Chapitre 3

4 minutes de lecture

Extrait du journal intime de Marthe Jacquemin.

Dimanche 23 avril 1944.

Me voici à nouveau sur la route, nos hommes ont tous bon appétit, les ravitailler régulièrement est une nécessité... Diva m'accompagne, elle est nerveuse et colle à mes pas. Je suis encore sur la route et n'ai pas encore abordé le sentier lorsque qu'une patrouille motorisée surgit. La chienne rebrousse chemin et détale en direction de la ferme.

— Bonjour Mademoiselle Jacquemin, nous avons quelques questions à vous poser.

Je suis pétrifiée !

— Montez !

Je suis littéralement jetée à l’arrière d'une Traction arborant la tristement célèbre "Balkenkreuz"1. Peu à peu, je retrouve mon sang-froid et je réfléchis.

Ils m'ont probablement suivie et repérée, ou bien quelqu'un m'a dénoncée. Mes parents savent tout de mes activités. Ensemble, nous avons mis en place un alibi pour le cas où les choses tourneraient mal. Si je suis arrêtée par les Allemands, quelles que soient les questions qui me seront posées, je dois me cantonner à la version des faits convenue. J'observe, la boule au ventre, le ruban de bitume qui défile. Leur garnison est basée à Riez !

Nous y voici, l'auto pénètre dans la caserne...

On m’emmène, sous bonne garde, dans une salle située au fond d'un corridor étroit. Les deux hommes qui m'y attendent me proposent une chaise. L'un d'eux, en uniforme est assis derrière un bureau, l'autre est debout, il est vêtu d'un costume civil. C'est lui qui s'exprime le premier.

— Alors Mademoiselle, que faisiez-vous sur la route, portant un sac à dos bien lourd pour vos frêles épaules ? Il contient de quoi nourrir un régiment, ou pourquoi pas un maquis...

Sa question et l'insinuation qu'il a faite me déstabilisent, si bien que je ne réponds pas assez vite à sa question. Sa main s'abat sur ma joue avec une telle violence que je vacille et me retrouve au sol.

— Relevez-vous !

À moitié sonnée, j’éprouve de grandes difficultés à reprendre mes esprits. Je réussis tout de même à me rasseoir.

J'écoute mon bourreau faire les présentations.

— Le commandant de cette garnison, Herr Müller et moi-même, Capitaine Von Heinrich de la Waffen-SS, n'avons pas de temps à perdre. Répondez rapidement à nos questions, sinon nous devrons adopter à votre encontre des méthodes fort désagréables.

Étonnamment, sa gifle a provoqué en moi une sourde colère, elle m'a galvanisée. Je feins la peur pour lui faire croire que je suis sous son emprise et réponds en faisant mine de sangloter.

— Je me rendais à Moustier-Sainte-Marie, chez mon oncle et ma tante, ils ont six enfants. Pour eux, la vie est difficile... Nous sommes mieux lotis qu'eux, l'exploitation de la ferme des Oliviers nous permet de les aider, même si les temps sont durs pour nous aussi.

Le commandant, qui n'a pas encore pris la parole, me demande les noms et prénoms de chaque membre de la famille à laquelle je suis censée rendre visite. Puis, il décroche son téléphone et s'entretient en allemand avec son interlocuteur. Je l'écoute énumérer les noms que je viens de lui communiquer, il lui ordonne sans doute d'envoyer une patrouille pour vérifier mes dires. Il repose le combiné et me fixe.

— Nous devons effectuer quelques vérifications. Poursuivons : nous avons noté que vos déplacements étaient extrêmement réguliers, tous les quatre jours pour être précis ! Comment expliquez-vous cette périodicité quasi-immuable ? Et Pourquoi quittez-vous la route pour vous engager dans les sentiers ?

— Nos parents de Moustier manquent des quelques produits frais nécessaires à la bonne alimentation de leurs enfants. Qui dit frais, dit périssables, je suis donc obligée de renouveler mes déplacements et de le faire de manière ponctuelle. Quant au fait que je quitte la route au départ de la ferme, c'est pour emprunter un raccourci qui me fait gagner du temps. Marcher dans les collines est plus agréable, surtout quand ma chienne m'accompagne.

— Vous avez réponse à tout, un peu comme si vous aviez anticipé votre arrestation, je...

Il est coupé par la sonnerie du téléphone. Il décroche. Je l'entends vociférer en allemand. Mon sang se glace quand, au milieu d'une phrase, je reconnais les mots : maquis du Verdon. Subitement, il semble que ma présence les gêne, ils ont, semble-t-il, une affaire plus urgente à régler. Le commandant Müller m'ordonne sèchement de partir. Je ne me fais pas prier...

En quittant l'enceinte, tout en me montrant discrète, j'observe et j'écoute le remue-ménage autour de moi.

Les murs de la caserne résonnent d'un brouhaha inhabituel. Des ordres sont criés, on entend des piétinements de bottes auxquels se mêlent des vrombissements de moteurs. On dirait qu'une troupe s'apprête à partir précipitamment.

Et s'ils avaient identifié le camp d'Anselme et de ses hommes ?

Je dois à tout prix les prévenir ! Leur convoi est obligé de contourner la forêt et les champs. Les Allemands doivent emprunter des chemins carrossables permettant à leurs véhicules d'approcher au plus près de notre camp de base. Si je coupe par les bois, j'ai une chance d'avertir mes frères d'armes avant que les boches ne se pointent.

Me voici, courant comme une dératée à travers les bois. Mon cœur bat la chamade, mes muscles deviennent douloureux et ma poitrine est en feu, mais je dois sauver mes amis. Après trente minutes d'efforts intenses, j'arrive enfin. Je suis épuisée. Les deux sentinelles me reconnaissent et viennent vers moi...

Peu de temps après... J'ai tout raconté à Anselme, c'est un homme intelligent, il a décidé d'évacuer sur le champ.

Nous progressons silencieusement, en file indienne, chargés du strict nécessaire. Nous rejoignons notre nouveau lieu de vie et de combats. Quand on vit dans la clandestinité, il faut toujours avoir un plan B, notre déménagement était donc programmé et nous ne l'avons avancé que de quelques jours.

1) Balkenkreuz : type de croix utilisées comme emblèmes par les Allemand entre 1918 et 1945.



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