau complet.
Virgile murmura : « Je ne comprends pas comment Héléna a pu laisser faire ça…
_ Elle a toujours été à côté de ses pompes. » asséna Nicolas. « Mais là, c’est le pompon c’est clair. C’était bien la peine de nous enlever Louise, pour la traiter comme ça ! » Il se tut en voyant sa sœur bouger dans son sommeil, craignant l’avoir réveillée. Mais elle gigota un peu, tira sur la main de Virgile pour la rapprocher de sa propre joue, et s’apaisa.
Les deux garçons se regardèrent encore, puis l’aîné dit :
« Il va falloir s’organiser.
_ Pour notre retour à Clermont, tu veux dire ?
_ Pour tout le temps ! Je ne la laisse plus toute seule, moi ! Je veux être là pour la protéger !
_ La protéger de quoi ? De qui ? Ce type qui s’en prenait à elle est en prison, Virgile. Et pour une paire d’années. Elle est en sécurité, maintenant. Le danger, il est dans sa tête ! Être là pour la rassurer si nécessaire, oui ; la couver et l’étouffer, non ! Atterris, mec, c’est pas lui rendre service. Et d’abord, elle va t’envoyer bouler en moins de deux ! »
Virgile dut reconnaitre que Nicolas avait raison. « Oui, mais… maintenant qu’on sait pourquoi elle a peur de tout le monde, des inconnus… il faut faire quelque chose. Elle ne peut pas rester comme ça.
_ Je suis bien d’accord. Je me disais qu’on pourrait regarder pour l’inscrire à un cours de self-défense, ou quelque chose comme ça.
_ Oui. T’as raison, on va faire ça.
_ Si elle est d’accord, Virgile. » précisa Nicolas.
« Mais quand même, je ne comprends pas… j’avais l’impression qu’elle s’entendait bien avec Gauthier, depuis quelques temps ? Il est resté avec elle à l’hôpital, il lui a prêté son MP3 – d’ailleurs t’as vu, elle ne le lâche pas. » fit remarquer Virgile en désignant l’objet posé sur la table de chevet, les fils du casque formant une pelote tout emmêlée autour du corps de l’appareil.
« Cet idiot ne s’est pas annoncé en arrivant dans son dos. » grogna Nicolas « Elle était coincée dans son hamac, peut-être qu’elle dormait à moitié, elle a été surprise, et elle ne savait pas qui arrivait derrière elle. Et sachant ce qu’on sait maintenant… c’est pas tellement étonnant qu’elle ait paniqué, en fait. Encore une réaction disproportionnée, comme elle sait bien faire… »
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