Chapitre 27 - Julia
Janvier 2010
Les fêtes de fin d’année venaient de se terminer, et les étudiants avaient quelques semaines de congés pour souffler après leurs partiels et avant de reprendre les cours du second semestre. Julia et Virgile en profitaient pour passer autant de temps ensemble que possible. Ils étaient souvent à l’appartement, plus agréable que la chambre de Julia, neuf mètres carré dans une résidence étudiante bruyante. Et puis Virgile aimait être là quand sa sœur rentrait du lycée, à midi et en fin de journée, même si Louise repartait aussitôt avec son chien pour de longues balades. A se demander quand elle faisait ses devoirs et apprenait ses leçons… mais son bulletin était honorable, alors ses frères lui fichaient la paix à ce sujet.
Il pleuvait ce soir-là, et Louise ne resta pas partie aussi longtemps que certaines fois. Après avoir enfilé des vêtements secs, elle fit une brève incursion dans la cuisine pour y prendre quelque chose à grignoter, suivie par son chien. Julia le craignait un peu, elle le trouvait trop gros, trop impressionnant, trop loup, pour pouvoir se détendre en sa présence.
« Hé, Moustique ! Tu viens avec nous ? » l’appela Virgile en l’entendant refermer le placard de la cuisine. Il avait pour sa sœur une collection de surnoms aussi débiles que mignons. Pour tout le monde, en fait… Virgile adorait les surnoms et les diminutifs.
Blottie contre lui sur le canapé, Julia s’attendait à du silence ou une porte qui claque pour toute réponse, mais elle eut la surprise de voir Louise passer la porte du salon pour venir s’affaler dans un fauteuil, face à eux, le temps de manger son crouton de pain fourré de quelques carrés de chocolat noir. Attila s’assit au sol, laissant une trace humide sur le tissu du fauteuil contre lequel il était collé.
Et Louise parla.
Julia en resta coite. Les dernières fois qu’elles avaient passé du temps dans la même pièce, l’adolescente s’était systématiquement montrée rebelle ou boudeuse, toujours en opposition face à ses frères. A part peut-être à Nouvel An, maintenant que Julia y réfléchissait, Louise n’avait pas fait de crise ce soir-là. Elle avait mis ça sur le compte du fait qu’ils étaient nombreux… mais connaissant Louise, ce genre de chose ne l’arrêtait pas. L’année précédente, elle avait carrément quitté la pièce pour aller se coucher, après avoir fait la tête pendant deux heures.
Ce soir-là, Louise se montrait presque souriante. Peut-être pas vraiment joviale et agréable, mais… largement supportable. Lorsqu’elle quitta la pièce après quelques minutes, en disant qu’elle allait faire ses devoirs, Julia se tourna vers Virgile :
« C’est sa bonne résolution pour 2010 ? Elle arrête de faire la tête ? »
Virgile lui donna un coup de coude dans les côtes : « Te moque pas !
_ Non, mais c’est génial, hein ! Elle a l’air mieux. Elle sourit, elle parle…
_ Ouais, je nous ai trouvé un cours de judo, depuis le mois dernier, je te l’avais dit, non ?
_ Mmmm, oui, tu m’en avais parlé. Et ça donne quoi ? Elle supporte pas qu’on la touche, alors j’ai du mal à l’imaginer…
_ Pour le moment, on est toujours ensemble pour les exercices à deux. Mais ça lui plait, et elle se détend un peu en présence des autres.
_ D’accord. C’est… encourageant ? » Julia ne savait pas trop quel mot utiliser.
« Encourageant, ouais… on peut dire ça. » fit Virgile.
Elle se tordit un peu le cou pour lever la tête et le regarder : « Quoi ? T’es pas d’accord ?
_ Si, si… C’est juste… Je trouve ça long. Je voudrais qu’elle n’ait plus peur de tout et de tout le monde, comme ça, tout le temps, tu vois… »
Virgile, l’impatient… Elle sourit : « Laisse-lui du temps. Elle a vachement évolué, là, déjà, en quelques semaines. C’est énorme !
_ Tu trouves ?
_ Mais oui ! Ca faisait un moment que je ne l’avais pas vue, à part à Nouvel An. Et… oui, elle a changé. Regarde : elle a passé un quart d’heure avec nous, il n’y a eu ni cri, ni porte claquée, ni regard qui tue. »
Il éclata de rire : « Tu as raison. C’est cool ; j’aime la voir comme ça.
_ Hé, tu ne voudrais pas qu’on l’emmène faire un peu de shopping, un de ces jours ?
_ Oulà… tu es sure de toi, Ju ?
_ Sérieux, Virgile… Elle a quoi ? Deux jeans ? Et trois pulls ? Elle est toujours habillée pareil… et un jour sur deux on croirait qu’elle a piqué un de tes T-shirts…
_Peut-être parce que c’est le cas… » sourit-il.
« Nan ? Elle porte tes fringues ?
_ Et celles de Nico, oui… Elle aime bien nous prendre un T-shirt ou un pull, pour trainer à l’appart.
_ Okaaaaay… faut vraiment faire quelque chose, là…
_ Quoi ? T’es jalouse ? Tu veux l’exclu sur mes T-shirts ? » se moqua-t-il, sachant pertinemment qu’elle avait horreur de ça. Jamais elle n’avait tenté d’en enfiler un, pas même pour dormir.
« Mais non, tu es bête… C’est juste qu’elle a peut-être besoin d’une présence féminine, tu vois… Elle n’a plus sa mère, elle n’a pas l’air d’avoir de copines au lycée… et c’est pas ta grand-mère qui va l’emmener faire les boutiques.
_ C’est pas faux… On verra ça un de ces jours. »
Lorsque Louise se laissa finalement convaincre, Virgile les accompagna. Officiellement, c’est lui qui détenait la carte bancaire. Officieusement, il avait surtout l’intention d’empêcher Julia de braquer Louise en lui proposant des vêtements trop féminins à son goût ou des chaussures à talons…
Comme il l’avait prévu, l’adolescente se laissa trainer de magasin en magasin, affichant une moue dubitative à chaque fois que Julia lui proposait un article. Elles tombèrent tout de même d’accord sur quelques vêtements que Virgile se fit un plaisir d’offrir à sa sœur – sur les deniers paternels. Mais le seul moment où Louise se montra souriante et enthousiaste, c’est quand il l’emmena chercher une nouvelle paire de chaussures de randonnée.
Annotations