Chapitre 4

9 minutes de lecture

Août 2016

Au mois d’août, pour notre traditionnelle randonnée d’une semaine, nous n’étions pas aussi nombreux que d’habitude : Virgile était resté avec Julia, épuisée par sa nouvelle grossesse, pour s’occuper du petit Corentin qui à dix mois commençait à trotter partout. Et Martin n’avait pas eu ses congés aux bonnes dates. Je partageais donc la tente de Nicolas, Clément celle d’Alexandre ; Gauthier et Hugo avaient la leur.

Je me sentais un peu bizarre, un an plus tôt je faisais tout pour attirer le regard de Paul. Et Attila était là. J’étais un peu mélancolique. Mon chien me manquait.

Ce matin-là, je me suis réveillée troublée, dans le dortoir du refuge où nous nous étions arrêtés pour la nuit. J’ai cherché un rayon de soleil qui aurait percé à travers une fente des volets, mais l’obscurité était totale. J’ai écouté un moment la respiration paisible de mes compagnons de chambrée, l’un d’eux ronflait légèrement. En définitive, je me suis habillée et levée. J’ai quitté sans bruit le dortoir, traversé la salle commune, et je suis sortie dans la nuit, pour aller respirer dehors.

« Louise ? Est-ce que ça va ? »

Pas besoin de me retourner, j’ai reconnu la voix grave de Clément. Il est venu, à la lueur de sa lampe, s’asseoir à côté de moi sur le muret qui entourait le chalet, puis il a éteint la lumière.

« Tu n’arrives pas à dormir ?

_ Ça a recommencé, Clément.

_ Quoi donc ?

_ Ce rêve bizarre, ça a recommencé !

_ Oh ! » Il ne savait plus quoi dire, du coup.

« Merde, mais qu’est-ce qui ne va pas, chez moi ? Je deviens complètement tarée !

_ N’importe quoi… Princesse, tu as dormi dans une chambre pleine de mecs, une pièce bourrée de testostérone ! »

Je souris dans le noir, secouant la tête. « Non, Clément. J’ai pas rêvé de n’importe quel gars. C’était toi…

_ Hmm… et, qu’est-ce qu’on faisait ? »

Je le fis taire d’une tape sur le bras : « Arrête, j’ai honte, j’oserai plus jamais te regarder en face après ça !

_ Y’a pas de raison.

_ Ça ne te fait pas bizarre ?

_ J’en sais rien, Louise… Tu en fais tout un plat mais c’est juste un rêve, non ? Il n’a que l’importance que tu lui donnes. Si tu penses que c’est une catastrophe, alors il y a de quoi foutre en l’air notre amitié. Mais si tu prends juste ça comme un rêve, certes un peu bizarre, alors… on peut juste en rire, tu ne crois pas ? »

Je soupirai, incapable de répondre mais un peu apaisée par son flegme.

« Mais les rêves, on dit que c’est l’inconscient qui s’exprime, non ?

_ Alors à toi de savoir si tu veux écouter ton inconscient, ou pas. » me dit-il.

Je ne répondis pas, mais mon cerveau, lui, fonctionnait à 100 à l’heure : qu’entendait-il par-là ? Est-ce qu’il était en train de me dire qu’il n’était pas fermé à l’idée qu’il se passe quelque chose entre nous ? Et moi, qu’est-ce que cette idée faisait naitre en moi ?

On est restés là, à regarder les étoiles en silence jusqu’à ce qu’elles disparaissent dans le ciel. Puis on a vu le soleil se lever derrière les montagnes.

« C’est magnifique… » a murmuré Clément, et j’ai regretté d’avoir laissé mon appareil photo dans mon sac à dos, dans le dortoir…

J’ai quitté le paysage des yeux pour regarder mon voisin, captivé par le spectacle que nous offrait la nature. Et quand il a tourné la tête à son tour, on s’est retrouvés nez à nez, les yeux dans les yeux. Je me sentais comme… hypnotisée. Du mal à déglutir. Lorsque nos lèvres se sont frôlées, que j’ai senti le souffle de Clément sur ma peau, j’ai fait un bond en arrière. Il m’a rattrapée.

« Louise, attends ! Attends, ne pars pas. »

Je m’arrêtai, Clément me tenait par les bras, penché sur moi. Il me regardait avec attention, cherchant à plonger dans mes yeux.

