Chapitre 32

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Le lendemain matin, réveillés par Lenka qui demandait à sortir, nous avons émergé avec difficulté. Clément m’a laissée promener la chienne pendant qu’il allait acheter du pain. En fin de matinée, il prit ses clés de voiture et mit dans un sac une bouteille d’eau et les deux sandwichs qu’il avait ramenés de la boulangerie : « Allez, ma belle, on va se promener !

_ Hein ? Mais non, attends, je ne suis pas habillée pour marcher ! »

Je portais toujours ma robe de la veille, avec des sandalettes, rien qui soit adapté à une promenade, même tranquille. Heureusement que j’avais toujours une culotte et une brosse à dents dans mon sac à dos !

« Tu n’avais qu’à laisser des fringues ici, comme je te l’ai proposé cent fois… » répliqua Clément, un sourire taquin au coin des lèvres, avant de me pousser hors de son studio : « Allez, fais-moi confiance… »

Je montai en voiture, pris Lenka sur mes genoux pour la faire tenir tranquille, et Clément se mit au volant. Je ne posai pas de questions, j’avais reconnu son air mystérieux, celui qu’il prenait pour me faire une surprise, et je ne voulais pas gâcher son plaisir. Je me laissai donc conduire, regardant avec curiosité le paysage défiler par la vitre. Je connaissais bien la région, et je reconnaissais la route qu’il empruntait. A vol d’oiseau, on ne devait pas être très loin de chez mon père.

Clément s’arrêta enfin dans un chemin, le long d’une haie. Sans poser de question, je lui tendis Lenka et sa laisse, puis sortis de la voiture avec mon sac à dos. Il prit ma main, et proposa de marcher un peu. On s’est promenés dans le sous-bois, c’était agréable, il n’y avait que le bruit de nos pas et de la course de Lenka qui sautait dans tous les sens au bout de sa laisse. Avisant deux souches toutes proches, Clément suggéra de s’y asseoir pour manger, et nous avons sorti nos sandwichs. Poulet au curry pour lui, œuf dur et crudités pour moi. Je souris en voyant la garniture du mien : il prenait toujours soin de me choisir des sandwichs sans viande, dans la mesure du possible.

Lorsqu’on regagna la voiture, au lieu de déverrouiller les portières il m’a entrainée un peu plus loin, vers une barrière en bois qu’il a poussée.

Hé, on n’allait tout de même pas pénétrer dans une propriété privée ?

« Viens, ma belle ! » Il m’appelait, quelques mètres devant moi, alors que j’étais figée sur le chemin. Il dut venir me chercher, me tirer par la main en promettant que tout allait bien. Je ne comprenais rien… qu’est-ce qu’il avait encore inventé ?

Nous avons suivi un chemin de terre et d’herbe, assez large pour laisser passer une voiture, un peu encaissé entre deux talus boisés. Puis le talus s’est effacé d’un côté, découvrant une étendue d’herbe haute, un peu grillée, et tout autour il y avait la forêt. Le chemin a subitement tourné, et nous sommes arrivés devant un chalet en bois, construit sur une sorte de butte. Avec des murs faits de rondins, des troncs entiers, immenses. Un magnifique chalet canadien.

Lenka, au bout de sa laisse, sautait partout, suivait mille pistes, pourchassait les abeilles et les papillons. Clément me regardait, et moi… moi, j’étais bouche-bée devant la maison.

« Tu veux visiter ? » me proposa-t-il en sortant de sa poche un trousseau de clés. J’acceptai d’un hochement de tête, me laissant porter par le courant : il m’expliquerait bien, à un moment ou à un autre, ce qu’il avait en tête…

Je le suivis sous le chalet, dans un espace qui servait de stockage pour le bois, et de garage sans doute. Au fond, une pièce fermée à clé, qu’il ouvrit. C’était une sorte de buanderie, avec une vieille machine à laver le linge, un immense évier, des placards et des étagères, et un escalier qui montait au rez-de-chaussée.

Clément m’avait laissée passer devant lui, je me doutais qu’il se rinçait l’œil, je devais avoir les fesses pile sous son nez, à la bonne hauteur… J’ai débouché dans une pièce immense, à la fois cuisine et séjour. A gauche de l’escalier, une pièce plus petite, chambre ou bureau. A droite, la salle de bain et les toilettes. L’escalier montait encore, mais je suis restée là, à regarder les meubles recouverts de draps poussiéreux. Un canapé, des fauteuils vue la forme, un autre truc presque au centre de la pièce, avec un tuyau qui montait vers le plafond… Suivant mon regard, Clément souleva le drap pour dévoiler un poêle à bois, en fonte gris anthracite. Une armoire, un buffet, et une immense table de ferme avec des chaises dépareillées. La cuisine, grande et confortable, bien éclairée par la fenêtre au-dessus de l’évier. Les murs, le sol, le plafond, tout était en bois naturel.

