Entretiens

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Le nouveau patron m’a convoquée dans son bureau. Je ne l’ai encore jamais vu mais je sais déjà que je ne vais pas apprécier notre entrevue. Il me fait asseoir et m’explique pourquoi je suis là : les enfants de mes cours d’équitation ont des comportements dangereux. Je rectifie : il s’agit d’un seul groupe, celui des ados, et, s’ils chahutaient, ils ne s’étaient pas montrés dangereux avant l’accident de jeudi dernier. L’un d’eux, poussé par un autre, est tombé de cheval et s’est fait une entorse à la cheville. C’est de ma faute : j’aurais dû l’en empêcher. Comment ? Ça, je ne sais pas…

Je l’assure que ça ne se reproduira pas, que je redoublerai de vigilance et réaffirmerai mon autorité. « Quelle autorité ? Vous n’en avez aucune, mademoiselle. » Il m’apprend que non, ça ne va pas s’améliorer, qu’il y aura d’autres accidents, plus graves encore. Il me décrit des fugues à cheval et des enfants piétiné·e·s par des sabots.

Ça n’est plus possible. Je ne peux pas continuer à travailler ici car je suis dangereuse pour les enfants. Avec moi, non seulement ils ne sauront jamais monter à cheval, mais ils se blesseront tous avant la fin de l’année. Je lui dis que je vais progresser, qu’il me faut juste un peu plus de temps. Petit à petit, je ne crois plus à ces mots : quand on est nulle, il n’y a rien à espérer.

Visiblement, je me voile la face. J’ai de plus en plus de mal à retenir mes larmes mais je tiens bon ; je ne voudrais surtout pas lui donner le plaisir de me voir en pleurs à cause de lui. Il me dit qu’il s’inquiète pour moi et que c’est pour ça qu’il m’a fait venir. Pour me faire prendre conscience que je dois changer de métier.

*

Aline, la jeunette de la boite, arrive dans mon bureau. Sa petite taille et son regard brumeux lui donnent un air fragile. Il ne sera pas difficile de la faire craquer. Ses fesses à peine posées sur le fauteuil, j’attaque avec le motif de l’entretien : les plaintes des clients qui déplorent que le service ne soit pas à la hauteur. Elle me reprend : ça n’est arrivé qu’une fois, les autres clients ne se plaignent pas et, bien sûr, ça ne se reproduira pas.

Peut-être est-ce réellement la dernière fois, mais ça ne change rien. Je lui assène que d’autres se plaindront et que, malgré ses promesses, je ne pense pas qu’elle ait les compétences requises pour le job.

C’est le moment de lui faire comprendre qu’elle n’est plus la bienvenue dans l’entreprise, qu’il faut qu’elle ouvre les yeux pour voir qu’elle n’est qu’un frein pour nous. J’y vais un peu fort, mais ça n’est toujours pas assez : elle m’assure qu’elle va s’améliorer. Je n’ai ni l’argent ni l’envie pour la former, il va falloir qu’elle s’en aille. Elle reste calme et je perds patience : comment la briser ?

Je m’inquiète pour l’image de la boite. Elle n’assure pas et, franchement, elle me met mal à l’aise : comment peut-elle garder ce visage impassible après ce qui s’est passé avec l'enfant de ces clients et après ce que je lui ai dit ? Je porte le coup final en l’incitant à démissionner.

*

Je sors de son bureau sans avoir craqué, je marche jusqu’à chez moi la gorge salée, j’ouvre la porte en pensant pouvoir faire comme si de rien n’était. Je vois les yeux inquiets de mon colocataire dans l’embrasure et tout s’échappe.

« Aline, qu’est-ce qui s’est passé ? »

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