Chapitre 26

6 minutes de lecture

Fin octobre 2015

Une quinzaine de jours plus tard, à la toute fin du mois d’octobre, Virgile m’appela un matin avant même la sonnerie du réveil : « Moustique, ça y est ! Je suis papa ! Tu es tata ! Il est né ! »

Mon frère exultait, son bonheur faisait plaisir à entendre, et je promis de passer à la maternité pour voir mon neveu.

En entrant dans la chambre, en fin d’après-midi, je trouvai Virgile qui couvait du regard une petite chose rouge et fripée qui dormait dans les bras de Julia. Cette dernière était en chemise de nuit, pas maquillée, et je ne l’avais jamais vue aussi mal coiffée…

« Entre, Louise. » me dit-elle en souriant. Je m’approchai du lit pour les embrasser, et elle me dit : « Je te présente Corentin. »

A suivi son pedigree complet, poids, taille et nombre de couches remplies depuis sa première tétée. Virgile déballa le cadeau que j’avais préparé depuis quelques semaines, une peluche toute douce et toute moelleuse, un petit lapin avec de longues oreilles. J’avais longuement hésité, dans le magasin, avant de me décider pour ce doudou.

« Tu veux le prendre un moment dans tes bras ?

_ Hein ? »

Ma réponse fit marrer Virgile, qui s’étouffé pratiquement de rire : « Louise, tu verrais ta tronche ! On dirait une biche prise dans les phares d’une voiture ! Mais fais pas cette tête, Moustique ! »

Je me sentis rougir et regardai sans trop m’approcher le bébé qui dormait.

« Nan, trop petit. Je vais attendre un peu avant de casser votre nouveau jouet. »

Mon frère me mit un coup dans l’épaule, et je fus sauvée par l’arrivée de Papa. Lui non plus ne voulut pas prendre le bébé, « pour ne pas le réveiller ».

On resta un petit moment, puis quand deux infirmières sont entrées, nous avons embrassé Julia. Virgile sortit avec nous. Il m’a retenue, alors que j’allais suivre mon père dans l’ascenseur :

« Lou, tu as des nouvelles de Gauthier ? J’arrive pas à le joindre.

_ Non, pas depuis un moment.

_ Ah. Bon… Nico rentre demain, je voulais payer un coup à boire pour fêter l’arrivée du petit… Paul viendra ?

_ Oui, bien sûr. Tu veux que j’essaie d’avoir Gauthier ?

_ Non, je vais m’en occuper, t’en fais pas. A demain, p’tite sœur. J’t’aime fort. » termina-t-il en me serrant contre lui. Tiens, mon frère deviendrait-il sentimental ?

Nicolas arriva chez moi le vendredi soir, et on discuta jusque tard dans la nuit. Paul s’était montré déçu : il avait espéré que je laisse mon appartement à mon frère, et que je passe la nuit chez lui. Sans appeler ça une dispute, nous étions en désaccord sur le sujet. Je me suis fait pardonner en l’invitant, le samedi matin, à partager les croissants achetés au retour de notre balade avec Attila. Nico m’avait accompagnée, comme il le faisait parfois. En début d’après-midi, il alla voir Virgile, Julia et le bébé, pendant que Paul et moi partions pour une grande balade avec Attila, à la campagne.

Nous avions rendez-vous vers 18 heures avec les gars, à notre bar préféré. Presque toute la bande était là, et Virgile montrait les photos de son rejeton à ceux qui n’étaient pas allés le voir à la maternité. Lorsque le serveur arriva pour prendre les commandes, Alexandre demanda : « Et Gauthier ? Il ne vient pas ?

_ Il a dit qu’il arriverait un peu plus tard. » le rassura mon frère.

C’était étrange, cette histoire. Qu’il ne réponde pas au téléphone une fois sur deux, rien de plus habituel : il avait horreur du téléphone et l’oubliait dans un coin la moitié du temps. Mais louper un rendez-vous au bar, là ça devenait suspect… Sans compter que sa page Facebook, habituellement vivante, se mourait depuis des semaines. Plus de commentaires rigolos ou de ‘j’aime’ lorsque je postais un dessin ou une photo…

Je trempai mes lèvres dans ma bière en réfléchissant à ça.

« Louise, ça va ? » Paul était penché vers moi, une main dans mon dos, fronçant les sourcils. « Tu fais une drôle de tête.

_ Oui, oui, je pensais à un truc, c’est tout. »

Je lui souris, et fis un effort pour me mêler à la conversation générale. Nous fûmes bientôt interrompus par la voix de Gauthier, arrivé dans mon dos :

« Salut les gars ! Je vous présente Hugo. » ajouta-t-il avec un regard vers le petit blond mince, à l’allure de lycéen BCBG, qui se tenait à ses côtés.