« Tu veux voir l’étage ? »

Cette fois il me précéda dans l’escalier, jusqu’au niveau supérieur qui était une unique pièce, immense et pas vraiment aménagée. Il y avait juste un lit, un placard Ikea, une table et une chaise, et là aussi beaucoup de poussière. Mais les baies vitrées offraient une lumière magnifique, et j’en fis la remarque tout haut.

« Ça te plait, princesse ?

_ Oui, mais…

_ Tu imagines, vivre ici ? On pourrait faire des cloisons, là ton atelier, dans ce coin un dressing, ici la chambre… »

Tout en parlant, il désignait les espaces. Il était enthousiaste. Et je dois avouer que ça paraissait cool, ce qu’il proposait… Ça donnait envie.

Clément me prit par la main, m’entraina au rez-de-chaussée, jusque devant la baie vitrée qui donnait sur une petite terrasse, et sur le jardin.

Je le sentais, dans mon dos, sans doute un peu fébrile.

« C’était la maison de mon oncle.

_ Oh… » C’est tout ce que je trouvai à dire.

« Après le décès de ma mère, j’ai vécu ici. Du moins, quand je n’étais pas à l’internat… J’ai pas pu me résoudre à la vendre, quand j’étais en Normandie et que l’oncle est mort à son tour. C’est ma maison, et je l’aime.

_ C’est magnifique. Elle est magnifique…

_ Pour le moment, la maison est crade et le jardin à l’abandon. Mais, oui…

_ Moi, je peux travailler n’importe où, mais toi, la route… en hiver, avec la neige… »

Je ne voulais pas casser ses rêves, mais ça paraissait un peu compliqué tout de même.

« Justement. Y’a un collège au village. Quatre kilomètres en prenant le chemin, là. Je demandais ma mutation tous les ans, en vain. Et là, je l’ai obtenue pour la rentrée prochaine… »

Ça me rappelait vaguement quelque chose, cette histoire de mutation… mais je me raisonnai : Clément ne voulait pas me séparer de mes frères, ni partir à l’autre bout de la France. Il m’offrait seulement de vivre à la campagne.

« Louise… »

Je relevai la tête et croisai son regard inquiet. Je me rendis compte que mon silence avait pu être mal interprété.

« Oui !

_ Oui ?

_ J’adore déjà cette maison ! » m’écriai-je en lui sautant au cou. Il me réceptionna, les mains sous mes fesses, et on ne peut pas dire qu’il n’en a pas profité…

Je nouai mes jambes derrière ses reins, mes mains derrière son cou, et l’embrassai. Les yeux fermés, je dévorais sa bouche et ne m’inquiétai pas lorsque je le sentis bouger. Il se déplaça dans la pièce, et m’assit sur un meuble.

Après vérification, il s’agissait du comptoir de la cuisine. Debout devant moi, Clément continua de m’embrasser, et ses mains désormais libérées se faufilèrent sous ma robe. Il m’ôta ma culotte pour me caresser plus facilement, et je le débarrassai de son T-shirt, qui vola sur le plancher poussiéreux.

On a fait l’amour, là, sur ce comptoir sale, dans cette maison aux meubles fantômes, qui sentait le bois chaud et la poussière.

Dans la voiture, sur le chemin du retour, on a continué à échafauder des plans. Clément allait rendre son studio, et moi je mettrais mon appartement en location. Ou je le laisserais à Nico et Meaza. On aurait besoin de mettre un bon coup de propre au chalet, et Clément allait appeler un menuisier pour voir les aménagements possibles dans le grenier.

On avait des projets plein la tête, c’était grisant, et notre enthousiasme n’a pas échappé à mon frère lorsqu’on en a parlé. Il était plutôt content à l’idée de garder mon appartement dans un premier temps. Il n’avait pas très envie de perdre du temps à chercher un logement à lui dans l’immédiat, trop heureux d’être enfin avec Meaza…

Clément a dîné avec nous avant de rentrer chez lui : il travaillait le lendemain.

J’ai passé la nuit dans le bureau, enroulée dans mon duvet de randonnée, à imaginer ce que serait ma vie avec lui. L’enthousiasme était toujours là, mais à côté naissait un sentiment de panique, qui se faisait doucement sa place en moi. Avais-je vraiment bien fait d’accepter, alors que quelques semaines avant je refusais catégoriquement l’idée même de vivre avec Clément ? Que se passerait-il une fois emménagés ? Et si on ne s’entendait pas, qu’on ne se supportait pas ?

Les questions tournaient en boucle dans ma tête, et voir Nico filer le parfait amour avec sa chérie ne m’aidait pas plus que ça. Si bien que le lendemain matin, j’ai fini par prendre mon sac et mes clés, en annonçant que j’allais passer un jour ou deux chez Papa.

« T’es sûre que ça va, Moustique ? » s’est assuré mon frère, un peu soupçonneux. « Tu as horreur d’aller là-bas, depuis que Mathie n’est plus là… Surtout pour y dormir ! »

C’est vrai que depuis le décès de ma grand-mère, j’évitais autant que je pouvais la maison où elle avait vécu, et dans laquelle mon père n’avait fait aucune transformation…

« Mais oui, ça va ! J’ai envie de voir Papa, c’est tout… »

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