« S’il te plait. Ecoute ton cœur…

_ Mon cœur, il me fait faire n’importe quoi, ces derniers temps !

_ OK. OK… Attends. » Ses mains avaient glissé petit à petit le long de mes bras, jusqu’à mes poignets, qu’il ne serrait pas vraiment.

« Princesse, je suis en vacances jusque fin août. Si tu peux, si tu veux, voilà ce que je te propose : on part tous les deux et on marche. Après cette semaine, à vue de nez ça nous laisse quinze jours. Rien que nous deux, sans tes frères. Le temps de parler, de… Je sais pas.

_ D’accord.

_ D’accord ?

_ Ouais. Je suis partante. Tu t’occupes de l’itinéraire ?

_ Nan. Je te propose carrément autre chose, cette fois. Partir à l’aventure, sans faire de projet, sans rien prévoir.

_ T’es dingue. ON est dingues !

_ Je sais. » Son sourire acheva de me convaincre.

Mon frère, en se levant, nous trouva assis l’un près de l’autre devant le refuge. Le bras de Clément était passé autour de mes épaules, on ne parlait pas. Le soir, sous notre tente, Nicolas m’a cuisinée :

« Alors, Lou, qu’est-ce qu’il se passe avec Clément ?

_ Je sais pas, Nico. Rien. On verra.

_ Allez, Moustique…

_ Nico, stop. Je ne te demande pas ce que tu mijotes avec Virgile depuis des mois. Alors tu me fous la paix, please. Je suis une grande fille, vu ? »

Mon frère m’a dit : « Avec Virgile, on a beaucoup parlé d’avenir, de nos projets, on a parlé de leur envie d’avoir un deuxième bébé. Et de moi aussi. J’en ai marre d’être toujours sur les routes, de ne pas pouvoir me fixer. Je cherche un autre job, mais tant que je n’ai pas mieux je ne veux pas lâcher celui-là…

_ C’est bien essayé, mais ce n’est pas pour ça que je vais parler. »

Il croyait avoir affaire à une débutante, ou quoi ? La manœuvre était bien trop évidente…

On a terminé notre randonnée tranquillement, rien à signaler. Une bonne rando, pas d’orage ni d’accident. Cette fois on s’était organisés de façon à faire une boucle et à revenir à notre point de départ. Nos deux voitures nous y attendaient, et je suis montée dans celle de Gauthier, avec Hugo. Nico, Clément et Alex nous suivaient.

« Alors ma Louloute, tout se passe bien, avec Clément ? » attaqua mon ex dès qu’Hugo fut assoupi sur la banquette arrière – il n’avait pas voulu s’installer devant, me laissant la place.

« Mêle-toi de tes fesses, Gauthier. » lui rétorquai-je dans un grand sourire.

« Oh, elles vont bien, merci de t’en préoccuper.

_ Tant mieux, alors. Mais ne compte pas sur moi pour les potins. Il n’y a rien à dire pour le moment.

_ Pour le moment, hein ?

_ Chéri, arrête d’embêter Louise. » intervint Hugo à ce moment-là. « Et laisse-moi dormir, s’il te plait. » Je les écoutai se chamailler gentiment, surveillant du coin de l’œil la carte et les panneaux indicateurs.

On est arrivés à Clermont-Ferrand en fin d’après-midi, et j’ai commencé par lancer une machine à laver avant de me doucher. J’ai fait quelques courses rapides pour avoir de quoi manger le lendemain, puis je suis allée retrouver mes frères chez Virgile et Julia. Corentin se jeta dans mes jambes en me voyant arriver. Je le pris dans mes bras pour l’embrasser, et il refusa de descendre. Il ne parlait pas encore, mais ce mot-là, « non », il le connaissait bien ! Je m’installai dans le canapé, avec le petit sur mes genoux, pour jouer avec lui. Il n’a pas voulu me quitter, alors je lui ai donné sa purée pommes de terre-carottes et sa compote de pommes, puis Vigile l’a emmené pour le coucher, et nous sommes passés à table, nous les adultes. Ce que ça me faisait bizarre, de me compter dans les adultes !

Après le repas, j’ai prévenu mes frères de mon départ imminent pour une nouvelle randonnée.

Virgile bondit : « Comment ça, toute seule avec Clément ?

_ Et sans itinéraire prévu d’avance, en plus ? » renchérit Nicolas.

