Chapitre 41
Fin février 2016
Le lendemain, au moment où nous chaussions nos skis en bas des pistes, je ne regrettais pas d’être là. Nous étions tous réunis, plus quelques pièces rapportées : Paul, Hugo, Céline la copine de Martin, et celle d’Alexandre : Nora. Il avait fallu trois voitures pour tous nous acheminer jusqu’au Mont Dore.
La première descente, on y est allés cool, histoire de se remettre en jambes – certains, dont je faisais partie, n’avaient pas skié depuis plus d’un an. Mais c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas, et j’ai vite retrouvé mon assurance.
Paul, lui, était moyennement à l’aise, et on a fini par se séparer en deux groupes : les débutants (ou les prudents) qui se faisaient plaisir sur les pistes vertes, et les autres qui voulaient s’éclater sur des pistes plus difficiles. J’étais embêtée de l’abandonner, mais Paul m’a encouragée à suivre les gars : « Vas-y, tu en as envie, je le vois bien. Tu vas t’ennuyer, si tu restes avec moi.
_ Mais on est venus pour passer la journée ensemble !
_ On est venus pour se faire plaisir. Et tu as besoin de te défouler.
_ Bon. Mais embrasse-moi, alors, avant de partir. »
J’ai plongé dans ses yeux bicolores, qu’il a fermés doucement quand nos lèvres se sont rejointes. J’ai fait abstraction des autres autour de nous.
Ensuite, il a rejoint Alex, Nora et Céline, pendant que je suivais le reste du groupe qui partait vers des pistes plus techniques. Sur le télésiège, je me suis retrouvée avec Clément.
« Ça va, princesse ? »
Sa voix basse m’a remué les entrailles, et j’ai souri en acquiesçant de la tête. Il savait bien que ce n’était pas la grande forme, mais je tenais le choc.
« Tiens, tant qu’on est seuls… » dit-il en me donnant une enveloppe cachetée. « Tu mettras ça avec les affaires d’Attila, d’accord ?
_ Qu’est-ce que c’est ?
_ Ne l’ouvre pas. Pas maintenant. Un jour, quand tu seras prête… »
J’ai promis, et je l’ai rangée dans mon sac à dos, bien précieusement avec mon portefeuille. Puis, comme on arrivait au sommet, j’ai remis mes moufles, repris mes bâtons, et on s’est préparés à descendre du télésiège.
J’ai vraiment passé une bonne journée, j’ai fait la course avec Virgile, des paris débiles avec Gauthier qui me défiait pour sauter à chaque fois qu’on voyait une bosse, je me suis vidé la tête, vraiment, et Paul m’a dit à midi quand on s’est tous retrouvés pour manger nos sandwiches ensemble :
« Tu as bonne mine, ça fait plaisir à voir. »
L’après-midi s’est passé comme le matin, trop vite. Je faisais la folle, et Nicolas a parfois dû me calmer pour m’éviter de commettre des imprudences. Gauthier, quant à lui, faisait de même avec Hugo. Je les ai rejoints à un moment, Hugo était assis dans la neige au bord de la piste, il venait manifestement de se ramasser dans la poudreuse, et Gauthier près de lui avait déchaussé son snowboard.
« Ça va ? » me suis-je inquiété.
« Pour le moment, oui. Mais Hugo, il ne faut pas que tu forces sur ta jambe. Tu joues avec le feu, là… »
Son regard, le ton de sa voix, m’ont fait sourire : il était attendrissant à prendre soin d’Hugo et à s’inquiéter pour lui. Je retrouvais le Gauthier attentionné d’il y a quelques années, mais cette fois ce n’était plus moi l’objet de son inquiétude, et c’était très bien comme ça. Je les ai laissés seuls, et en partant je les ai vus échanger un baiser furtif, avant de se lever. Par la suite, ils n’ont plus cherché à relever mes défis, et j’ai dû me rabattre sur mon frère. Ça m’a valu une chute mémorable, avec perte de ski et glissade tête la première sur quelques mètres, et Virgile s’est fait copieusement engueuler par Nicolas :
« Tu seras content quand vous serez tous les deux à l’hôpital ? Bon sang, Virgile, tu as trente-et-un ans, plus vingt ! Je te rappelle que tu as une femme et un gosse, aussi. »
Virgile et moi, on faisait le gros dos en attendant que ça passe. Nicolas avait toujours été le plus raisonnable d’entre nous, le plus posé. Virgile était plus impulsif, souvent à agir avant de réfléchir. Mais contrairement à d’habitude, Nico ne s’est pas calmé seul, et j’ai dû lui suggérer d’enterrer la hache de guerre. Il a bougonné un peu, je lui ai fait un gentil sourire et un bisou, et il a soupiré, puis on a rejoint les autres en bas des pistes.
