Froide ambiance [1/2]
Après une heure de révisions pour le cours d'archéologie antique, nous nous sommes mis un fond de musique jusqu'à ce que Gimme me more de Britney Spears lance ses premières notes.
— Pas cap de refaire Britney !
J'arque un sourcil. Mes cheveux se secouent de gauche à droite, me fouettant le visage comme dans le clip de l'artiste, celui où elle semble chasser les mouches avec sa chevelure. Je continue d'en faire des tonnes et passe mon pouce sur ma langue avant de le glisser entre mes seins, à la Beyoncé. Camille éclate de rire. Recopier toutes ces chanteuses qui abusent de leur pouvoir d'attraction sexuelle est d'une grande facilité, vu qu'on ne voit que ça. Les gloussements cessent et les bêtises s'arrêtent, mon corps ondulent plus librement sur la mélodie pendant que je tire de nouveau une taffe sur ma clope, les yeux fermés.
Je valse sans me soucier du manque d'enthousiasme de Camille. Son regard baissé sur le sol remonte de temps en temps vers la porte dans mon dos. Et c'est son père dans l'encadrement de cette dernière qui se tient devant mes yeux, les siens se délectant visiblement de la vue en face de lui. La honte est tellement grande que je stoppe tout de suite, mal à l'aise. Mes bras se plaquent d'eux-mêmes contre mon corps, figé comme un i.
Pascal Durand me reluque, presque sans expression. Il reprend une contenance droite et froide en voyant que j'ai remarqué sa présence.
— Papa, je t'ai parlé de mon amie Charlène, tu te souviens ?
— Tu as évoqué un Charlie.
— C'est ainsi qu'on me nomme, M. Durand, interviens-je pour prendre la défense de mon amie.
— Maître Durand. Enchanté.
Son ton n'exige aucune réplique. Direct et sans chaleur. Il tend sa main que je serre.
— Je suis désolé de vous avoir dérangées. J'ai toqué mais vous ne m'avez pas entendu, s'explique-t-il tout en remettant sa montre. Camille, Mme Rousseau vous a apporté le dîner pour ce soir. Je dois partir d'urgence pour une affaire.
— Très bien. Merci !
— Je vous remercie, Maître Durand.
— Au plaisir, Mademoiselle.
Quand il repose à nouveau son regard gris sur moi, son éclat brille, presque de concupiscence. Cette attention, je la croise de plus en plus et elle me devient très embrassante, ne sachant comment y réagir. Je fais une moue embarrassée et baisse les yeux.
Il prend la direction de la porte sans un mot de plus. Un silence de plomb envahit la pièce, un froid glacial. Toutes les deux, abasourdies par l'entrée inattendue de son paternel, nous nous échangeons un regard espiègle avant d'éclater de rire.
— Je suis horriblement gênée ! Ton père va me prendre pour une Marie-couche-toi-là, me lamenté-je en enfouissant mon visage entre les mains.
— Mon père ? Ne t'en fais pas, rien ne le choque.
— Vu sa tête, je me le demande.
Elle se racle la gorge et récupère son gilet posé sur l'accoudoir du canapé pourpre.
Devant son ordinateur, elle tapote rapidement, concentrée. L'ambiance est retombée.
— Mais qu'est-ce que tu fiches sur cet ordinateur ?
— Je suis sur Facebook, me répond-elle sans détacher ses yeux de l'écran, les doigts se baladant sur le clavier.
— Sur quoi ?
Je viens près d'elle, les sourcils froncés.
— Tu ne connais pas ce réseau social ?
Elle s'allume encore une cigarette en me guettant en biais.
— Non. Tu sais, j'écris encore à la main, pour mes cours, rétorqué-je.
— Et l'application sur ton portable ?
— Quoi, ça ?
Je lui montre mon Nokia C3-00.
— Je n'ai même pas internet.
— Rooh mais faut prendre l'abonnement avec internet illimité, que t'es niaise !
— Mais... je t'emmerde fille à papa !
Je bats des cils comme pour me moquer d'elle et, par vengeance, elle me crache sa fumée au visage. Je tousse.
— Bon, tu veux que j'te montre ou pas ?
— Vas-y.
Je reste attentive face à la démonstration de son habileté à maîtriser le numérique.
— Tu peux trouver n'importe qui là-dessus.
— Et ça sert à quoi ?
— Il y a des jeux, tu peux partager tes photos de soirées ou d'évènements avec tes amis qui s'affichent directement sur leur profil. Tu écris des statuts en temps réel.