Pas je vous présente Hugo mon cousin (il n’avait pas cousin de cet âge, je le savais), pas Hugo mon voisin. Non, juste Hugo. Je jetai un rapide coup d’œil à ce dernier, puis regardai plus attentivement Gauthier qui faisait le tour de la table pour lui présenter tout le monde. Quand arriva mon tour, je me levai pour leur faire la bise, et Gauthier dit :

« Voici Louise. »

Juste Louise.

Quelque chose me chiffonnait, sans que j’arrive à mettre le doigt dessus. Je souris, machinalement, dis que j’étais enchantée, et je fis attention à ne pas marcher sur Attila, couché sous ma chaise, en me rasseyant.

Egal à lui-même, Gauthier finit le tour de la table, et alla au comptoir commander sa boisson et celle d’Hugo, qui s’installa en l’attendant. C’est un petit geste de rien du tout, le genre de sourire qu’il avait eu pour moi à une époque, qui m’ouvrit les yeux : Gauthier et Hugo. Gauthier et Hugo…

La vache ! J’attrapai mon verre pour cacher mon trouble dans la mousse de ma bière.

Les conversations avaient repris, et je pus observer les gars et leurs réactions. Le coup d’œil entendu échangé par mes frangins, le regard curieux de Paul et d’Alex, Martin très à l’aise qui discutait avec Hugo. Et Gauthier, qui ne me quittait pas des yeux, un air de défi sur le visage.

Attila s’agitait à mes pieds, je tendis la main pour le caresser et le faire se recoucher.

Clément, à côté de moi, me posa une question, et j’oubliai un peu Gauthier. Mais chaque fois que je tournais mon regard vers lui, je le voyais qui me fixait, même s’il détournait les yeux par la suite.

Attila était de plus en plus nerveux, et au bout de la troisième fois à lui demander de se calmer, je terminai ma bière cul sec, et me levai en disant : « Til a besoin de courir, je vous laisse. Salut tout le monde, à la prochaine ! »

Paul essaya de me retenir mais j’esquivai sa main et m’éloignai avec Attila, au petit trot, zigzagant sur le trottoir entre terrasses de restaurants, poubelles et abribus, piétons… Je me sentais bizarre, tendue, nerveuse moi aussi. Il me fallut longtemps pour sentir mes muscles se dénouer et évoquer l’idée de rentrer. Il s’était mis à pleuvoir, une petite pluie fine, on aurait dit que quelqu’un s’amusait avec un brumisateur. Mine de rien, ça mouillait plutôt bien, et j’arrivai trempée à l’appartement. Paul devait me guetter car il me sauta dessus avant même que j’aie le temps de déverrouiller ma porte.

« Louise, mais où étais-tu passée ? »

Je tournai vers lui en soupirant. J’avais horreur de ça, qu’on me surveille, l’impression d’être fliquée comme une gamine irresponsable…

« Je te l’ai dit, je suis allée courir.

_ Mais tu as vu l’heure qu’il est ? »

Cette fois la porte était ouverte, Attila a filé vers la salle de bain pour s’ébrouer, puis vers sa gamelle d’eau pour se désaltérer, et Paul continuait à me prendre la tête.

« Pourquoi tu es partie comme ça ? C’est impoli !

_ T’es pas mon père. » rétorquai-je sèchement, façon ado en colère. Et comme il prenait sa respiration pour me faire d’autres reproches, je lui coupai l’herbe sous le pied : « Ça suffit. Je n’ai pas de comptes à te rendre. »

Les bienfaits de ma course étaient déjà envolés. En deux minutes, un record, même pas le temps de rentrer chez moi… Je fis trois pas dans mon appartement, ramassai mon sac à dos qui trainait et sifflai Attila. Paul me regardait sans comprendre, je le poussai dehors tout en refermant la porte.

« Tu veux manger avec moi ? Tu devrais te changer, tu es trempée… Louise, mais réponds, bon sang !

_ Je me casse. C’est clair, ça ? » crachai-je en passant devant lui pour quitter l’immeuble. Je claquai la porte du hall et m’éloignai sous la pluie, Attila contre ma jambe. Il n’était que moyennement enthousiaste puisqu'on venait de passer deux heures à courir.

Je n’avais pas de plan précis. Je savais juste que j’étais incapable de rester chez moi avec Paul et ses reproches de l’autre côté du mur, et encore moins dans la même pièce.

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