Ceux qui avaient loué leur matériel sont allés le rendre, et on a décidé de boire un verre avant de repartir. Attablés à la terrasse d’un café, on a discuté encore un moment. Nicolas était étrangement silencieux, il ruminait quelque chose, je le sentais à son air sombre, il n’était pas vraiment avec nous. Et d’un coup, il m’a demandé : « Au fait, en parlant d’enterrer la hache de guerre, Moustique, il s’est passé quoi, ce soir-là, Virgile n’a jamais voulu me le dire ?
_ Quel soir ?
_ N’essaie pas de noyer le poisson, Louise. Tu vois très bien de quoi je parle ; il y a bientôt huit ans, le soir de mon anniversaire. »
En effet, je voyais très bien : c’était le jour où je m’étais réconciliée avec Virgile, après des semaines passées à le battre froid, juste après mon retour parmi eux… Le jour où on avait enterré la hache de guerre…
Virgile me regardait, « je te l’interdis ! » hurlaient ses yeux, et Nicolas me pressait de répondre. Les autres s’étaient tus, et nous regardaient avec curiosité. Virgile a fini par lâcher : « Je lui ai fait un plaquage. Comme au rugby. »
Je m’en rappelais comme si c’était la veille : j’avais quitté l’appartement, en colère pour une bêtise quelconque, et Virgile était parti à ma recherche. Comme je tentais de lui échapper, il m’avait en effet plaquée dans l’herbe, m’écrasant de tout son poids, et il avait attendu que je cesse de me débattre, pour qu’on puisse parler.
« Non mais t’es complètement malade ! » Le cri de Nico me ramena au présent. Il est vrai qu’entre la présence menaçante d’Attila à mes côtés, et le fait que je fuyais à l’époque tout contact physique, la manœuvre avait tout d’une opération-suicide. Pourtant, elle nous avait permis de parler à cœur ouvert. Virgile m’avait fait promettre le secret absolu, et je comprenais à présent pourquoi. Il se faisait toujours sermonner par Nicolas, qui frôlait l’hystérie.
« Hey Nico, respire. Y’a prescription, depuis le temps, tu ne crois pas ? » l’a mouché Clément de sa voix calme. Mon frère s’est tu, nous a regardés l’un après l’autre, et a balancé quelques pièces sur la table pour payer son café avant de quitter le bar. Un silence un peu gêné planait autour de la table.
« Bon… je crois que je vais squatter une autre voiture, moi, pour le retour… » ai-je dit en roulant des yeux. Les autres ont ri, et après avoir cherché dans nos poches la monnaie nécessaire pour régler l’addition, on est sortis. Je suis tout de même rentrée avec mes frères et Paul, comme à l’aller : les voitures étaient réparties logiquement, en fonction de nos quartiers respectifs. C’était plus simple comme ça, on n’allait pas obliger un autre conducteur à traverser la ville pour nous déposer…
En rentrant nous avons pris une douche, mangé, puis je suis montée sur une chaise pour glisser dans le carton d’Attila, tout en haut du placard de l’entrée, un dessin de Guillaume que Paul m’avait transmis : son frère avait dessiné Attila, un loup beige avec un gros collier marron, touchant de naïveté avec ses énormes crocs, il avait une gueule immense, comme un crocodile ! Ainsi que l’enveloppe de Clément – je n’avais pas pu m’empêcher de l’ouvrir : elle contenait l’impression d’une carte et des coordonnées GPS. L’endroit où nous nous étions rendus ensemble quelques jours plus tôt.
Je lui ai envoyé un SMS.
-Je n’ai pas pu m’empêcher de regarder… Merci d’y avoir pensé. Louise.
Et Paul a fait la tête.
« Sérieux, Louise, j’en ai marre de tous ces mecs qui te tournent autour.
_ Hein ?
_ Tes frangins, Gauthier, Clément… Ça n’arrête pas !
_ Oh, tu ne vas pas être jaloux de mes frères, tout de même ?
_ Non. » a-t-il admis, de mauvaise grâce.
« Bon, alors ? Je croyais que tu aimais bien Gauthier ? Et je pensais que tu avais compris qu’il n’y a plus que de l’amitié, entre lui et moi.
_ Ouais, ouais, je sais, ton premier amour, bla, bla… Et Clément, c’est quoi son excuse, à lui ? Clément le chevalier blanc, qui te défend quand tes frères exagèrent, qui accourt dès que tu le siffles…
_ Oh, tu te calmes, Paul ? Tu me fais quoi, là ? »
Et comme son regard étincelait toujours de colère, je l’ai éjecté de mon lit.
« Tu vas rentrer chez toi, et arrêter de délirer. Non, mais t’es complètement parano, ma parole… »
Je l’ai regardé se lever, ramasser ses habits, les enfiler, et disparaitre dans l’entrée. Aussitôt, la porte a claqué, et cinq secondes plus tard je l’ai entendu rentrer chez lui. Je me suis retournée dans mon lit, j’ai mis mon oreiller sur ma tête, et soupiré : il ne me gâcherait pas ma nuit, après la bonne journée que je venais de passer.
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