— Je suis sûre que certains abusent avec ce machin-là. Je les vois bien raconter qu'ils sont malades, en deuil, qu'ils ont acheté un chien…
— Mais c'est le but ! Tu peux aussi espionner ! Les gens mettent des photos d'eux en public, des statuts ou des choses personnelles. Tiens, donne-moi un nom.
Le premier prénom qui me vient à l'esprit : c'est Bastien.
— Tu veux que j'écrive Bastien Ferroni ? Je l'ai dans mes amis.
— Ah bon ? réponds-je, les yeux écarquillés.
Alors, pour une personne qui n'apprécie pas Camille, il a son Facebook ! Il a bon dos, lui.
Sa photo de profil l'affiche avec son frère lors d'une fête. Elle défile sa page jusqu'à ce que je tombe sur un énorme cœur sur le « mur ».
— Attends, attends, qui c'est, elle ? m'exclamé-je en montrant du doigt.
— Selena !
— C'est qui ?
— Son ex, du lycée, me confie-t-elle.
— Il est déjà tombé amoureux ? murmuré-je en sentant mes épaules s'affaisser, bouche grande ouverte.
— Amoureux, amoureux... Ils sont restés près de huit mois ensemble, c'est tout.
Mon sang se met à bouillonner dans mes veines. Cette publication date d'il y a quinze jours, un peu avant notre premier baiser sur ce petit trottoir en sortant du cinéma. Pourquoi ne m'a-t-il pas parlé d'elle ? A-t-il souffert de cette relation ? Mon esprit se torture de questions mais je constate qu'il ne lui a pas répondu. Peut-être est-ce lui qui a tout arrêté. Ou bien, il lui a répondu en privé... Je secoue la tête pour chasser ses mauvaises idées. Non, Bastien doit avoir ses raisons. De tout manière, je ne me suis pas non plus confiée sur mon passé. Lui en vouloir serait irrationnel.
— Tu ne le savais pas ?
Et non ! Sinon je n'aurais pas la tête d'une fille qui vient de voir l'Exorciste.
— Moi, Gaël me dit tout, dit-elle en jonglant avec ses épaules, sourire jusqu'aux oreilles.
Je serre les dents.
— Attends, je vais te montrer qui j'ai trouvé.
Elle part dans la barre de recherche et écrit le nom de Frank Mollet. Elle clique sur le second profil où l'on voit notre professeur en compagnie d'un bébé et d'une femme brune. Je réprime un élan de renvoi en le voyant.
— Pourquoi tu as cherché Mollet ?
— Je ne sais pas... il n'est pas trop mal comme prof.
— Pour un mec qui a des scratchs à la place des sourcils, tu veux dire ?
— Oh allez ! Genre ce n'est pas un de tes fantasmes de coucher avec l'un de tes enseignants ?
— Euh... non.
Elle soulève un sourcil.
— Menteuse. Toutes les étudiantes ont eu ce fantasme-là.
— Pas moi. Ou faudrait qu'il soit exceptionnel, hyper séduisant et bourré d'intelligence. Ce qui n'est pas le cas de Mollet.
Du coin des lèvres, elle fait un bruit de succion.
— Donc, tu pourrais ?
— Mais non, voyons ! C'est contre la déontologie !
— C'est pour cette raison que c'est excitant... l'interdit.
Je la jauge un instant.
— Tu ne feras pas de conneries hein Camille ?
— Ça ne va pas non ! Je suis très heureuse avec Gaël. Qui plus est, tu ne serais plus ma belle-sœur, ça serait trop triste, dit-elle avec un clin d'œil.
— Je peux y jeter un coup d'œil ?
— Vas-y ! Je vais aller chercher le dîner, répond-elle en se levant d'un bond. On va manger ici.
— D'accord ! Merci.
Dès que la porte de sa chambre claque, je tape un nom dans la barre de recherches Facebook. Un défilé de Lauren Smith s'affiche sous mes yeux, mais aucune ne ressemble à l'Anglaise. Je clique sur celles qui ont des photos sans portrait apparents.
Peu surprise, je ne trouve aucune information concernant la galériste. Elle avait signalé qu'elle était mariée. A-t-elle des enfants ? J'apprécierais qu'elle m'invite dans sa galerie d'art à Londres, qu'elle me présente à ces collègues et pourquoi pas rencontrer son mari ? J'amènerai Bastien, ils pourraient peut-être s'entendre ?
Je secoue la tête avant de lâcher un petit rire. Tu te fais des idées ma grande ! Tu es une enfant face à elle.
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