New Hôtel Saint-Lazare

5 minutes de lecture

2 mai 2010

Oui, papa ! J'y vais, je suis en route, là, tenté-je d'articuler pour qu'il me comprenne suffisamment dans ce brouhaha. Je te laisse, y'a un boucan d'enfer ici.

Je suis dans la rue d'Amsterdam, à cinq minutes de chez moi.

Au tour de Bastien de m'appeler pour me demander où j'étais. Je lui indique ma position, puis il me précise qu'il m'y retrouvera dans vingt minutes.

Je me dirige vers le New Hôtel Saint-Lazare pour vérifier si la chambre réservée par mes parents a bien été prise en compte pour ce début du mois de mai. Apparemment, l'hôtel est injoignable et M. et Mme Mahé commencent à s'inquiéter.

J'ouvre la porte et l'hôtelier lève la tête de son cahier d'enregistrement. Je m'approche et lui signale que leur téléphone ne fonctionne pas. Il s'excuse et précise que le réparateur est en train de s'occuper du problème, il n'en a plus pour très longtemps.

Patiente, je feins de m'intéresser aux prospectus de l'hôtel. Des ricanements nous parviennent jusqu'au hall. Je m'attarde sur un petit livret parlant d'une exposition au Louvre quand, soudain, le gloussement familier, bête et crispant, me fige sur place. Instinctivement, je me retourne et tombe nez à nez avec Camille et... notre professeur d'archéologie antique, Frank Mollet.

Nous nous immobilisons, tous les trois. Je les dévisage. Un silence coupable règne dans le hall du New Hôtel Saint Lazare. L'agent d'accueil, lui-même, nous fixe. Qu'est-ce que Camille et Mollet font ensemble dans cet hôtel un samedi après-midi ? La réponse est évidente, il ne faut pas être sorti de Saint-Cyr pour savoir ce qui se trame entre eux. Je toise M. Mollet et son alliance, puis Camille, pétrifiée mais toujours son menton levé. Notre professeur ressemble à un hibou alors que mon amie est plus proche de la vieille cul-bénite à qui on n'a nul droit de reprocher quoi que ce soit : la ressemblance avec son père est foudroyante ! Pourtant, je n'avais jamais vu ce visage-là jusqu'à ce jour.

Un homme, sans nul doute le réparateur, vient auprès du réceptionniste pour lui annoncer que le téléphone et les ordinateurs sont à nouveau en fonction.

Nous lui répondons par un bref sourire chacun lorsqu'il nous salue. Je me pousse pour le laisser passer et lorsqu'il claque la porte, Camille m'implore :

— Tu ne vas pas nous balancer, hein ?

Je reste sans voix, ne sachant quoi en penser, mais le comportement de M. Mollet me sidère le plus :

— Vous n'avez pas honte, vous ? Vous êtes marié ! Et vous avez un enfant !

— Mon épouse ? Elle doit faire de même de son côté. Je suis transparent à ses yeux, lâche-t-il, penaud.

— Donc, vous vous êtes dit : Tiens ! Si je m'envoyais en l'air avec mon élève de vingt ans de moins que moi ?

— Seize ans de moins, rectifie-t-il en baissant la tête.

Je détourne le regard, nez pincé. Il me reprend à ce moment-là précis !

— Mademoiselle, excusez-moi ? Euh... la réservation est bien faite au nom de Jacques et Carole Mahé.

— Merci bien, Monsieur, réponds-je à l'agent d'accueil.

Je tourne les talons avant de revenir sur mes pas et me poste devant la rouquine.

— À ta place, j'éviterais de sortir. Bastien doit déjà être devant.

— Je t'interdis de me juger ! Ce n'est pas parce que tu vis le bel amour avec lui que ça te permet de me faire la morale.

Je hausse les sourcils, surprise par la réplique. Je cherche à l’aider et elle, elle s’emporte contre moi. Je n’y tiens plus.

— Camille... attends, tu penses que c'est correct ce que tu fais ?

Mollet ne bouge pas de sa place et n'essaye même pas de les défendre.

— Ah ! Et quand c'est Gaël qui le fait, personne ne dit rien !

— De quoi tu me parles ?

— Ne fais pas l'innocente. Il me trompe et tu étais au courant !

— Pas du tout !

— Bien sûr. Pour mieux conserver ton petit couple, t'as préféré me mentir c'est ça ? vocifère-t-elle, les yeux sortant des orbites.

— Je n'en savais rien du tout Camille.

— Va t'faire foutre !

Elle me hurle dessus et je l'examine. Son teint si frais est devenu violacé et ses dents se serrent au moindre mot craché à mon attention. Je ne la reconnais plus.

Elle avait beaucoup de mal à avoir de bonnes notes dans la matière de Mollet, c'est vrai, avait-elle été si déterminée à arriver à ses fins qu'elle l'a conduit à l'adultère ? A cet instant, je pense que les femmes peuvent être réellement le reflet de la sournoiserie.

Elle s'efface devant moi et débarrasse le plancher, en laissant notre prof déconfit face à l'hôtelier qui venait d'assister à toute la scène.

— Vous, vous attendez que nous partions pour vous casser, ordonné-je à Mollet, mon doigt pointé vers lui. Je ne dirai rien, d'accord ?

— Merci, mademoiselle Mahé.

Pauvre type.

Lorsque je sors, j'aperçois Bastien sur un scooter. Lui, s'attarde sur Camille qui s'est ruée dehors, en trombe.

— Camille ! Qu'est-ce que tu fais là ?

— Qu'est-ce que ça peut te faire ? lâche-t-elle en traversant le trottoir d'un pas rapide.

— Qu'est-ce qu'elle a ? Qu'est-ce qu'elle fiche ici ? me demande Bastien. Elle a un amant ou quoi ? ajoute-t-il sur le ton de la rigolade.

Au loin, je continue d'observer Camille qui marche, son visage en mains. Je jette un coup d'œil vers l'entrée de l'hôtel, en espérant que Mollet ne pointe pas le bout de son nez.

— Je ne pense pas. Elle était toute seule à l'intérieur, dis-je en précipitant mon pas vers mon petit ami.

— Peut-être qu'il lui a posé un lapin.

— Qu'est-ce que tu vas chercher là ? Bon, allez on y va, le secoué-je. C'est quoi ça au juste ?

— Un scooter... pour toi.

— Tu... tu déconnes là ? bafouillé-je en caressant le siège.

— Du tout. Un ami qui me l'a vendu à un bon prix.

— Et pour quelle raison ?

— J'ai le droit de t'offrir des cadeaux pour tes vingt ans, non ? lâche-t-il en posant un baiser sur mes lèvres.

Sa main droite effleure ma hanche jusque sous ma chemise, câlinant ma peau. Je la repousse doucement.

— Tu n'aurais pas dû, lui réponds-je, les joues rosies.

— J'ai le droit de t'offrir ce que je veux ! s'écrie-t-il, ses lèvres s'accouplant aux miennes. Bon, tu montes ?

Il me tend mon casque et avant qu'il démarre, j'entrevois Mollet qui sort et file du côté opposé, en direction du métro Liège.

Annotations

Vous aimez lire Laurie P ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0