Chapitre 30

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Après un rapide petit-déjeuner, nous avons rendu la clé de la chambre et quitté l’hôtel. Il était tout juste 9 heures lorsque nous sommes arrivés à l’accueil du foyer où vivait ma mère.

Lorsque je me présentai, la femme me regarda avec un air ennuyé.

« Bonjour mademoiselle, votre maman a été hospitalisée il y a peu, et…

_ Je sais. Elle est décédée cette nuit. » annonçai-je. Elle me proposa alors de rencontrer le référent social de ma mère, et nous précéda dans son bureau.

« David, voici la fille d’Héléna, qui est venue nous annoncer son décès. » indiqua-t-elle simplement, avant de nous laisser.

« Mademoiselle Marie…

_ Bréat. Louise Bréat.

_ Pardon. Je vous présente mes condoléances.

_ Merci. Mais depuis le temps, je pense que vous la connaissiez mieux que moi…

_ Asseyez-vous, je vous en prie. Que puis-je faire pour vous ?

_ J’ai vu ma mère hier, et elle m’a demandé de m’occuper de ses affaires, de sa chambre.

_ Bien sûr. Héléna, pardon, votre maman…

_ Vous pouvez l’appeler Héléna, ça me va très bien…

_ D’accord. Elle m’a souvent parlé de vous. Elle était notre plus ancienne résidente. La plupart des femmes restent quelques mois, un an tout au plus, le temps de rebondir et de repartir du bon pied. Héléna est arrivée il y a plus de quatre ans. »

Je soupirai : « Elle n’a jamais été capable de prendre soin d’elle-même… »

Il acquiesça silencieusement, avant de continuer : « Je ne devrais peut-être pas vous dire cela, mais elle fréquentait un homme qui avait une assez mauvaise influence sur elle… Elle disait qu’elle ne parvenait pas à se détacher de lui… »

Je voyais très bien de qui il s’agissait… Nous avons parlé de ma mère encore quelques minutes, puis il prit à l’accueil une clé sur le tableau numéroté, et nous accompagna dans les couloirs.

« Voilà, Héléna logeait dans cette chambre. Je vous ramène des cartons dans quelques minutes. »

Je le remerciai avant de tourner la clé dans la serrure, et Paul me suivit dans la chambre quasi monacale. Les murs étaient blancs, les meubles dépareillés. Un lit une place, une armoire, une petite table et une chaise. Une porte menait à la salle de bain. Je commençai par-là, en me disant que ce serait moins personnel que la chambre, et peut-être plus facile. L’armoire de toilette contenait quelques produits de première nécessité, un peu de linge. Beaucoup de rayonnages vides.

« Louise ? » m’appela Paul. « David est là. »

Ce dernier me tendit quelques cartons aplatis, du gros scotch marron et une paire de ciseaux, un rouleau de sacs poubelle, avant de nous souhaiter bon courage.

Je restai immobile un instant, les bras ballants au milieu de la chambre.

« Louise, ça va aller ?

_ Oui. »

La voix de Paul m’avait sortie de ce vide dans lequel j’étais, et je me secouai. Dans l’armoire, des vêtements, bien sûr, mais aussi un ours en peluche que j’aurais reconnu entre mille : le mien. Je l’avais cru perdu, mais il était là, devant moi. Je le pris d’une main tremblante, posai mon nez dessus pour le respirer. Il avait une odeur inconnue, mais derrière, au bout de quelques secondes, il me sembla sentir l’odeur de mon enfance. Je le plaçai au fond d’un carton que Paul venait de former et scotcher, et continuai mon tri. Il y avait aussi un album photos que je n’ouvris pas, et une épaisse pochette cartonnée à élastiques, contenant des papiers.

Au final, j’ai emmené ce carton dans la voiture. Le reste tenait dans deux autres caisses : des vêtements et du linge, que je demandai à David de distribuer aux femmes qui en auraient besoin, parmi les autres résidentes du foyer.

Paul prit le volant pour le retour à la maison, et ne râla même pas sur l’absence de régulateur de vitesse ou le moteur bruyant du Land Rover, comme à l’aller.

Virgile nous attendait devant notre immeuble, et ouvrit ma portière pour me serrer dans ses bras. Il m’étouffait presque, mais c’était si bon ! Sans que je sache vraiment comment, je me retrouvai chez moi, toujours dans les bras de mon frère. Avec un bébé de quinze jours et une femme fatiguée à la maison, il trouvait encore le moyen de venir passer du temps avec moi.

