Chapitre 37
Février 2016
Je suis rentrée chez moi, seule. J’ai erré comme une âme en peine, dessiné un peu, sans grande conviction. L’appartement me semblait tellement vide, sans la présence d’Attila… J’ai fini par attaquer mes licornes roses, et je me suis forcée à avancer, mais sans y prendre le moindre plaisir. Puis, en fin d’après-midi, j’ai éteint ma tablette, posé mon stylet, et je me suis changée : j’avais besoin de bouger, il fallait que j’aille courir, sinon j’allais exploser. J’avais l’impression d’être une cocotte-minute sous pression. J’ai glissé mon portable et mes clés dans la poche de ma veste, et je suis partie. Une foulée, deux foulées, trois foulées… Inspirer, expirer l’air glacial de février… Je tentais d’oublier l’absence d’Attila, et ça marchait un peu. Pas besoin d’aller au parc cette fois, alors j’ai changé d’itinéraire, et emprunté des rues où je n’allais jamais.
« Attila n’est pas là ? » s’est étonné Paul en me voyant rentrer seule de ma course. On est arrivés en même temps devant l’immeuble, et je l’ai suivi chez lui tout en parlant.
« Non, le véto l’a gardé.
_ Qu’est-ce qu’il a ?
_ Mangé un truc pas clair.
_ Lou, ça va ? Tu trembles ? Louise, chérie… » Son air inquiet m’a fait craquer, et j’ai laissé parler ma rage.
« Me suis fait emmerder par un connard qu’a rien trouvé de mieux à faire que me draguer ! ’spèce de gros lourd. Et il insistait, en plus. J’ai cru que je m’en débarrasserais pas, il courait vite lui aussi… »
Paul m’a envoyée me doucher. Pendant ce temps, il est allé chez moi, me chercher des vêtements propres. A son retour, je fulminais toujours, et ça ne s’est pas arrangé lorsqu’il m’a dit que j’étais jolie, et que je devais certainement à Attila le fait de ne jamais m’être fait importuner auparavant.
« Merde, mais c’est pas parce que je suis une femme que je dois me planquer ! C’est pas ma faute à moi si ce type est un gros porc, un obsédé !
_ Bien sûr que non, Lou, bien sûr que non, c’est pas ce que j’ai dit. »
J’ai fini par me calmer, crier ça fait du bien, extérioriser… Et on allait se mettre à table quand mon téléphone a sonné : le vétérinaire.
« Mademoiselle Bréat, pourriez-vous passer au cabinet, j’aimerais redéfinir avec vous les modalités du traitement d’Attila ? »
J’ai sauté dans ma voiture pendant que Paul mettait le repas au chaud pour plus tard.
En arrivant à la clinique, la première chose que j’ai entendue a été les gémissements continus de mon chien. Le Dr Ducroc m’a souri, un peu gêné : « Il n’a pas arrêté de pleurer depuis que vous êtes partie… Il a rendu tout le monde fou ici, et… je n’ai pas le cœur de le laisser seul cette nuit à pleurer comme ça…
_ Il va mieux ? » Tout en parlant, il m’avait précédée jusqu’à Attila. Couché dans la position où je l’avais laissé une dizaine d’heures plus tôt, la truffe sur ses pattes, il pleurait sans arrêt. Mais il a suffi qu’il entende ma voix pour qu’il ouvre les yeux et se redresse, geignant non plus de chagrin mais d’impatience.
« Son état est stable. Ni pire, ni vraiment mieux. Je vous propose de le ramener chez vous pour cette nuit, si vous pouvez revenir demain matin. On devrait pouvoir remplacer la perfusion par des piqures, matin et soir. Si vous êtes d’accord.
_ Oh, oui ! » Tout, plutôt que de passer une nuit loin de lui, de le savoir seul à pleurer dans cette clinique déserte…
Nous sommes partis avec une liste de recommandations longue comme le bras : pas de croquettes, mais de la viande rouge, hachée si nécessaire ; de l’eau à volonté, du repos. Et appeler le vétérinaire de garde en cas de problème. J’ai promis, et j’ai ramené Attila. Pourtant, l’allégresse n’a pas duré longtemps. Les quinze marches à monter pour accéder au premier étage avaient l’air d’une montagne à gravir, et Attila s’est écroulé sur sa couverture, essoufflé. J’ai haché de la viande pendant que Paul rapatriait notre repas chez moi, et nous avons mangé rapidement. Je ne cessais de surveiller mon chien, qui avait mangé un peu, et Paul a plusieurs fois dû répéter une question qu’il me posait, et que je n’avais tout bonnement pas entendue.
Après la vaisselle, Paul m’a dit :
« Ecoute… je crois qu’il vaut mieux que je rentre. »
J’ai dû lever vers lui un regard étonné, sans doute blessé, parce qu’il m’a attirée à lui.
« Tu es à cran. Tu t’inquiètes pour Attila, et c’est normal. Vous avez besoin de passer du temps ensemble, et je le comprends. Mais là, tu es à deux doigts de me reprocher de t’étouffer. Et ça, je ne peux pas l’entendre, Louise, c’est au-dessus de mes forces. Je préfère te laisser un peu d’espace, de temps, pour que tu me reviennes quand ça ira mieux. Tu comprends ? Je ne te repousse pas, je ne veux pas qu’on se sépare. Je te laisse t’occuper de ton chien. Mais je suis là, de l’autre côté du mur. Et si tu as besoin de quoi que ce soit, cette nuit, demain, n’importe quand, je serai là. Je t’attends. »
J’ai hoché la tête en me mordillant les lèvres, les yeux fermés. Mais je l’ai retenu par la nuque quand il a commencé à s’écarter : « Embrasse-moi, Paul. »
Ses lèvres se sont posées sur les miennes, sa langue a forcé la barrière de mes dents pour aller à la rencontre de la mienne, la caresser. J’ai senti deux larmes rouler sur mes joues, que Paul a essuyées de ses pouces.
« Je t’aime. » a-t-il dit en me regardant dans les yeux ; puis il est parti.
J’ai poussé le verrou derrière lui, et je suis retournée aux côtés de mon chien. Je me suis assise près de lui, il s’est trainé un peu pour se coller contre moi, et je l’ai caressé sans cesser de lui parler. Au bout d’un long moment, il s’est endormi et je me suis levée sans le réveiller. Je suis allée me coucher moi aussi ; il n’était pas très tard, mais j’étais vidée par cette journée passée à m’inquiéter pour Attila.
Réveillée en pleine nuit, j’ai écouté les bruits de la rue, le ronronnement du frigo, et guetté la respiration de mon chien, là-bas dans son coin habituel, mais j’ai eu du mal à la localiser. A la lumière de mon portable, j’ai exploré la pièce, pour le trouver au pied de mon lit, sur sa couverture. Réveillé lui aussi, il me regardait.
« Salut mon loup. Comment tu vas ? »
Je le caressai un moment.
« Et puis merde ! Allez, monte. Viens ! »
Je l’encourageai à me rejoindre sur mon lit. Il n’en croyait pas ses oreilles, c’était interdit et il le savait bien. Pourtant, une fois qu’il a été couché sur ma couette, mon bras passé autour de lui et mes doigts noyés dans son poil doux et chaud, une fois que j’ai commencé à fredonner cette berceuse créole qui me venait de ma mère, il s’est détendu d’un coup en poussant un grand soupir.
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