La Vénus de Botticelli
3 septembre 2011
Un sac jeté par-dessus mon épaule, je dépose mon badge face au boitier de pointage. Jeannette est derrière l'accueil et me salue. Une dame dodue d'une cinquantaine d'années, toujours de bonne humeur.
— Bonjour Jeannette, ça va ce matin ?
— Toujours ce mal de dos, mais ça passera.
— Vous êtes allée voir un ostéopathe ? lui demandé-je en me dirigeant vers une autre porte.
— J'ai pris rendez-vous, me rassure-t-elle avant de s'exclamer. Ah ! Vous allez être contente de l'invité d'aujourd'hui !
— Qui est-ce ?
— Un de vos peintres préférés.
— Mmmh, Le Caravage ?
Elle s'esclaffe.
— Non, plus vivant.
— Oh, quel dommage ! Merci Jeannette, à tout à l'heure ?
— Oui ! Bonne matinée à toi, Charlie.
Je la remercie et me dirige d'un pas impatient vers les pièces du fond en saluant les stagiaires, restaurateurs et autres collègues de l'Atelier Drouot.
Dans les vestiaires, je revêts ma tenue de protection, rangée dans mon sac, puis me coiffe d'un bandana afin d'éviter qu'une mèche ne brouille ma vue. Je sors des vestiaires, parcours le couloir jusqu'à l'atelier cherchant des yeux l'intrus avant d'entrer et trouver Victor Dauger, mon chef-restaurateur.
— Ah ! Charlie ! s'écrie-t-il. On ne vous attendait plus.
— Bonjour Victor.
Il s'écarte pour me laisser voir notre invité-surprise.
— Je vous présente Dimitri Stein, grand peintre de notre ère.
— Oh ! Ne soyez pas si flatteur, vous oubliez que je dois mon talent à l'Atelier Drouot, chicane-t-il en s'avançant vers moi.
Je suis émue face à cet artiste d'exception, celui dont le pinceau m'a sauté aux yeux dès la première toile analysée chez les Ferroni, avec une reproduction parfaite du Delacroix. Je lui serre la main et le dévisage un instant. Un homme d'une quarantaine d'années, d'une beauté froide venue tout droit des pays germaniques, blond aux yeux presque translucides. De fines lèvres qui esquissent un sourire à mon égard, plein de chaleur.
— Enchanté, mademoiselle ?
— Mahé. Charlène Mahé. Mais, tout le monde m'appelle Charlie.
— Qu'est-ce que vous préférez ?
— Le second, dis-je avec un sourire timide.
Il lâche ma main et Victor Dauger nous demande cinq minutes, devoir de chef-restaurateur.
Nous échangeons quelques politesses, discutons de la pluie et du beau temps, avant de nous attarder sur mon tout petit parcours et savoir ce qui l'a amené à l'Atelier Drouot. Il a été invité par Victor pour l'une de ses œuvres répertoriées, une reproduction d'un Rembrandt, à la demande d'un célèbre mécène espagnol, dont le nom m'est inconnu.
Je savais que Stein a entrepris ses études à Berlin, avant de les poursuivre à Paris fin des années 80. Je ne le trouve pas très attractif, mais son talent lui donne du charme.
Les présentations faites, je me penche sur un tableau sans grande importance. Il observe mon travail de jeune restauratrice, très intéressé :
— Que faites-vous ?
— Je cherche à structurer mes esquisses et je commence, souvent, par la valeur en première touche : la couleur la plus foncée. Seule couleur dont je peux être sûre. Puis, par petite touche, je compare mes autres teintures et je les modifie si nécessaire.
Il acquiesce la tête, bras croisés sur son torse.
— Je construis ensuite la forme, doucement, en allant à la bosse de l'ombre, la partie la plus sombre jusqu'au demi-ton qui l'environne. Je fais attention aux transitions, le comparant avec mon modèle de façon régulière. Je n'hésite pas à ajouter de la couleur par rapport à sa chromaticité, pour donner du vivant à mes tableaux. C'est toujours une bonne idée de garder la transparence dans les ombres pour leur donner de la profondeur et recréer l'impression de la couleur réfléchie.
— Impressionnant comme technique, je n'y avais jamais pensé ! J'en ai une tout autre.
— Elle est très bien la vôtre.
— Merci. Je ne la changerai pas dans ce cas, ricane-t-il. Vous faites cela depuis longtemps ?
— Bientôt deux ans.
— Vous avez l'œil, en tout cas.
Ça me fait penser à Lauren, la première fois que l'on s'est rencontrée.
Je lui jette un regard et je le surprends à me fixer intensément.
— Quoi ? J'ai une tache de peinture sur le nez ?
— Vous feriez un magnifique portrait sur toile, mademoiselle.
J'ai un petit rire gêné.
— Comme Mona Lisa ?
— Non, comme Simonetta Vespucci.
— Qui ?
— La Vénus de Botticelli.
— C'est drôle que vous disiez cela, dis-je en me tournant à nouveau face à ma toile. Mon père me comparait à elle également. Est-ce bien elle dans La Naissance de Vénus ?
— Pour sûr, oui. Elle était la muse du peintre, mais pas que. Celle de la ville de Florence entière.
— Elle devait être une splendide femme. Mais, je crois que vous faites fausse route, la Vénus de Botticelli était rousse et avez un nez crochu.
— Je ne parle pas de l'aspect physique de Simonetta Vespucci mais de sa grâce féminine. Ce qu'elle incarnait : une beauté rare.
— Oui...
— Comme vous.
— Vous m'en voyez flattée mais, je doute... continué-je, un brin agacée.
— Vous n'imaginez pas les traits gracieux que vous dégagez et qui incitent n'importe quelle personne à détourner le regard pour vous observer, mademoiselle. Une jolie toile de Maître.
Au-devant d'une telle sortie, je me retourne et nous partageons un long et profond regard. Toutefois, je ne peux m'empêcher de lancer un fin soupir, me demandant : Est-il sérieux ?
— Vous me draguez ?
Il explose de rire, à ne plus en finir.
— Non, je suis un peintre et j'aime relater sur toile ce que j'estime être beau, ce qui me parle.
Il semble sincère et il a le don de ne pas mettre mal à l'aise. Un sourire, un tempérament serein et jovial, je souris à mon tour, bien que j'aie très envie de lui dire que cela a le don de m'énerver qu'on parle sans cesse de mon physique, alors que j'ai d'autres qualités que j'essaye de mettre en avant.
Mon chef d'atelier décide d'entrer à ce moment-là, mettant fin à cette discussion des plus étranges. Dimitri Stein insiste pour que je réfléchisse à sa proposition de poser pour lui et je lui demande, à l'inverse, une photo avec lui, bien conservée dans mon cellulaire, lui annonçant que j'allais étudier l'offre.
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