Trois ans plus tard – été 2021

« Tatie ! Tonton ? »

Corentin s’impatientait. Il aurait six ans à la rentrée, il était l’ainé et ne manquait pas de le faire remarquer. Mais ça ne l’empêchait pas d’être un gros trouillard quand il se trouvait seul en présence des chiens. Sa mère l’avait contaminé ! Lucile, quatre ans et demi, achevait de lacer ses chaussures avec l’aide de Clément. Quant à moi, je scratchais les baskets de Sophie, qui avait fêté ses trois ans quatre mois plus tôt.

« Alors, vous êtes prêts ?

_ On arrive, Coco ! » répondit Sophie.

Les enfants ne tenaient plus : après des mois d’attente, c’était enfin le grand jour ! On leur avait promis de les emmener en randonnée. Une vraie, avec un bivouac et tout. Il avait simplement fallu attendre les grandes vacances, le beau temps, et convaincre les parents. Surtout ceux de Corentin et Lucile. Virgile n’avait pas été le plus dur à décider, mais Julia était vraiment collante avec ses enfants. A croire qu’ils étaient en sucre !

Nicolas et Meaza avaient accepté du premier coup de nous confier leur fille unique. Et ça y était : chacun avait son sac à dos. Celui de Clément et le mien étaient bien pleins, on transportait deux tentes, les provisions, la pharmacie… Les enfants avaient chacun le leur, dans lequel ils transportaient leur K-way, un pull, une gourde pleine d’eau fraiche, leur pyjama pour la nuit (et leur doudou, mais chut ! secret défense).

Lorsque tout le monde fut chaussé, sac au dos, je sifflai les chiens et Sophie m’aida à attacher les laisses aux harnais, après quoi je lui confiai celle de Jagger. Clément attacha celle de Lenka à la ventrière de son sac à dos.

« En route ! »

A midi, on s’arrêta pour pique-niquer à l’ombre d’un arbre. Ça faisait deux heures qu’on marchait, et tout le monde était bien content de s’arrêter. Les enfants parce qu’ils étaient fatigués, même s’ils refusaient de l’avouer – des fois qu’on propose d’annuler la randonnée ! – et nous parce que c’était crevant, de marcher à allure réduite pour leurs petites pattes.

« Lucile, assieds-toi s’il te plait. Corentin, ne fais pas l’idiot avec tes chips ! Sophie, attention, ton sandwich est en train de s’ouvrir ! » Trop tard, le jambon avait glissé… directement dans l’estomac de Lenka. Ma nièce se mit à pleurer tout en disputant la chienne.

Clément envoya Lenka ‘au coin’, et Corentin partagea avec sa cousine sa tranche de jambon. Il était protecteur avec elle, bien plus qu’avec sa propre sœur. C’était très mignon de les voir jouer tous les trois.

Julia avait décidé, à l’entrée de Corentin à l’école, de prendre un temps partiel, et ne travaillait plus le mercredi. Tout naturellement, elle avait proposé à Nico et Meaza de garder Sophie ce jour-là, puisqu’eux travaillaient. Les trois enfants se voyaient donc souvent, ils étaient très complices, ce qui n’empêchait pas les disputes de temps en temps.

Après une petite sieste à l’ombre, on est repartis tranquillement, et nous sommes arrivés chez mon père en fin d’après-midi. C’est là qu’on dormirait. Julia avait mis son véto catégorique sur un bivouac en pleine nature. Après tout, ce que voulaient les enfants, c’était « faire comme papa » et dormir sous la tente, mais avoir une solution de repli en cas d’orage, une salle de bain et de vraies toilettes ne pourrait pas nuire !

Les petits se sont jetés sur leur grand-père et sur Marité qui était là aussi. Ils ne vivaient toujours pas ensemble, préférant leur indépendance pour mieux se retrouver.

On a monté les deux tentes qu’on avait transportées toute la journée, et papa nous a fourni des duvets et des couvertures pour faire les lits des enfants.

« Moi je dors avec Tatie !

_ Moi aussi !

_ Moi aussi !

_ Et moi, alors ? Je dors tout seul ? » a demandé Clément.

« Non, je dors avec toi !

_ Moi aussi ! »

Ils se sont chamaillés gentiment pendant un moment avant de décider qui dormirait où. Mais j’avais dans l’idée que ça n’était pas terminé…

Les enfants ont refusé de manger dans la maison comme le proposaient papa et Marité, et ont insisté pour qu’ils viennent diner avec nous, assis dans l’herbe du verger. « Sinon, ça n’est pas une vraie randonnée. » avait décrété Corentin. Il poussa le réalisme au point de refuser d’aller faire pipi aux toilettes, préférant arroser la haie. Moi, j’avoue avoir triché, et pris une bonne douche tiède après le repas, après avoir surveillé le brossage de dents des filles.