« Mais il se passe quoi, avec Clément ? Vous sortez ensemble ? » Virgile semblait bloqué là-dessus.

« Pour le moment il ne se passe rien. On est potes, c’est tout.

_ Mais t’aimerais que ça change ? » insista Nico.

« Mais on s’en fout, de ça ! Arrêtez un peu, tous les deux. Je pars randonner avec Clément, c’est tout ce que vous avez à savoir ! N’essayez même pas de m’en empêcher, je vous préviens.

« N’importe quoi, Bouchon… » soupira Virgile en levant les yeux au ciel. « On ne va pas t’empêcher de vivre : on ne l’a jamais fait, c’est pas pour commencer maintenant. C’est juste qu’on aimerait comprendre ce qu’il se passe, tu ne nous dis rien… Nous mets pas à l’écart de ta vie, Louison, nous fais pas ça… » supplia mon frère.

J’entourai sa taille de mes bras pour lui faire un câlin : « C’était pas mon intention, Virgile, je te promets. »

Il n’avait jamais encaissé notre séparation forcée, et encore moins le fait que je lui en aie voulu, à l’époque de nos retrouvailles. Si l’incompréhension était passée depuis longtemps, si nous avions retrouvé notre complicité, il portait toujours en lui une certaine fragilité à ce sujet. Bien plus que Nicolas, il s’était montré réticent lorsque j’avais émis le souhait de partir faire mes études à Lyon. Je ne pouvais pas rester à Clermont-Ferrand si je voulais suivre ma voie, qu’aurais-je dû faire ? changer d’orientation, pour rester à la maison ? Nico l’avait ramené à la raison et m’avait encouragée à prendre mon envol, mais chaque semaine Virgile avait compté les jours avant mon retour. Et là… il me sembla que c’était un peu le même schéma.

Je finis par appeler Clément pour qu’il vienne me soutenir. En arrivant il m’a dit : « Il y a un problème ?

_ Deux problèmes. Avec un instinct protecteur un peu trop développé à mon goût. » ai-je grincé en fusillant mes frères du regard.

« Les gars, c’est quoi le malaise ? On se connait depuis quinze ans, Virgile, et Louise est majeure et vaccinée.

_ Il se passe quoi, entre vous ?

_ C’est justement pour en parler et mettre ça au clair qu’on a envie de partir, mec.

_ De toute façon » suis-je intervenue « On ne vous demande pas votre avis, et encore moins votre permission. Je vous informe que je repars après-demain avec Clément. Vous n’avez rien à dire. »

Clément a temporisé un peu les choses.

« Allez, vous savez bien que je ne prends pas de risques inconsidérés… Et si ça peut vous rassurer, on vous appellera tous les soirs.

_ Merci bien, tu pourrais me demander mon avis !

_ Tous les soirs, Bouchon. » a exigé Virgile.

« Un soir toi, un soir Nico. Vous ferez passer les nouvelles. » ai-je négocié. Ils ont finalement capitulé, mais je sentais bien qu’ils n’étaient pas sereins à l’idée de me laisser partir sans eux. Il était déjà tard, et Clément a proposé de me raccompagner. Au moment de quitter l’appartement, comme Nico lui disait « Bon courage mon pote, tu sais pas dans quoi tu t’engages… » j’ai entendu Clément rétorquer : « Ta sœur, elle a des couilles. Et j’aime ça. »

Ça m’a fait rire, et je l’ai pris comme un compliment, je pense que c’en était un…

Clément m’a déposée devant chez moi, et on a convenu de se voir le lendemain pour mettre au point les détails de notre échappée sauvage.

Il est donc revenu en fin de matinée. J’avais dressé une liste de choses à emporter, et on a réparti les charges. Il prenait sa tente, je me chargeais de la pharmacie et du nécessaire de cuisine, etc… Avant de partir, sa liste pliée dans la poche arrière de son jean coupé en bermuda, Clément m’a regardée :

« Au fait… j’ai envie d’instaurer une règle, pour cette semaine…

_ Une règle ?

_ Quoi qu’on décide, quoi qu’il arrive… Rien de sexuel avant notre retour, d’accord ? »

J’ai accepté, un peu étonnée qu’il pense déjà au sexe alors qu’on ne savait même pas si on avait envie de sortir ensemble… Et puis je me suis dit qu’il voulait certainement me rassurer, me faire savoir qu’il ne me mettait pas la pression, surtout après cette histoire de rêves érotiques…

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