« Où est Paul ?

_ Rentré chez lui un moment. Je dois lui faire signe en partant. » me répondit mon frère.

« Qu’est-ce que tu fais là, Virgile ?

_ Je suis venue voir ma petite sœur. Mais je peux repartir, si je te dérange !

_ Bien sûr que non, idiot ! »

Entre nous, ça se passait de mots. On avait vécu des moments de brouille, quand je refusais qu’il me parle ou me touche, mais c’était passé depuis des années. Il y avait bien longtemps que j’avais retrouvé mon grand frère, celui que j’aimais, que j’admirais, qui me protégeait et me dorlotait jusqu’à outrance parfois.

Après avoir donné à Attila sa couverture qu’il a trainée et installée à sa façon dans son coin de la pièce, je posai le carton sur la table, et l’ouvris.

« Regarde, Virgile.

_ La vache ! Il existe encore, celui-là ? »

Mon frère souriait de toutes ses dents en détaillant mon vieux nounours élimé et rapiécé. « Sérieux, tu le trainais partout, Mathie passait sa vie à le recoudre ! »

Je le lui repris, et le serrant sous mon nez dans un geste vieux de plus de vingt ans, je fermai les yeux un instant.

« Tu as vu ta mère, alors ?

_ Ouais…

_ Ça va ? »

Je soupirai en haussant une épaule ; il me serra plus fort, sans un mot.

« Ça va, Virgile. C’est juste… je pensais pas la revoir un jour, et surtout pas comme ça, aussi malade. Ce n’était plus vraiment elle, tu vois ? Ça fait trop longtemps….

_ Mmm… Et… Nico m’a dit que tu avais envoyé le connard au tapis ? »

Je ris, un petit rire pas vraiment joyeux, c’était juste le fait de voir mon frère jubiler à cette idée.

« Il s’est pratiquement fait dessus, tu l’aurais vu… C’était presque flippant d’ailleurs, j’avais tellement peur de lui à l’époque, et quand je l’ai reconnu tout m’est revenu… J’avais quinze ans à nouveau… » Mon frère ne disait rien.

« Et puis j’ai repensé au judo, aux cours de jujitsu, et là… C’était comme si tu étais là, et qu’on s’entrainait juste, je lui ai fait hidari eri dori comme ça, au milieu du parking…

_ Tu l’as toujours aimée, cette prise. » sourit Virgile.

C’est vrai que c’était jouissif, attraper le poignet, tordre le bras en arrière et appuyer sur l’épaule… une sensation de puissance, même face à un adversaire plus fort ou plus grand.

« Je suis fier de toi, Petite Sœur, tu t’en es sortie comme un chef d’après Paul et Nico.

_ Après, j’ai craqué. » rectifiai-je.

« Oui, après. C’est normal. Mais sur le moment, tu t’es défendue. C’est ça, l’important. Je suis content d’avoir insisté, à l’époque… »

C’est vrai qu’il m’avait littéralement trainée jusqu’au dojo, les premières fois, avant que je ne me rende compte que j’aimais ça…

« Tu as toujours ton kimono ?

_ Evidemment, j’allais pas le jeter !

_ Et ça ne te dis pas de reprendre ? Tu pourrais passer ta ceinture verte, tu y étais presque…

_ Bof. »

Je n’en ressentais pas le besoin, l’envie. Peut-être un jour, plus tard.

Mon frère finit par aller rejoindre Julia, et comme il voulait appeler Paul, je lui demandai de ne pas le faire.

« J’ai juste envie d’un moment tranquille, Virgile. Je l’appellerai un peu plus tard.

_ Promis ? Tu ne restes pas seule, hein, Bouchon ?

_ Promis. »

Après son départ, je vidai mon sac, rangeai mes affaires, et me fis couler un bain. Ensuite seulement, une fois lavée et détendue, j’appelai Paul qui arriva aussitôt.

« Ça va, Louise ? Il y a un moment que ton frère est parti.

_ Ça va, ne t’inquiète pas. J’avais besoin d’un moment seule.

_ Bien sûr. » dit-il simplement, en scrutant mon visage. Peut-être à la recherche de traces de larmes ? Il n’en trouverait pas.

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