On a couché les enfants après un jeu tous ensemble, puis Clément et moi avons rejoint papa et Marité pour discuter sur la terrasse, assis dans de confortables fauteuils de jardin. Au bout de vingt minutes, on a vu arriver Sophie, pieds nus dans l’herbe, son doudou sous le bras :

« Tatie, Lucile elle pleure, je peux pas dormir moi ! »

Je l’accompagnai, pour trouver Lucile en larmes, et Corentin qui tentait maladroitement de la consoler en disant « Chut, si tu continues de pleurer on aura plus le droit de faire de la randonnée. »

Je l’envoyai se recoucher, et pris la petite dans mes bras, elle s’accrocha à mon cou en coinçant son doudou entre nous. « Ma maman me manque ! Et mon papa aussi !

_ Tu veux qu’on les appelle ?

_ Oui. »

J’extirpai mon portable de ma poche, et composai le numéro de Virgile. Tant pis pour les ondes, Julia était très vigilante là-dessus, mais pour une fois…

Après avoir entendu ses parents et échangé des bisous par téléphone, la Luciole de mon frère était tout à fait rassurée. Corentin en avait profité, bien qu’il tente de faire croire que c’était juste pour faire plaisir à ses parents.

« Et toi, Sophie, tu veux appeler tes parents ? » proposai-je.

« Ben non. » fit-elle en haussant les épaules. Sa réponse ne m’étonna pas. Bien que plus jeune, elle était très indépendante. Elle adorait ses parents, mais ne dédaignait pas un week-end sans eux. Nico et Meaza nous la confiaient de temps à autres, pour se ménager du temps pour eux, partir en amoureux…

Cette fois, ils en avaient profité pour aller passer quelques jours sur la côte atlantique. Nicolas travaillait toujours à la communauté d’agglomération, et Meaza avait suivi une formation d’aide-soignante, plus rapide et plus accessible que l’école d’infirmière qui était son premier projet. Elle travaillait depuis un an dans une maison de retraite, et aimait beaucoup son travail. Elle n’excluait pas la possibilité de reprendre un jour des études pour devenir infirmière, mais pour le moment elle ressentait le besoin de travailler. Reprendre ses études et obtenir son diplôme tout en élevant Sophie n’avait pas été de tout repos, mais elle était fière d’y être parvenue, avec notre aide à tous.

Je recouchai les enfants, et restai près d’eux quelques minutes, avant de rejoindre les adultes. Ils discutaient de mon « succès » et des différentes interventions en milieu scolaire et en médiathèques que j’avais effectuées au cours de l’année écoulée. Pas moins de quatre, dont un projet sur le long terme avec une classe de primaire.

« Et Gauthier, qu’est-ce qu’il devient ? » me demanda mon père au cours de la soirée.

« Oh, il est sur un petit nuage, Hugo et lui vont se marier, et ils parlent d’adopter. »

C’était un peu étrange de penser que mon ex allait se marier avec un homme, mais ils étaient heureux ensemble et j’étais heureuse pour eux. On se voyait fréquemment, chez eux ou chez nous, et on passait toujours de bons moments.

Tout à coup Lenka, couchée en boule sur les genoux de Clément, releva la tête en grognant sourdement, et Jagger sortit de sous la table pour filer vers le verger. Je le vis courser un chat qui passait le long de la haie et eut sans doute la peur de sa vie en voyant surgir mon gros chien noir. Puis il alla fureter du côté des tentes, en silence, et revint s’asseoir à mes pieds. Je lui flattai la tête. Il se montrait particulièrement attentif à Sophie, qui l’aimait beaucoup. Lucile et Corentin subissaient les réticences de Julia qui n’aimait guère plus Lenka et Jagger qu’elle n’avait apprécié Attila, et ils se montraient craintifs envers les animaux en général. Mais Sophie était très à l’aise, elle s’installait dans le panier des chiens, jouait avec eux sans brutalité mais sans peur. On surveillait de près Lenka, pas méchante mais toujours un peu vive, mais Jagger était une crème, patient et doux.

« Allez les jeunes, bonne nuit ! » Mon père et Marité disparurent dans la maison, fermèrent les volets.

Clément me regarda en souriant : « Ça va, ma belle ?

_ Hon, hon. » Je renversai la tête sur le dossier de mon fauteuil, tendis la main vers lui pour prendre la sienne. Il tira sur mon bras, je me levai pour m’installer sur ses genoux.

« C’est dommage qu’on n’ait pas une tente pour nous, j’avais bien envie de te faire gémir… » chuchota Clément avant de m’embrasser. Je glissai mes doigts dans ses cheveux longs tout en dégustant sa langue. Moi aussi, j’avais envie… Des années de vie commune n’avaient pas entamé notre désir mutuel, et ça n’était pas prêt d’arriver.

FIN